Ce n’est pas, cette fois, un brûlant vent de sable qui nous vient d’Arabie, mais une réconfortante brise annonciatrice de printemps. En l’espace de 48 heures viennent en effet de défiler à Beyrouth les ministres saoudien et koweïtien des AE de même que le haut représentant du Conseil de coopération du Golfe. Le bal est ouvert, d’autres visiteurs de marque sont attendus, le président de la République se rendra à Riyad pour son premier voyage officiel, et on ne peut que s’en féliciter.
Cela faisait une bonne quinzaine d’années que toutes ces têtes couronnées nous battaient froid, et force est de reconnaître que nous l’avions cherché : si tant est, bien sûr, que ces malheureux de nous citoyens y avaient leur mot à dire. Car ce n’est pas à Khorramshahr, Tabriz ou Abadan mais à Djeddah, Koweït ou Dubaï que s’expatrient, par centaines de milliers, des Libanais pour renvoyer des devises à leurs familles restées au pays. Et pourtant l’État libanais, otage de l’Iran par Hezbollah interposé, n’a pas cessé de multiplier les gestes inamicaux envers ces destinations de survie économique. Agissant en totale impunité et en parfaite complicité avec le régime syrien, la milice inondait alors le Golfe en amphétamines de contrebande. Entre autres outrances politiques, on voyait un ministre de l’Information s’ériger en diplomate en chef pour dénoncer l’agression saoudite contre le Yémen des houthis, protégé de Téhéran ; pire encore, c’est le ministre des AE en personne qui croyait humilier les Saoudiens en les traitant de Bédouins. D’avoir dû dégommer les deux énergumènes n’aura pas épargné à Beyrouth les représailles du royaume wahhabite : lequel, comme on l’imagine, avait les moyens de se passer de légumes et de beaux fruits du Liban pour se fournir directement chez Fauchon !
Indéniable est certes le retour en force de l’influence saoudite dans notre pays ; la nature ayant horreur du vide, c’est bien la récente débandade de l’axe iranien, survenue au Liban comme en Syrie, qui a incité le royaume à s’engouffrer dans la brèche. Mais l’affaire est loin de se réduire aux froidement cyniques lois de la géopolitique. Car il est non moins vrai – et non moins heureux pour notre dignité nationale - que ce come-back est aussi celui, enthousiaste, du Liban et de son peuple dans cet environnement arabe dont l’avaient éloigné les visées hégémoniques de l’Iran. Au regain d’intérêt étranger pour notre pays aura idéalement correspondu ainsi une authentique aspiration populaire au changement, au renouveau. En témoigne d’ailleurs la déferlante de soulagement et d’espoir qu’ont suscitée l’élection, par le Parlement, du général Joseph Aoun à la présidence, ainsi que la désignation de Nawaf Salam pour former un nouveau gouvernement.
Ces deux hommes savent fort bien cependant qu’ils ne sont pas là pour seulement faire ami-ami avec les Arabes. Forts de la confiance spontanée des citoyens, ils se sont solennellement engagés à œuvrer à extraire notre pays de l’ornière politique, sociale, économique et financière où l’ont confiné des décennies de mal-gouvernance éhontée. Mieux encore (et ce fait les honore !), ils n’ignorent pas que la pluie de pétrodollars escomptée pour le redressement du Liban n’aura lieu que s’ils sont en voie de gagner leur audacieux pari. Des réformes, encore des réformes et toujours des réformes : frappante est l’insistance qu’auront mise les argentiers du Golfe à rappeler les conditions qui, une fois satisfaites, les porteraient à desserrer les cordons de la bourse.
Il va de soi que c’est par un gouvernement de travail et de productivité, d’un gouvernement pas comme les autres, que commence toute chance de progrès. Or qui retarde l’avènement d’une aussi miraculeuse aubaine après des décennies de cabinets prétendument d’unité mais voués d’office à l’inaction ? Ce sont précisément ceux qui se posent en porte-parole exclusifs d’une communauté chiite sinistrée au-delà de toute description, suite à la désastreuse équipée guerrière tentée par le Hezbollah. D’une communauté jetée sur les routes de l’exode et qui, bien plus impatiemment que toute autre, attend que soient reconstruites les dizaines de milliers d’habitations rasées par Israël.
En persistant à revendiquer la propriété d’un ministère des Finances aux coffres consciencieusement nettoyés, le tandem Amal-Hezbollah n’a fait que lancer la foire aux enchères dans les autres départements. Mais en retardant la naissance du gouvernement, c’est surtout une chance de rédemption, déjà des plus hypothétiques, qu’il repousse du pied.