
Des soldats libanais se tiennent à côté d’un bâtiment endommagé dans le village de Khiam, dans le sud du Liban, le 23 décembre 2024, après le retrait des forces israéliennes de la zone dans le cadre d’un accord de cessez-le-feu avec le Hezbollah. Photo AFP
Après plus d’un an de guerre au Liban-Sud, débutée le 8 octobre 2023 avec l’ouverture par le Hezbollah d’un « front de soutien » à Gaza, et l’intensification de l’offensive israélienne à l’automne, le parti chiite et l’État hébreu se mettent d’accord, par l’entremise des États-Unis et de la France, pour la mise en place d’un cessez-le-feu le 27 novembre 2024. Celui-ci prévoit l’arrêt des combats, mais également le retrait, dans un délai de 60 jours, de l’armée israélienne du Liban-Sud pour que s’y installe l’armée libanaise.
En place depuis tout juste un mois, ce cessez-le-feu semble toutefois on ne peut plus fragile, tandis que des sources sécuritaires israéliennes ont récemment affirmé au quotidien Haaretz que l’armée de l’État hébreu se préparerait « à la possibilité de rester au Liban-Sud au-delà des 60 jours prévus par l’accord », justifiant cela par la capacité ou non de l’armée libanaise à « reprendre le contrôle total du Liban-Sud ». Jeudi, l’armée israélienne s’est déployée dans la vallée de Wadi Hojeir au Liban-Sud, érigeant un mur de terre pour couper un axe routier et blessant un homme. La veille, une frappe israélienne avait visé la région de Baalbeck, dans la Békaa. En tout, c’est aussi une trentaine de morts, côté libanais, depuis le début de la trêve.
Mais en pleine période de fêtes de fin d’année, et alors qu’une partie de la diaspora a finalement choisi de faire le voyage jusqu’au pays, pour certains, la vie au Liban semble avoir repris son cours. Pour d’autres, plus rien ne sera jamais comme avant.
« Où est passée toute ma vie ? »
Au mois de novembre, la maison de Yehya* a été détruite par une frappe israélienne dans le quartier de Choueifate, en banlieue sud de Beyrouth. Assis à son bureau, la cigarette à la main, il se rappelle du bâtiment en feu, qui s’effondre pierre par pierre, des morceaux de verre qui jonchent le sol. « Où est passée toute ma vie ? Où sont mes souvenirs ? » demande-t-il. Quand on l’interroge sur ce qu’il pense de cet accord de cessez-le-feu, l’homme est catégorique : « Cette trêve, depuis le départ, est vouée à l’échec. » Aux yeux de celui qui dit « n’avoir plus rien à perdre », la trêve est éphémère et la guerre reviendra. Originaire des fermes de Chebaa, territoire contesté entre le Liban et Israël, Yehya doit « tout reconstruire de zéro ».
Rayyan* décrit une sensation similaire, elle qui avait quitté le Liban pour le Nigeria durant le conflit. Qualifiant le fait d’être de retour chez elle, dans la banlieue sud de Beyrouth, de « surréaliste », la jeune femme doit se réadapter à un quotidien au milieu des destructions : « Il y a quelques jours, je voulais passer commande dans un magasin du quartier. Son propriétaire m’a appelée pour me dire que tout avait été détruit. » Pour elle, la mise en place du cessez-le-feu il y a un mois signait également la fin de la guerre, ou en tout cas de « celle à grande échelle ». Pleine d’espoir que la trêve dure, la jeune femme, actuellement à la recherche d’un emploi, constate que les opportunités n’ont jamais été aussi nombreuses : « Le fait que le Liban sorte de la guerre amène les ONG à rechercher du personnel pour de l’humanitaire ou de la réponse d’urgence. »
« À gauche, un Liban ; à droite, un autre »
Pour Edward*, qui a passé la guerre dans un petit village dans les hauteurs à une vingtaine de minutes de Beyrouth, le maintien de la trêve dépendra en partie de la volonté du Hezbollah de rendre ses armes. « Si le parti s’arrête, Israël ne poursuivra pas », dit-il. Le sexagénaire remarque que les sujets de discussion ont changé depuis l’arrêt des combats, autant que l’ambiance dans le pays. Dans son entourage, des citoyens chiites expriment leur ras-le-bol, notamment face au trop peu d’aides financières assurées par le parti. Ainsi, il explique que la milice « ne peut plus avoir les mêmes ambitions » alors que sa base populaire ne veut plus de cette guerre. À ses yeux, le cessez-le-feu est fait pour durer au-delà de 60 jours.
À ses côtés, son fils Charly*, expatrié au Qatar depuis quelques semaines, veut aussi y croire, même s’il constate que le cessez-le-feu n’est pas respecté par Israël. Lui table sur « une phase de transition » durant laquelle des attaques pourraient avoir lieu, sans qu’une guerre totale ne revienne. Durant le conflit, le vingtenaire limitait ses déplacements ; ce n’est plus du tout le cas maintenant. « Je sors et je profite des fêtes, mon état d’esprit a changé », décrit-il.
Tous partagent cette impression de « deux Liban en un » : « Tu tournes la tête à gauche, tu as un Liban. À droite, tu en as un autre », résume Charly. D’un côté, la réalité de Yehya, n’en voulant à personne que la vie continue alors que son monde, avec la guerre, a arrêté de tourner. De l’autre, l’état d’esprit de Rayyan, qui voit en la période des fêtes de fin d’année un prétexte rêvé pour que le pays revienne à la normale. Au milieu, l’envie pour tous d’aller de l’avant : selon les mots de Charly, « cette guerre doit être la dernière ».
*Les noms de famille ont été préservés.
Il n'y a pas lieu d'être optimisteTant qu'Israël existe.
10 h 00, le 29 décembre 2024