Les 256 tableaux rassemblés au Musée sont constitués d’œuvres connues, voire célèbres qui ont été souvent publiées et souvent exposées, mais aussi d’œuvres totalement inédites provenant de collections qui s’ouvrent pour la première fois au public. Conçue sous la forme d’une rétrospective, cette manifestation — réalisée sous la direction de Sylvia Agémian — nous enveloppe dans l’atmosphère familière du peintre, évoquant sa vie intime, ses amitiés, les lieux qu’il a aimés. C’est aussi des pages illustrées sur les pérégrinations de l’artiste en Transjordanie, à Paris, au Djebel Druze et à travers le Liban. Toutes les techniques d’expression picturales sont là. L’huile et l’aquarelle toujours assez amples pour transcrire la subtilité de la lumière et la transparence des ombres… La riche palette du peintre éclate en thèmes variés: la nature, les hommes, les sites et les animaux. En bref, Omar Onsi artiste complet a saisi avec maestria tout ce qui se dessine, c’est-à-dire la vie même.
Les œuvres regroupées ne sont pas systématiquement présentées par ordre chronologique. «Celui-ci a été volontairement rompu vers le milieu du parcours (aux alentours de 1942) pour être restitué après une coupure sentimentale consacrée à la maison de l’artiste et au souvenir de Tallet al-Khayat», explique Sylvia Agémian. Un catalogue, œuvre de Saad Kiwan, accompagne l’exposition où sont reproduits en couleur tous les tableaux présentés. On y trouve également une biographie; des textes introductifs de Mohamad Ghaziri, Loutfallah Melki, Camille Aboussouan; une conférence donnée par Onsi en 1947; des écrits d’Amine Rihani, Georges Cyr, Nazih Khater, Samir Sayegh, Joseph Tarrab, Ali Raad, Sylvia Agémian, Jacques Assouad et Fayçal Sultan. Les photographies sont de Bahaa Rifaï.
Le parcours
L’œuvre d’Onsi se découpe donc en tranches:
• 1919-1922: Omar Onsi étudiant en médecine à l’AUB fréquente l’atelier de Khalil Salibi, rue Bliss, qu’il désignera plus tard comme son maître. Les portraits de son frère Ali, de sa sœur Bouchra, le champ de coquelicots, les petits formats exécutés à l’huile, à l’aquarelle, au crayon, annoncent clairement son talent de dessinateur et sa force de composition. A l’âge de 21 ans, Onsi signe des essais mais aussi d’incontestables réussites.
• 1922-1927: Nommé précepteur du prince Talal, père de l’actuel roi Hussein, il sillonne à ses heures de liberté la Transjordanie. Une trentaine de tableaux peints à l’aquarelle et à l’huile rendent compte des itinéraires de l’artiste. Autoportraits, portraits de dignitaires et de bédouins, site (Pétra, Jérusalem, l’amphithéâtre romain d’Amman). L’on y trouve déjà les qualités qui ont fait de lui un maître.
• 1927-1930: A Paris, Omar Onsi déplore enfin les ailes et développe considérablement ses dons innés. Il réalise un premier nu à l’Académie Julian puis une myriade d’autres nus à l’aquarelle, au fusain, au pastel et à la sanguine, exprimant avec sobriété la douceur de la chair ou la volupté des corps.
Paris c’est également la rencontre avec Emma Morand, sa première épouse, dont le portrait trône au milieu de la salle du Musée. Paris c’est aussi l’«Allée de Versailles», des paysages, des natures mortes où l’influence de Cézanne et de Corot est sensible. Mais durant cette période, la nostalgique lumière de l’Orient continue à flotter. Onsi va en effet longuement mûrir des esquisses prises sur le vif en Transjordanie.
• 1932-1935: Pour saluer son retour au Liban, Onsi fera chanter le plus naturellement du monde les couleurs vives de la Méditerranée. Aïn Zhalta, Jedaydé, Saïda, Beyrouth revêtu de cactus et de lauriers roses, les «Irzal» d’Ouzaï… Le vieux Liban enveloppe le contemplateur d’un pouvoir de séduction faisant renaître l’immémoriale complicité homme-nature. L’huile et l’aquarelle sont des outils que l’artiste manie avec autorité et de plus en plus librement.
• 1935: Après le décès de sa première épouse Emma Morand, Onsi entreprend un voyage en Syrie. Parmi les œuvres sélectionnées pour évoquer ce séjour de six mois, la représentation — unique en son genre — de femmes druzes endeuillés. Des tableaux étonnants de beauté, de maîtrise et de qualité.
La nature
• 1938-1942: Une place d’honneur sera réservée aux arbres: cèdres, oliviers, caroubiers, chênes, eucalyptus, amandiers, pommiers. La palette déroule des rythmes toujours plus rapides pour rendre une nature luxuriante. Dans cette floraison, Onsi a signé certainement sa plus belle lumière.
• La maison de l’artiste (1932-1950). La maison d’Onsi vue de l’extérieur ou de l’intérieur, avec son jardin et son bassin pourvu d’une fontaine… C’est là une source inépuisable d’inspiration. On y retrouve le bonheur diffus d’un foyer qui n’est plus que souvenir sur toiles.
• Des années durant, Onsi a étendu sa joie de peindre aux natures mortes, à ces bouquets, qui ornaient son intérieur. Les variations sur les fleurs sauvages sont un régal pour les yeux. «Je ne cesse de travailler sur le même sujet afin de ne rien laisser au hasard», affirmait-il en 1967.
Parmi les rares souvenirs de l’œuvre sculptée de l’artiste deux statuettes de nus, l’une coulée en bronze et l’autre en plâtre. Vu les mœurs de l’époque, Onsi cachait ces nus. Découvert au verso d’un paysage, un nu qui, à la différence de ceux de Paris, n’a pas de visage.
Wakfa et ses filles ont posé pour l’artiste. Ces bédouines qui livraient le fromage de chèvre et les herbes sauvages aux Onsi ont leurs portraits en buste ou en pied réalisés dans l’atelier ou au jardin.
Le peintre présente aussi les animaux domestiques qui l’ont accompagné pendant 25 ans: le coq, le chat, mais aussi les gazelles Asma et Hiram, leur progéniture Boy et Saïgon, bêtes gracieuses qu’il a élevées dans son jardin de Tallet el-Khayat. Avec une extrême acuité, l’artiste a saisi chacune de leurs attitudes.
Les vingt dernières années de l’activité d’Onsi sont couvertes par des paysages du Liban. Mayrouba et le haut Kesrouan représentent le rayonnement de son œuvre. Des témoignages artistiques époustouflants qu’on devrait archiver, vu le massacre que la nature subit en ces temps de lucre «urbanisateur».
Omar Onsi était un œil rare. De sa main il a pour nous tracé un riche album. D’artiste et d’homme.
May MAKAREM