Baptisée «parachka», du nom du directeur de la centrale Sergueï Parachine, cette monnaie maintenait artificiellement le niveau de vie élevé de ses employés depuis près d’un an.
La «parachka», introduite au printemps dernier, ne pouvait être utilisée qu’à Slavoutitch, la ville où furent réinstallés la majorité des salariés après la catastrophe de 1986. Elle avait permis jusqu’ici à cette ville-champignon proprette, enclavée au milieu des forêts, à la lisière de la zone d’exclusion de 40 kilomètres qui entoure Tchernobyl, de continuer à jouir d’un confort exceptionnel – et artificiel.
Maisons bien chauffées, piscines et terrains de sport, services sociaux efficaces, et salaires à partir de 150 dollars par mois, contre 80 de moyenne nationale: la centrale a tout fait pour maintenir à Slavoutitch une main-d’œuvre importante, malgré la radioactivité élevée de la zone, et la crainte qu’inspire au reste du pays, et du monde, le seul nom de Tchernobyl.
Mais une part croissante de l’économie de la ville reposait sur les «parachki», coupons de papier blanc, au logo rudimentaire, qui constituaient officiellement 50% des salaires, mais avaient fini par atteindre une proportion de 80%. Ils permettaient de s’approvisionner au grand magasin d’alimentation «Atlanta» (ainsi baptisé en l’honneur des Jeux olympiques), géré par la centrale, de payer les services communaux, et les voyages en train des travailleurs.
Progressivement, ils étaient devenus le symbole de l’étrange tête-à-tête qu’entretient Slavoutitch avec la centrale: 80% des 26.000 habitants vivent grâce aux revenus tirés de Tchernobyl, et la ville craint de mourir après sa fermeture, annoncée pour l’an 2.000.
Réalité économique
Deux mois après l’arrêt du réacteur numéro un, ce qui n’a laissé en activité à Tchernobyl qu’un seul réacteur, le troisième, la disparition des «parachki» est pour la ville un nouveau motif d’inquiétude: le signe d’une réalité économique qui la rattrape, dans un pays où s’accumulent depuis des mois, et dans tous les secteurs, les arriérés de salaires non payés.
Leur suppression, souligne un expert français sur place, Michel Sansier, constitue «une petite révolution», même si la décision a été accueillie jusqu’ici avec un calme relatif. La centrale a promis de racheter les «parachki» non dépensés aux habitants, mais n’a pas précisé quand, ni comment.
Joint au téléphone, M. Parachine s’est refusé à tout commentaire, déclarant qu’il s’agissait d’une «affaire interne» à Tchernobyl. La centrale, qui a annoncé pour la fin de l’année la remise en route du deuxième réacteur, arrêté en 1991 à la suite d’un incendie, a fait savoir à plusieurs reprises qu’elle manquait d’argent pour entreprendre les travaux nécessaires.
Dimanche et lundi, les habitants de Slavoutitch s’étaient précipités dans le magasin de la ville pour échanger leurs stocks d’assignats, et les rayons se sont vidés. Mais ils étaient de nouveau approvisionnés normalement deux jours plus tard, a précisé un résident au téléphone.
La secrétaire de la mairie recevait de son côté des dizaines d’appels de personnes anxieuses de se voir rembourser leurs «économies» de papier. Des bureaux de changes, a-t-elle indiqué, devraient se mettre en place dans les jours qui viennent, mais le taux des «parachki» pourrait se révéler très désavantageux.
De source officieuse, on précise à Slavoutitch que la direction a décidé de mettre fin au système des assignats en raison de la multiplication dans la ville de faux «parachki».
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