
El-Bacha, Rachvelishvili, Boldachev, Berezovky et Félicien Brut. Un panel d'artistes formidables se produit entre le 26 février et le 23 mars au festival al-Bustan. Photos festival al-Bustan
« Against all Odds » (« Contre vents et marées »), était le thème de la 30e édition du festival en 2024. Après une année encore plus dure que la précédente, al-Bustan 2025 revient avec un calendrier de 12 performances musicales rassemblées sous l’appellation « A New Dawn » (« Une aube nouvelle »). Ce titre présage-t-il d’une programmation axée essentiellement sur des œuvres porteuses d’espoir ?
Toutes les œuvres artistiques et culturelles sont porteuses d’espoir. Elles le sont d’autant plus dans ce pays où une large frange de la population est privée de certains de ses droits humains les plus élémentaires…
Laura Lahoud, vice-présidente du Festival international de musique et d'arts performatifs al-Bustan. Photo DR
Sachant que les contacts et les réservations d’artistes se font plusieurs mois, sinon plusieurs saisons, à l’avance, quel impact aura eu la guerre au Liban, qui est venue se greffer sur celle de Gaza, sur la composition de cette 31e programmation ?
On aurait pu appeler cette édition « Against All Odds Again » (Contre vents et marées, encore), tant chaque année se révèle encore plus dure que la précédente. Avec la guerre qui s’intensifiait en octobre et novembre derniers, il nous semblait inimaginable de pouvoir maintenir la programmation du festival en 2025. Comment pouvions-nous convaincre des artistes internationaux de maintenir leur participation alors que les compagnies de transport étrangères avaient annulé leurs vols et que les ambassades émettaient des avertissements alarmants ? Et voilà qu’il y a deux mois, on nous annonce l’application d’un cessez-le-feu, rapidement suivi d’une succession de nouvelles auxquelles nous n’osions plus croire : le changement en Syrie, un président pour le Liban, un Premier ministre… Tout ce que l’on ne pouvait imaginer que dans nos rêves. Et donc l’espoir est revenu.
Malgré ce regain, il faudra cependant à notre festival – dont les calendriers de programmation sont établis parfois plusieurs années à l’avance – un peu plus de temps pour réorganiser certaines performances d’artistes de classe mondiale annulées au cours de ces derniers mois pour cause de vols supprimés, de conditions d’assurance draconiennes ou simplement d’une peur légitime de venir en période de troubles. Nous avons, néanmoins, le plaisir d’annoncer la participation de nombreux talents internationaux auprès de qui le festival al-Bustan a pu se constituer un capital de bonne volonté et de confiance, grâce à une réputation solidement bâtie au fil des ans. En venant s’y produire, ces artistes, qui à travers le festival ont appris à aimer le Liban, partagent notre espoir prudent pour la nouvelle aube qui s’y profile.
Pourquoi parlez-vous d’espoir prudent ?
Notre espoir est prudent, car bien que nous célébrons à juste titre notre survie et l’ébauche d’un nouvel État libanais, un grand nombre de nos compatriotes ne peuvent toujours pas rentrer chez eux à cause de l’occupation persistante au Sud et parce que leurs maisons ont été détruites, sans oublier les Palestiniens victimes de l’oppression israélienne.
Laura Lahoud entourée de Georges Khabbaz et Gianluca Marciano. Photo Houssam Chebaro
Quels sont selon vous les 5 moments forts de cette programmation à ne pas rater ?
D’abord, les soirées d’ouverture, avec le grand pianiste russe Boris Berezovky. Il est l’un des artistes tombés amoureux du Liban. Et réciproquement, le public libanais apprécie énormément son enthousiasme, sa fougue et sa virtuosité. Il jouera d’ailleurs des pièces virtuoses de Liszt et Beethoven le mercredi 26 février et du Debussy en version classique et jazz le jeudi 27 février. Il sera accompagné d’un saxophoniste, d’un percussionniste, d’un accordéoniste et d’un double basse.
Puis nous avons prévu, les 2 et 3 mars, une contribution nationale et patriotique particulièrement forte, en collaboration avec Georges Khabbaz. Il s’agira du concert « Lebanon In a Song » (« Le Liban en une chanson »), une création du festival réunissant des musiciens orientaux, dirigés par le chef d’orchestre Lubnan Baalbaki, et qui vont interpréter, avec le chœur de Notre Dame University, les plus belles chansons puisées des répertoires de Feyrouz, Sabah, Wadih el-Safi, etc. et célébrant toutes les saisons et toutes les régions du pays du Cèdre.
Le vendredi 7 mars, La Tragédie de Carmen, une adaptation de Peter Brook de l’opéra de Bizet. Il y aura tous les arias de l’opéra, sans les chœurs. Avec 15 musiciens libanais et étrangers (du al-Bustan Festival Ensemble, mené par le chef Gianluca Marciano) et des chanteurs lyriques dont l’éblouissante mezzo-soprano géorgienne Anita Rachvelishvili, l’une des meilleures mezzo au monde, qui a particulièrement excellé dans ce rôle qu’elle a incarné sur les plus grandes scènes.
Puis Abdel Rahman el-Bacha qui donnera un récital Mozart, Beethoven et Chopin le jeudi 13 mars au Bustan, avant de se produire le lendemain, vendredi 14 mars, dans une église de Beyrouth, où il jouera Via Crucis une œuvre sacrée de Liszt. Il y sera accompagné par la chorale de l’Université Notre-Dame (NDU) et quelques chanteurs lyriques dont le baryton espagnol Gabriel Alonso.
Enfin, la soirée « Duo de charme » le 16 mars qui réunit l’accordéoniste français Félicien Brut et la violoncelliste franco-arménienne Astrig Siranossian. Le premier, qui était déjà venu il y a quelques années au festival al-Bustan, a brillamment participé récemment aux cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques en France, et la seconde s’était également déjà produite avec Abdel Rahman el-Bacha dans une de nos précédentes éditions. Outre le fait qu’il s’agit de musiciens talentueux, ce sont de formidables amis du festival qui, même lorsque la situation était encore inquiétante, comprenaient l’importance du maintien de ce festival et étaient prêts à s’y produire.
En fait, il est difficile de se limiter à un choix de cinq moments. Il y a par exemple le harpiste virtuose russe Alexander Boldachev, dont la performance promet une soirée festive et assez grand public. Car ce jeune talent a un répertoire très varié, qui couvre aussi bien les morceaux classiques que des titres rock et des musiques de films. On a d’ailleurs intitulé son concert, le 11 mars, « De Saint-Saëns à Led Zeppelin ». Il sera accompagné d’un quintet de musiciens libanais.
Cela, sans parler des activités en marge du festival ainsi que d’autres événements – de belles surprises comme l’Orchestre à cordes de la Garde républicaine française prévu en concert de clôture le 23 mars – que nous sommes en train de finaliser et qui seront probablement annoncés en cours de route.
Quels seront les prix des billets cette année ? Et avez-vous conçu une politique tarifaire destinée aux jeunes mélomanes ou aux étudiants du conservatoire ?
Les prix des billets vont s’échelonner sur une grille allant de 20 à 70 $. Et des tarifs préférentiels destinés aux étudiants sont également prévus. Pour en bénéficier, ils doivent contacter le bureau du festival.
L'Orchestre à cordes de la Garde Républicaine française est programmé en concert de clôture du festival al-Bustan dimanche 23 mars. Photo festival Al-Bustan.
Fondé par votre mère et grande mélomane Myrna Boustany en 1994, au sortir de la guerre, ce festival a dû surfer entre les divers événements de crises pour se maintenir – en qualité aussi – malgré tout. Comment voyez-vous son évolution dans les années à venir à l’aune justement d’une nouvelle ère qui s’annonce pour le Liban ?
Chaque année, nous donnons le meilleur de nous-même, en essayant de mettre en place des éditions présentant aussi bien des artistes connus et reconnus que de nouveaux talents à faire découvrir au public libanais. Pour l’année 2026, nous avons déjà un programme exceptionnel. Bien sûr, les multiples crises financières et autres demeurent irrésolues et de nombreux défis nous attendent, mais nous sommes convaincus de l’importance de la mission de notre festival et résolus à participer, avec nos moyens, à la reconstruction de l’espoir au Liban.
Enfin une dernière question : la ponctualité est l’une des caractéristiques du festival al-Bustan. Myrna Boustany a toujours manifesté son attachement au respect des horaires des concerts, en interdisant l’accès aux retardataires avant l’entracte. Cette ponctualité est-elle toujours de rigueur ?
C’est autant une marque de respect envers les artistes qu’envers le public. La ponctualité est toujours de rigueur. D’autant plus que cette année le mois du ramadan commence entre le 28 février et le 1er mars, donc en plein festival, et que nous avons programmé tous les concerts à 20h30 afin de donner le temps aux personnes qui jeûnent de pouvoir prendre leur iftar avant, soit à l’hôtel même, soit chez elles.