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Dernières Infos - Reportage

"Je déteste l'hôpital": pour les ex-détenus en Syrie, tomber malade était un calvaire

Mohammad Najib, un ex-détenu de la sinistre prison de Saydnaya en Syrie, croyait échapper aux tortures lorsqu'il devait être admis à l'hôpital militaire en raison de son état de santé. Mais il y était battu et devait taire ses blessures.

Libéré quelques heures après la chute de Bachar al-Assad, le 8 décembre, le jeune homme de 31 ans peut à peine marcher en raison de douleurs au dos dues aux mauvais traitements.

Mais il insiste pour montrer à l'AFP en compagnie de deux anciens codétenus l'hôpital militaire Techrine à Damas, où étaient conduits les prisonniers malades de Saydnaya.

"Je détestais venir ici", dit-il. "Ils nous frappaient tout le temps, et parce que je pouvais difficilement marcher, il me frappaient" encore plus.

Mohammad Najib a été admis à l'hôpital à plusieurs reprises à cause de symptômes liés à la tuberculose, mais les gardes lui interdisaient d'évoquer les douleurs au dos causées par la torture.

Et les médecins de Techrine, le plus grand hôpital militaire de la capitale, n'ont jamais demandé pourquoi il avait le dos voûté.

Comme il n'était pas autorisé à dire qu'il avait autre chose que les symptômes de la tuberculose, "diarrhée et fièvre", il n'a jamais reçu de traitement approprié.

Aujourd'hui, il a une bosse dans le bas du dos de la taille d'une balle de tennis.

"J'allais (à l'hôpital) et je revenais pour rien", dit-il.

Dès leur entrée à Damas le 8 décembre, les rebelles syriens qui ont pris le pouvoir ont annoncé avoir pris le contrôle de Saydnaya, symbole des pires exactions du régime déchu, et libéré les détenus, certains entassés depuis les années 1980.

Le président déchu Bachar al-Assad a fui, laissant derrière lui un lourd passé d'abus dans les centres de détention, qui étaient le théâtre d'exécutions extrajudiciaires, de tortures et de disparitions.

L'hôpital Techrine est maintenant hors service, en attendant une enquête.

- Battus à mort -

Les mauvais traitements dans les hôpitaux militaires syriens, notamment Techrine, étaient connus selon les défenseurs des droits humains.

"Il y avait des médecins dans certains de ces hôpitaux militaires qui aidaient (..) aux interrogatoires et à la torture, et peut-être même refusaient des traitements au détenus", dit à l'AFP Hanny Megally, membre de la Commission d'enquête de l'ONU sur la Syrie.

D'anciens détenus ont raconté à l'AFP que lorsqu'ils étaient portés malades, deux médecins militaires de la prison les examinaient, l'un d'eux battant les prisonniers, parfois à mort.

A l'aller à l'hôpital et au retour à la prison, les gardes les battaient sans relâche.

Dans la prison de l'hôpital, on laissait mourir ceux qui étaient très malades et parfois même on les achevait, selon plusieurs anciens détenus.

Mohammad Najib raconte avoir été soumis, il y a trois ans, avec d'autres codétenus au supplice du la "roue" pour avoir discuté. Ils étaient installés de force dans un pneu, le front contre les genoux ou les chevilles, et frappés.

Un médecin militaire de Saydnaya a d'abord prescrit des analgésiques à M. Najib, avant d'accepter son transfert à l'hôpital Techrine pour des symptômes de tuberculose, une maladie courante dans la terrible prison.

- "Nettoie-le" -

Omar al-Masri, 39 ans, a été transféré à l'hôpital pour une blessure à la jambe causée par les coups, prétendant lui aussi comme d'autres codétenus être venu pour des maux d'estomac et de la fièvre. 

Mais comme sa blessure était visible, le médecin lui a prodigué les soins nécessaires pour la traiter.

Il raconte cependant avoir vécu peu avant une expérience traumatisante dans la prison de l'hôpital où il attendait son tour: un garde lui a ordonné de "nettoyer" un codétenu très malade. Il s'est exécuté, lui essuyant le visage et le corps, mais le garde a répété: "Nettoie-le".

Le prisonnier a rendu son dernier souffle entre ses bras, et lorsque Omar al-Masri a appelé le garde pour l'en informer, il lui a répondu "Bravo".

"J'ai alors compris qu'il voulait que je le tue", a-t-il dit.

Le personnel hospitalier avait ordre de réduire au minimum les conversations avec les détenus, explique à l'AFP un médecin civil. "Nous n'étions pas autorisés à demander le nom du prisonnier ou apprendre quoi que ce soit à son sujet", dit-elle sous couvert d'anonymat.

Oussama Abdel Latif raconte, lui, avoir eu les côtes cassées à Saydnaya après avoir été sévèrement battu, mais n'a été transféré à l'hôpital que quatre mois plus tard.

Il a dû alors entasser, avec ses camarades, les corps de trois codétenus dans le véhicule qui les conduisait à l'hôpital, et les décharger à leur arrivée.

"J'ai été emprisonné pendant cinq ans, mais 250 ans ne suffiraient pas pour parler de toutes ces souffrances", dit-il.

rh/at/feb

© Agence France-Presse

Mohammad Najib, un ex-détenu de la sinistre prison de Saydnaya en Syrie, croyait échapper aux tortures lorsqu'il devait être admis à l'hôpital militaire en raison de son état de santé. Mais il y était battu et devait taire ses blessures.

Libéré quelques heures après la chute de Bachar al-Assad, le 8 décembre, le jeune homme de 31 ans peut à...