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Actualités - REPORTAGE

Surviving Picasso, de James Ivory L'artiste pris au piège du portrait

James Ivory, Ismael Merchant et Anthony Hopkins ont reçu l’autre jour comme un seul homme, des mains de René Monory, président du Sénat, les insignes de commandeur dans l’ordre des arts et des lettres. Et les deux premiers semblaient s’être donné le mot pour dire, dans un français appliqué, leur gratitude envers le pays qui, avant tous les autres, a su apprécier les films qu’ils présentent en tandem sous le label MIP (Merchant Ivory Productions) depuis 1961.

Une commande

Tout cela se passait à l’occasion de la sortie de «Surviving Picasso», et l’on était tenté de leur faire la réflexion qu’il y a loin de «Shakespeare Wallah» (1965), film mineur, atypique mais ô combien délicieux qui fut ignoré partout mais porté aux nues par la critique parisienne, à cette dernière œuvre d’Ivory qui se conforme à tous égards aux normes hollywoodiennes. Car ce réalisateur américain qu’on prend souvent à tort pour un Anglais a fait du chemin depuis son premier long métrage fauché qui racontait les pérégrinations et tribulations d’une troupe de théâtre dans la campagne indienne. A preuve la brillante carrière internationale de «chambre avec vue», «chaleur et poussière» ou «les vestiges du jour», et les lauriers dont fut couvert James Ivory, aujourd’hui tenu pour un cinéaste majeur. A preuve aussi que ce «Surviving Picasso» soit une commande d’une major américaine, la Warner. Mais une telle commande servait-elle vraiment son intérêt? Les inconditionnels de «Shakespeare Wallah» sont en droit de se le demander.
James Ivory est arrivé avec sa scénariste de toujours, Ruth Prawer Jhabvala, mais celle-ci a dû travailler sur la biographie très contestée d’Arianna Stassinopoulos, «Picasso créateur et destructeur», la seule dont la Warner avait acquis les droits. Devant «Surviving Picasso», impossible de ne pas penser au «Mystère Picasso» de Clouzot. Le réalisateur français en avait délibérément éliminé tous les éléments biographiques, choisissant de ne restituer que la gestuelle de l’artiste, son regard et aussi son élocution. Le titre du film indiquait explicitement que le mystère demeurait, et c’était bien ainsi.

Intelligentes ou cruches

Le parti-pris d’Ivory a consisté, à l’inverse, à privilégier l’anecdote, son film étant centré sur la décennie 1943-1953, ce qu’on appela les années Françoise. Françoise Gilot ne fut qu’une des compagnes de l’artiste, séducteur impénitent aux liaisons météoriques, qui assurait avoir aimé des femmes intelligentes mais aussi des «cruches» et qui, trop égocentrique pour se faire leur Pygmalion, les voulait de toute façon passives et soumises, et si possible dénuées d’humour! Cruche, passive, soumise, Françoise Gilot ne le fut certes pas, et Dora Maar non plus, encore qu’elle pouvait atteindre des pics d’hystérie comme dans la scène étonnante et cruelle où on la voit jouer à se blesser les doigts avec un couteau. Mais fût-on femme de tête, pouvait-on se mesurer à Picasso? Le film est un portrait sans complaisance de cet Espagnol au sang chaud, volontiers histrion, narcissique et manipulateur, dominateur et même autocrate, mesquin jusqu’à l’avarice — il ne fut pas en reste avec Dali qui donnait lui-même pour anagramme de son nom Avida Dollars. Fascinant mais tourmentant, autrement dit capable d’être tout simplement odieux.

Un entourage asservi

Il affichait son goût pour le mauvais goût, revendiquait son absence de style pour avoir fait tout et le contraire de tout, et reconnaissait avoir commis beaucoup d’erreurs, à l’exemple de Dieu. Aura-t-on jamais vu plus bel exemple de fausse modestie? On comprend qu’un cynique de cette trempe ait asservi son entourage, à commencer par Sabartes, son assistant-factotum, réduit à l’état de zombie. Les marchands de tableaux, et notamment Kanweilher, en passaient forcément par ses caprices. Mais les femmes furent à coup sûr les moins bien loties. Si la première, une ancienne danseuse des Ballets Russes, sombra dans la folie, Françoise Gilot eut pour sa part assez de cran pour rompre, quand elle devina l’existence de Jacqueline Roque, l’ultime conquête, rencontrée à Vallauris, en découvrant ses portraits. Car de même qu’il avait peint pendant la guerre des saucisses et des poireaux «parce que les gens avaient faim», Picasso avait fait de ses portraits de femmes le fidèle catalogue de ses infidélités sentimentales.
Nul ne pourra nier qu’Anthony Hopkins — dont les yeux ont changé de couleur pour les besoins du film — ait réussi un prodigieux tour de force en mimant au plus près l’artiste, y compris par le léger glissement imprimé à son accent. N’empêche que son personnage de génial cabot est foncièrement déplaisant. On repense, en voyant le film, à ce conseil mille fois entendu qu’il ne faut pas chercher à connaître les écrivains, lesquels valent toujours moins que leur œuvre. «Surviving Picasso» le justifie pleinement, s’agissant cette fois d’un artiste. Sorti du cinéma, le spectateur sait ce qu’il lui reste à faire: courir voir l’exposition «Picasso et le portrait» qui se tient au Grand Palais jusqu’au 20 janvier.
James Ivory, Ismael Merchant et Anthony Hopkins ont reçu l’autre jour comme un seul homme, des mains de René Monory, président du Sénat, les insignes de commandeur dans l’ordre des arts et des lettres. Et les deux premiers semblaient s’être donné le mot pour dire, dans un français appliqué, leur gratitude envers le pays qui, avant tous les autres, a su apprécier les films qu’ils...