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Actualités - REPORTAGE

Il a été relaxé hier contre une caution de 6 millions de L.L. Atallah : je suis innoncent et la liberté n'a pas de prix (photo)

Il existe encore des fins heureuses au Liban. La libération, hier, de notre confrère du «Nahar», Pierre Atallah, après 14 jours de détention, en est la meilleure preuve. Non seulement toutes les instances, y compris judiciaires, se sont mobilisées pour faciliter — à défaut de le hâter — son élargissement, mais surtout, son cas a montré que dans ce pays menacé de perdre son identité, il est encore possible de mener une bataille pour la liberté et la dignité de la presse... et de la remporter.
Et, dans cette région qui semble sombrer chaque jour un peu plus dans l’obscurantisme, le Liban demeure un cas particulier, une oasis où l’on peut encore aspirer à un monde meilleur.
L’interpellation de Atallah, le 23 décembre dernier, avait provoqué une grande vague de solidarité tant dans les milieux de la presse locale qu’au niveau des associations internationales des droits de l’homme, à tel point que le président français, M. Jacques Chirac, a évoqué ce dossier lors de son dernier entretien, samedi, avec le président du Conseil, M. Rafic Hariri. Mais les besoins de l’enquête, ainsi que les formalités de procédure — ce sont du moins les raisons officiellement invoquées — ont retardé la relaxation du journaliste jusqu’à hier. Mais entre-temps, et sans doute en partie grâce au tapage médiatique autour de cette affaire, notre confrère a, de son propre aveu, été traité «avec beaucoup de respect», et tant le premier juge d’instruction militaire, M. Riad Talih, que le
commissaire du gouvernement près la Cour de cassation militaire, M. Nasri Lahoud, ont fait de leur mieux pour améliorer ses conditions de détention. Même si, dans un souci évident d’empêcher l’exploitation médiatique de l’affaire, M. Lahoud a voulu hier que la remise en liberté, en contrepartie d’une caution de 6 millions de L.L., de Atallah se déroule discrètement, donnant ainsi à la libération un aspect vaudevillesque.
Dès 10 heures du matin, hier, les journalistes commencent à affluer au tribunal militaire qui n’avait jamais encore auparavant connu une telle ruée médiatique. Comme les locaux sont très petits, les journalistes s’installent sur les marches du bâtiment blanc, proche du Musée national. Vers 11h, M. Riad Talih signe l’autorisation de remise en liberté, et le dossier de notre confrère entame alors une longue errance entre le secrétariat de la Cour de cassation militaire, celui du Parquet militaire et le bureau du premier juge d’instruction. L’autorisation du juge doit en effet être approuvée par la Cour de cassation, puis retourner au secrétariat du Parquet où la caution — qui a été fixée par la Cour de cassation à six millions de livres au lieu d’un seul million comme l’avait réclamé M. Talih — doit être payée.
Sous la présidence du juge Amine Nassar, la Cour de cassation militaire, formée à la hâte samedi par un décret du ministre de la Défense, tient une réunion rapide, le temps d’approuver l’autorisation de remise en liberté de Pierre Atallah délivrée par le juge Talih. Dans sa décision, la Cour insiste sur la qualité de journaliste de Atallah et précise que les charges retenues contre lui s’inscrivent dans le cadre de sa mission professionnelle.
Il ne reste plus qu’à payer la caution. Une longue attente commence car c’est le directeur général du «Nahar», M. Gebrane Tuéni, qui doit amener l’argent, et à midi, il n’est pas encore là. Certes, le président du syndicat des rédacteurs, M. Melhem Karam, qui depuis le début de l’affaire s’est solidarisé avec Atallah, a proposé de payer la caution, mais M. Tuéni a refusé.

Sortie par une
porte dérobée

L’attente se prolonge et les journalistes commencent à craindre que M. Tuéni n’arrive après la fermeture de la caisse du tribunal. De fait, M. Tuéni, accompagné de Me Boutros Harb — qui s’était spontanément proposé pour défendre Atallah — arrivent vers 12h30. La caisse est officiellement sur le point de fermer mais Me Harb multiplie les contacts pour obtenir une légère prolongation. Il parle même au commissaire du gouvernement près la Cour de cassation militaire qui donne les instructions nécessaires pour que l’argent de la caution soit encaissé. Le secrétariat du Parquet commence alors à compter sept millions de livres (le dernier million devant couvrir des taxes diverses) — la plupart en petites coupures. Ouf, le compte y est. La libération de Pierre Atallah n’attend plus que «l’ultime bénédiction» de M. Nasri Lahoud. Celui-ci arrive vers 13h15. Il se réunit aussitôt dans son bureau avec MM. Harb et Tuéni. Il n’est pas question pour lui de transformer le tribunal militaire en tribune médiatique. Les journalistes quittent donc les lieux et décident d’attendre leur confrère à l’étude de Me Boutros Harb.
Alors que M. Tuéni a laissé sa voiture sur place pour qu’elle puisse emmener Pierre Atallah, des militaires le font sortir par une porte dérobée et le déposent devant la caserne des FSI près de l’Hôtel-Dieu, là où nul ne l’attend. C’est là que passant par là par hasard, un photographe du «Nahar», Ibrahim Tawil, le trouve avant de le déposer à l’étude de Me Harb.
Il est plus de 14h30 lorsque Atallah fait son entrée dans le bureau bondé de Me Harb, tenant à la main un sac en nylon contenant ses affaires de prisonnier. Visiblement très ému, il commence par donner l’accolade à sa sœur et à sa nièce, avant de regarder avec envie les chocolats posés sur la table... Les yeux rouges, le verbe un peu saccadé, il s’adresse ensuite à ses nombreux collègues, aussi émus que lui.
«Il y a eu deux étapes dans ma détention, dit-il. La première à Yarzé, du lundi 23 au lundi 30. Et la seconde au tribunal militaire, du 30 décembre à aujourd’hui (hier). Mais j’ai toujours été traité avec beaucoup de respect. A Yarzé, j’ai été pris d’un malaise et on m’a aussitôt transporté dans une cellule individuelle où je disposais d’un lit. Quant au traitement au tribunal militaire, il était encore plus correct, je me promenais régulièrement, mais j’étais quand même en prison».
Selon lui, l’interrogatoire qu’il a subi tournait autour de deux thèmes: la distribution de tracts subversifs et les contacts avec les agents de l’ennemi israélien. Dans la première affaire, les enquêteurs n’ont pu retenir aucune charge contre lui, quant aux contacts avec notamment «Abou Arz», Atallah précise qu’ils s’inscrivent dans le cadre de sa mission journalistique. Il clame son innocence à ses collègues, tout en rendant hommage à Ghassan Tuéni et au Nahar en général, qui a une longue tradition de lutte pour les libertés. Il remercie aussi la presse libanaise et salue l’intégrité de la justice libanaise, tout en soulignant avec une certaine modestie que cette expérience n’est rien en comparaison avec ce que subissent les journalistes dans d’autres pays et il ajoute en conclusion: «On ne connaît le prix de la liberté que lorsqu’on en est privé. Je ne souhaite à personne de connaître une épreuve comme celle-ci».
M. Tuéni prend à son tour la parole, précisant que selon lui, Atallah a payé pour tous ses collègues et pour la défense de la liberté en général, ajoutant à l’adresse des autorités que la prochaine fois, elles devraient s’en prendre aux responsables des journaux et non aux simples journalistes.
Le mot de la fin revient à Boutros Harb, jamais en reste d’une bataille en faveur de la démocratie et des libertés. Pour Me Harb, cette affaire montre qu’on peut encore mener au Liban une bataille pour les libertés et elle conforte la confiance des Libanais dans l’intégrité de leur corps judiciaire. «Il faut donc aider ce pouvoir à consolider son indépendance».

La suite de l’enquête...

Et maintenant? L’enquête devra suivre son cours et le juge Riad Talih pourrait convoquer de nouveaux témoins avant de décider s’il clôt le dossier ou s’il défère Atallah devant un tribunal pour l’ouverture d’un procès. Pour Me Harb, il serait préférable de clore le dossier car le procès prendrait immanquablement un aspect général de jugement contre la presse, mais il reconnaît que l’augmentation du montant de la caution par la Cour de cassation militaire est un indice en faveur de la poursuite de l’enquête. Mais quelles seraient, dans ce cas, les charges retenues contre Atallah? Me Harb précise que d’après l’interrogatoire du juge Talih — auquel il a assisté en tant que défenseur du journaliste — on reprocherait à notre confrère certains articles, considérés par les autorités comme portant atteinte aux institutions et faisant la promotion des agents de l’ennemi. Toutefois, toujours selon lui, le tribunal militaire n’est pas l’autorité compétente pour traiter ce genre d’affaire...
Mais, pour l’instant on ne veut pas trop penser à ces problèmes. Atallah est libre et il n’a qu’une hâte: se retrouver chez lui, auprès des siens. Il a deux réveillons à rattraper. Demain est un autre jour...


S.H.














Il existe encore des fins heureuses au Liban. La libération, hier, de notre confrère du «Nahar», Pierre Atallah, après 14 jours de détention, en est la meilleure preuve. Non seulement toutes les instances, y compris judiciaires, se sont mobilisées pour faciliter — à défaut de le hâter — son élargissement, mais surtout, son cas a montré que dans ce pays menacé de perdre son...