La bataille électorale sera vraisemblablement très serrée entre les listes du 14 Mars et du 8 Mars, et dans un tel contexte, les électeurs chrétiens indécis et ceux que l'on pourrait qualifier d'indépendants feront sans aucun doute pencher la balance en faveur de l'un ou l'autre camp.
Lors du scrutin de 2005, les listes parrainées par le général Michel Aoun avaient pratiquement raflé la mise dans les circonscriptions chrétiennes grâce notamment au report des voix des électeurs indécis et indépendants. Pour le scrutin de cette année, la situation a toutefois radicalement changé sur ce plan, le général Aoun ayant visiblement perdu une bonne partie de son électorat, dans une proportion d'au moins 20 pour cent. Ces électeurs qui ont retiré leur appui au général Aoun reprochent à ce dernier d'avoir retourné sa veste après avoir profité de leur vote en 2005, d'avoir changé pratiquement de camp, d'avoir abandonné les slogans qu'il brandissait lors de la précédente bataille électorale et de s'être engagé sur une voie totalement contraire à leurs convictions, à leurs aspirations et à la ligne de conduite traditionnelle et historique qui a constamment caractérisé la sensibilité chrétienne. Nombre de ces électeurs déçus vont même jusqu'à considérer qu'ils ont été carrément « trahis » par le général Aoun.
Dans une large mesure, cette partie de l'électorat qui reproche au chef du CPL ses revirements représente le gros des électeurs chrétiens indépendants. Selon diverses sources, ces derniers ont retiré leur soutien au général Aoun, mais ne se sont pas alignés sur les factions chrétiennes du 14 Mars. Ils appuieront donc, en toute vraisemblance, des candidats centristes et, précisément, indépendants qui auraient, grosso modo, les mêmes options nationales que le 14 Mars sans pour autant être partisans.
C'est une telle perspective de report des voix qui suscite l'ire du chef du CPL et qui explique la campagne qu'il mène de façon assidue contre le projet de bloc centriste dans le but de tenter de discréditer, d'entrée de jeu, tous les candidats indépendants. Pourtant, le profil de candidats indépendants n'est nullement nouveau dans les mœurs politiques libanaises. Au sein du Parlement actuel, les blocs parrainés, à titre d'exemple, aussi bien par le mouvement Amal et le Hezbollah que par le PSP ou le Courant du futur regroupent nombre de députés indépendants. C'est même le cas - ironie du sort - du bloc aouniste.
En remontant plus loin dans l'histoire contemporaine du Liban, on constate aussi que les grands courants qui contrôlaient l'échiquier politique local avant la guerre livraient des batailles électorales en prenant sur leur liste des candidats indépendants.
Les observateurs relèvent dans un tel contexte l'important précédent de l'élection législative de 1968. La liste chéhabiste regroupait à cette époque des candidats ayant une assise populaire bien établie dans certaines circonscriptions chrétiennes, notamment au Kesrouan. Mais les candidats du « Helf » (l'alliance tripartite comprenant les Kataëb, le PNL et le Bloc national) avaient malgré tout enregistré une nette victoire face aux candidats chéhabistes. Cette victoire du « Helf » était due au fait que l'enjeu de la batille à l'époque était non pas le choix entre des personnes, mais plutôt le choix entre deux projets politiques : un État démocratique, ou le maintien du règne du Deuxième Bureau de l'armée. C'est un cas de figure analogue qui se présentera, à l'évidence, lors du prochain scrutin législatif du 7 juin. Bien au-delà de l'identité des candidats dans tel ou tel camp, les électeurs seront en effet appelés à choisir entre deux projets politiques, voire entre deux projets de société : soit l'édification d'un État et d'une armée ayant le monopole de l'usage de la force, et se fixant pour objectif de placer le pays sur la voie de la paix, de la stabilité et de la prospérité socio-économique, dans un contexte de préservation de la souveraineté du Liban et de sa décision libre ; soit, au contraire, l'alignement sur l'axe irano-syrien avec tout ce que cela implique comme aventures guerrières aux objectifs douteux et nébuleux.