
Walid Joumblatt serrant la main d’Ahmad el-Chareh, dimanche à Damas. Photo AFP
« Une double mission accomplie. » C’est par cette expression que le leader druze Walid Joumblatt a résumé sa visite dimanche à Damas et son entretien avec le nouvel homme fort de Syrie, Ahmad el-Chareh.
En effet, pour le leader druze cette visite avait deux volets, un premier personnel et un second concernant la communauté druze. Dans le premier volet, dès le moment où il a franchi le poste-frontière de Masnaa pour entrer en territoire syrien, l’image de son père Kamal Joumblatt assassiné par le régime de Hafez el-Assad en décembre 1977 n’a plus quitté son esprit. Pour lui, c’était important de se rendre le plus rapidement possible en Syrie pour pouvoir enfin tourner définitivement la page de ce drame qui a marqué sa vie et celle de nombre de Libanais, et qui a aussi constitué un tournant dans la vie politique des deux pays. D’ailleurs, comme si Ahmad el-Chareh avait compris l’importance de ce volet pour Walid Joumblatt, c’est lui qui en a parlé d’emblée, en lui disant : « L’ancien régime en Syrie a tué votre père, tout comme il a tué Bachir Gemayel et Rafic Hariri, mais ces pages sont définitivement tournées. » Rien ne pouvait faire plus plaisir à Walid Joumblatt que ces mots... Après cela, la conversation qui a duré près d’une heure dix minutes a pu se dérouler en toute sérénité.
Il faut dire que le terrain avait été bien préparé, malgré le court laps de temps entre la prise du rendez-vous et le déplacement. M. Joumblatt voulait en effet être parmi les premiers à rencontrer Ahmad el-Chareh justement pour la symbolique de cette rencontre, mais aussi pour parler de la situation des druzes et pour adresser un message clair sur le refus de tout projet de partition ou de « cantonisation » qui pourrait toucher cette communauté. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a voulu que le cheikh Akl druze ainsi que d’autres personnalités religieuses fassent partie du voyage. Et, au moment où l’importante délégation qui l’accompagnait était à Damas, un autre cheikh druze, Ghandi Makarem, était délégué à Soueida pour rencontrer les responsables religieux sur place.
Le rendez-vous de Joumblatt était fixé pour 13h (heure de Damas, 12h au Liban). Mais il a été convenu que l’importante délégation médiatique précède le convoi officiel sur place. Les voitures emmenant 26 journalistes de différents médias sont arrivées au poste-frontière syrien vers midi et elles ont été immédiatement entourées par une escorte sécuritaire qui les a menées jusqu’au palais présidentiel. Là, les mesures étaient strictes et chaque nom a été vérifié. Un journaliste roumain qui essayait de se joindre au groupe a été poliment écarté. Le nouveau responsable média du palais, Abou Firas, a pris en charge la délégation à laquelle se sont joints 11 journalistes qui étaient déjà à Damas.
M. Joumblatt et la délégation politico-religieuse qui l’accompagnait sont arrivés à 12h30, heure syrienne. Ils ont toutefois dû attendre jusqu’à 13h20 pour qu’Ahmad el-Chareh fasse son entrée, car, entre-temps, une délégation surprise est arrivée de Riyad pour une rencontre urgente. Il y en avait d’ailleurs une autre qui devait être reçue à 17h le même jour. C’est dire que le nouvel homme fort de Syrie est très sollicité et, pour M. Joumblatt qui a été averti du retard dans l’emploi du temps, c’est un bon signe.
Pour bien marquer l’importance du volet communautaire de cette rencontre, Joumblatt a demandé au cheikh Akl, Sami Aboul Mouna, de parler en premier. M. Chareh a rappelé que son arrière-grand-père a combattu au Golan contre les Français, d’où son propre surnom de « Jolani ». Il a voulu ainsi marquer le fait que les relations sont historiques avec les druzes en général, lesquels ont participé à la révolution en Syrie à partir de 2011.
Au départ, il était prévu qu’il y aurait un aparté entre Walid Joumblatt et Ahmad el-Chareh au cours duquel le premier remettrait un mémorandum de 13 points qui résument sa vision des relations qui devraient s’établir entre le Liban et la Syrie. Mais ce scénario a été abandonné pour que la rencontre avec Joumblatt reste élargie. Il y a même eu un petit moment d’échanges directs entre certains journalistes qui accompagnaient le leader druze et le dirigeant syrien qui n’avait d’ailleurs aucun papier devant lui. Ce sont sans doute des détails, mais comme tout est désormais nouveau dans ce palais qui avait été construit pour les Assad, ils ont leur importance.
En tout cas, les présents ont exprimé par la suite la bonne impression que leur a faite Ahmad el-Chareh, qui a tenu à se montrer à égale distance de toutes les composantes libanaises, y compris les chiites. Il a certes lancé une petite pique à l’égard de ceux qui en sont encore au passé et veulent « combattre les Omeyyades à Damas » pour une tragédie (Kerbala) qui remonte à 1 400 ans. Mais il a insisté sur le fait qu’il compte traiter avec toutes les composantes libanaises à travers l’État.
M. Chareh a voulu montrer qu’il n’avait pas l’intention d’intervenir dans les questions internes libanaises et qu’il comptait établir des relations d’État à État. Ce qui répond à l’un des points figurant dans le mémorandum de Joumblatt qui prévoit que les relations entre le Liban et la Syrie passent par les ambassades des deux pays et non plus à travers les structures parallèles comme le Conseil supérieur libano-syrien. Pour confirmer cette volonté syrienne, il n’a donc pas été question du dossier des prisonniers islamistes au Liban, ni de la présidentielle libanaise. Par contre, il a été question du fait que tant que les autorités syriennes n’ont pas envoyé à l’ONU les documents nécessaires sur la « libanité » des fermes de Chebaa, celles-ci resteront sous le coup de la résolution 242 et sont donc considérées syriennes. De même, la question du tracé de la frontière entre le Liban et la Syrie, qui figure dans le mémorandum de M. Joumblatt, a aussi été évoquée, ainsi que la fermeture des points de passage clandestins. D’autres points figurent aussi dans le mémorandum tous portant sur des questions communes libano-syriennes comme le dossier des disparus, la nécessité de faire des procès équitables pour ceux qui ont commis des crimes contre les Libanais et le dossier des réfugiés syriens.
Pour Walid Joumblatt, il ne s’agissait nullement de devancer ou de prendre la place de l’État libanais, mais plutôt de jeter les bases d’une relation assainie avec les nouveaux dirigeants de la Syrie.
Joyeux noel Scarlett Haddad La visite éclair de joumblatt a donné l’impression qu’il représentait l’État libanais . Mais visiblement, iI n’a consulté aucune autorité politique avant de se précipiter dans les bras du nouveau dirigeant de Damas.
11 h 37, le 25 décembre 2024