En effet, le journal al-Watan se déchaîne avec violence contre le projet de groupe parlementaire médian. Il y voit, tout comme le général, un cheval de Troie catapulté par le 14 Mars. Or ce quotidien est un organe des plus officiels, ne reflétant jamais que les vues des dirigeants du pays.
En réalité, les Syriens suppléent sur ce front au zèle relatif que le tandem Amal-Hezbollah manifeste dans son appui à son allié, le leader du CPL. Les deux formations chiites ne sont électoralement que peu concernées dans un litige portant essentiellement sur des sièges chrétiens. De plus, Berry se voit prier de céder des strapontins à Aoun à Jezzine ou à l'est de Saïda, plaisanterie qu'il a peu tendance à apprécier.
Sur le terrain de jeu, Aoun doit donc faire face seul à la montée en puissance de l'idée souverainiste qui scelle de fait, en termes de conviction nationale, la jonction entre le 14 Mars et les (doublement) indépendants.
Assez paradoxalement, pour renforcer son armure, il lui faudrait sans doute s'affaiblir. En larguant des hommes bien à lui au faible taux de popularité, au profit de personnalités plus en relief, mais aussi plus indépendantes. Qui ne lui obéiraient pas ultérieurement au doigt et à l'œil, et pourraient même ne pas adhérer à son bloc. Ou, si elles le faisaient, ne seraient là qu'en tant qu'alliés conditionnels et conjoncturels.
Le manque à gagner, la perte même, au Metn-Nord, à Jbeil comme au Kesrouan serait d'autant plus marqué que, répétons-le, Berry lui refuserait toute compensation latérale. Et Aoun se retrouverait loin derrière les 22 voix dont il dispose actuellement à la Chambre. D'autant qu'une fois son état d'anémie confirmé, le Tachnag, qui pèse bien, pourrait être tenté de recouvrer son statut parlementaire traditionnel de groupe autonome distinct. Idem d'ailleurs pour Skaff qui préférerait redevenir le régional békayote de l'étape, ou se fondre dans... les indépendants ! Afin d'avoir de meilleures chances ministérielles.
À signaler en outre que des politiciens proches de Damas mettent un bémol aux attaques du Watan. Ils y voient une manœuvre habile, nuancée. Une façon d'apporter du baume au cœur des alliés aounistes, meurtris par l'annonce d'un bloc centriste. Mais sans aller beaucoup plus loin. Car, à leur avis, Damas, engagé vis-à-vis de Paris, ne tient pas à s'aliéner Baabda.
Ni à gaspiller ses forces politiques dans une bataille électorale peut-être inutile, avant de voir comment les listes vont être formées. Et dans quelle mesure exacte un bloc centriste graviterait dans l'orbite de Baabda, plutôt que dans celle du 14 Mars. C'est-à-dire qu'il faudrait d'abord savoir s'il se composerait principalement de figures non engagées, de dissidents du 14 ou de déçus du 8. En d'autres termes, Damas peut encore espérer avoir dans un tel bloc sa petite part, probablement non déclarée.
Dans le fond, cependant, il est logique d'estimer que le projet d'un bloc centriste ne peut beaucoup plaire à Damas. Car ces quelques députés pourraient jouer les arbitres entre deux camps numériquement séparés par un siège ou deux à la Chambre. Ce qui ne servirait ni un pouvoir prosyrien à l'arraché ni une minorité ministérielle prosyrienne qui ne pourrait plus jouer du tiers de blocage.