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Actualités - REPORTAGE

Expérience socio-artisanale à Hadeth L'émail, catalyseur de bonnes volontés (photos)

Hadeth, atelier Chéhab, face à l’ambassade d’Espagne. Il y a quelques mois, l’entreprise décroche une adjudication EDL pour la numérotation des rues et immeubles de Beyrouth. Et depuis, l’atelier qui travaille l’émail est passé du stade artisanal à un stade quasi industriel. Et il sert en même temps, étrange destin, de laboratoire social. En effet, la plupart des effectifs employés — une trentaine — ne sont pas des professionnels. Mais tout simplement des gens des alentours, hommes, femmes, jeunes ou âgés, qu’on a recrutés pour aider, le temps d’exécuter cette grosse commande. Ces pigistes d’occasion reçoivent forcément une formation d’artisan. Quand ils devront quitter — s’il n’y a pas ensuite un autre contrat aussi important — ,ils auront appris un métier... C’est fin mai que la livraison des 33.000 pièces demandées devra se faire...
Emailleurs depuis 1980, Joseph et Amale Chéhab n’ont pas chômé durant la guerre. Installé au sous-sol d’un immeuble, l’atelier avait été transformé en abri . «Nous nous retrouvions parfois à 40 personnes: des amis, des voisins mais aussi des étrangers. Tous ensemble, nous mettions la main à la pâte», se souvient le couple Chéhab, qui garde en mémoire plus d’une anecdote. «Le plus dur a été l’après-guerre , poursuivent-ils. Nous étions à deux doigts de fermer boutique. Au Liban, c’était la crise économique; en France, les attentats à la bombe... Cependant, nous ne voulions pas abandonner ce métier que nous aimions et dont une quinzaine de famille vivaient». Car autour de l’émail, plusieurs métiers annexes s’étaient créés: travail du métal, assistance électrique, encadrement, impression et emballage... «Ces travaux divers étaient exécutés par des jeunes réfugiés, des hommes et des femmes au chômage que nous assistions. Or, il nous devenait impossible de continuer à leur assurer du travail».
C’est alors que les Chéhab entendent parler du projet de numérotation de l’EDL. «Nous étions alors en 1995. J’ai aussitôt réuni un capital et fait un voyage d’études en France pour me préparer au travail de l’émail industriel qui est différent de l’émail artisanal, ajoute Joseph Chéhab. A mon retour, je me suis battu pour décrocher le contrat. J’ai commencé par me renseigner sur le projet de l’EDL. Il portait sur le recensement de la banlieue, la fourniture des plaques émaillées et la pose. Or, une seule entreprise ne peut pas exécuter tout ce travail».
Après de multiples pourparlers, l’adjudication globale est annulée. Le recensement est confié à l’EDF, la fourniture des plaques aux Chéhab et la poste fait l’objet d’une troisième adjudication. Là, une bonne nouvelle, ce contrat est décroché par l’équipe d’ouvriers qui travaille chez eux.
«Cette «bataille» m’a coûté cher. Je me retrouvais sans le sou, et diabétique, je suis tombé une fois dans le coma...», dit Joseph Chéhab. Heureusement la mauvaise passe est franchie: une banque étrangère leur avance de l’argent pour construire un premier four puis un second.
Le 20 octobre 1996, ils obtiennent l’adjudication. «Nous avons dû créer une société et l’enregistrer, puis il a fallu attendre la caution de 20% que nous a avancée l’EDL. Car c’est un projet coûteux, explique Chéhab. La matière première et la main - d’œuvre représentent à elles seules 83% des dépenses».

Etapes

Ce n’est donc que fin janvier 97 que le projet démarre. Depuis trois mois, l’atelier carbure a pleins feux, 20h sur 24. Le boulot se fait à la chaîne, dans une atmosphère à la fois détendue et sérieuse. Le local est divisé en plusieurs salles, une pour chaque étape. Les équipes se relaient jusqu’à 4h du matin. L’atelier ferme alors ses portes jusqu’à 7h30.
«Nous formons tous une grande famille. La plupart des employés sont des amis de la maison. Ces personnes que j’avais assistées durant et après la guerre, n’ont pas hésité à me proposer leur aide, indique Joseph Chéhab. Quelques militaires nous aident également, tard dans la nuit, après leur service». Bain d’argenture, broyage, sérigraphie, électricité, plomberie... chacun apprend un métier, sur le tas.
La tôle d’acier laminé à froid est importée sous forme de planches huilées pour supporter le voyage. A l’atelier, ces planches sont coupées puis embouties. Une fois qu’elles obtiennent la taille et la forme voulues, elles passent par plusieurs étapes.
Dans une salle, spectacle amusant: sur un réchaud, une cocotte-minute a été transformée en alambic. «Ici se fait le dégraissage, le décapage et le décrochage des plaques, explique Chéhab. Or, notre eau est polluée, nous avons donc dû y remédier»...
«Ces plaques seront apposées sur chaque immeuble, à chaque extrémité de rue, aux intersections de rues et aux intersections de municipalités», «Elles sont incassables, inrayables, insensibles aux intempéries et ont une durée minimum de vie de 30 à 40 ans».
Après la livraison, le couple Chéhab projette de construire un four à vitraux, un autre à porcelaine. «Nous préparons notamment la production d’articles en porcelaine que nous remplirons de produits du terroir. Ils pourront être vendus en souvenir», disent-ils.

Natacha SIKIAS
Hadeth, atelier Chéhab, face à l’ambassade d’Espagne. Il y a quelques mois, l’entreprise décroche une adjudication EDL pour la numérotation des rues et immeubles de Beyrouth. Et depuis, l’atelier qui travaille l’émail est passé du stade artisanal à un stade quasi industriel. Et il sert en même temps, étrange destin, de laboratoire social. En effet, la plupart des effectifs...