Capture d'écran de la publication de Kafa, massivement relayée sur les réseaux sociaux et qui a depuis été supprimée.
L'ONG libanaise Kafa, qui œuvre pour la protection des femmes et la lutte contre les violences conjugales, a créé la polémique jeudi sur les réseaux sociaux après une publication visant à « sensibiliser » contre les violences domestiques. Et pour cause : cette campagne reprend le visuel des avertissements émis par le porte-parole de l'armée israélienne Avichay Adraee, qui étaient régulièrement publiés sur le réseau social X pendant toute la guerre entre Israël et le Hezbollah au Liban.
C'est à partir de fin septembre 2024 que le porte-parole avait commencé à publier ces avis d'évacuation, soit après l'offensive israélienne de grande ampleur sur tout le territoire libanais lancée après environ un an d'affrontements avec le parti chiite. La guerre a fait plus de 4 000 morts au Liban, et malgré le cessez-le-feu entré en vigueur le 27 novembre, au moins une quarantaine de personnes ont été tuées.
La publication, qui a depuis été supprimée des comptes Instagram et X de l'ONG, montrait un immeuble, et indiquait en rouge une pièce d'un appartement, avec l'inscription suivante : « Les femmes victimes de violence n'ont pas la chance d'évacuer les lieux ». Sur X, Kafa a repris le même type de visuel mais aussi le même ton. « Avertissement urgent aux habitants des maisons, en particulier aux femmes présentes dans les pièces indiquées sur les plans ci-joints : vous êtes dans un lieu sous le contrôle d'une personne violente. Pour votre sécurité, vous devez trouver un plan d'évacuation afin de sortir de ce cycle de violence », était-il écrit. « Pour les protéger de la distance zéro, une loi globale doit être adoptée pour lutter contre la violence à l'égard des femmes », peut-on lire dans une capture d'écran de la publication de plusieurs internautes indignés par la campagne.
« Une tentative ratée »
« Avec tout le respect pour les efforts et les intentions de l'association Kafa, qu'est-ce que c'est que cette publicité provocante qui rappelle tout ce qu'il y a de plus horrible et réveille les traumatismes des avertissements et des alertes dont nous ne sommes même pas encore sortis ? », a dénoncé la journaliste Fatima Abdallah sur X. « Ce n'est pas ainsi qu'on sensibilise, ni qu'on mène des campagnes. Vos efforts sont appréciés, mais une campagne ne se fait pas en reprenant la manière de parler d'Avichay ! Vous n'avez plus d'idées ou quoi ? C'est une tentative ratée », fustige-t-elle.
L'ONG Kafa a publié dans la soirée de jeudi un communiqué de presse sur ses réseaux sociaux suite au tollé, afin de justifier son approche qui met en parallèle les violences domestiques et celles infligées durant la guerre, indiquant que le but est de « choquer » l'opinion publique afin de faire bouger les lignes pour protéger les femmes de violences domestiques. « La terreur que nous ressentions à chaque alerte n'est pas différente de celle ressentie par les femmes victimes de violence chaque seconde où leur agresseur entre dans la maison sans avertissement », peut-on lire dans cette déclaration.
Selon l'ONG, la publication avait pour objectif « d'attirer l'attention de nombreux internautes » en leur rappelant leur vécu durant la guerre « lorsque la vie des gens était menacée à chaque instant », tout en ajoutant que dix-sept femmes ont été tuées par leurs proches et leurs maris, et que trois se sont suicidées, sans indiquer sur quelle période ces chiffres ont été recensés.
Choquer volontairement
« Nous considérons que les violences faites aux femmes, en particulier celles au sein des foyers, est également une question de vie ou de mort. Preuves en sont les crimes commis contre elles, qui n'ont pas cessé pendant la guerre. Oui, nous avons décidé de transmettre ce message aux gens et aux députés de cette manière, pour dire que la guerre contre les femmes ne s'est pas arrêtée et ne s'arrêtera pas sans l'adoption de lois dissuasives », poursuit l'ONG, tout en demandant aux internautes d'interagir davantage avec les informations relatant le meurtre d'une femme et de réclamer le changement des lois.
« Parfois, la conscience collective a besoin d'un choc. Les femmes dans notre société sont en danger, et il est de notre devoir de les protéger par l'adoption d'une loi globale contre la violence faite aux femmes, afin d'attirer l'attention de la société sur le danger auquel elles font face », conclut le texte de Kafa.
Une justification que l'avocate et membre fondatrice de Kafa, Leila Awada, a réitérée jeudi dans le quotidien libanais An-Nahar : « Il fallait créer ce choc. Quand on recense le nombre de femmes maltraitées sur notre page, la réponse ne vient pas afin de sauver ces personnes en danger », a-t-elle affirmé.
Mais la justification de Kafa par communiqué ne passe pas non plus, et la polémique se poursuit sur les réseaux sociaux. Pour une internaute, la campagne « était une très mauvaise idée, inconsidérée et mal exécutée (...) Une campagne purement traumatisante. Votre déclaration n'arrange pas les choses. Ce qui est fait est fait. », a-t-elle écrit sur X. Toujours sur le même réseau, un autre avance que cette publication a fait « plus de dégâts que de sensibilisation ». « À ce stade, il suffit de présenter vos excuses pour les victimes que vous avez voulu mettre en lumière », a-t-il écrit. X.
Bravo Kafa ! Campagne choc pour un sujet qui mérite la plus grande attention possible ! Je trouve l’idée très appropriée .
05 h 17, le 27 janvier 2025