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Culture - Exposition

Admirer les sculptures de Joseph el-Hourany puis en déchiffrer les messages cachés

À la Saleh Barakat Gallery, cet artiste-architecte présente sa dernière cuvée d’œuvres : de totémiques sculptures recelant de secrètes calligraphies d’adages arabes.


Admirer les sculptures de Joseph el-Hourany puis en déchiffrer les messages cachés

Une vue des pièces totémiques-calligraphiques de Joseph el-Hourany à la galerie Saleh Barakat. Avec l'aimable autorisation de la galerie

Il n’a pas hésité à exposer ses œuvres en pleine période de guerre, durant les jours sombres d’un mois de novembre sous les bombes où la préoccupation première des habitants de Beyrouth n’était pas de faire la tournée des galeries. Sauf que pour Joseph el-Hourany, architecte et sculpteur, rompu aux aléas de la situation sécuritaire au Liban, l’essence de l’art est justement dans la faculté à se jouer des contraintes. Celles de la vie comme celles qui surgissent sous son burin…

« Quand Saleh Barakat m’a proposé d’avancer la date de mon exposition, prévue à l’origine pour juin 2025, parce qu’il avait envie me disait-il d’opposer au désastre de la guerre la force vive de l’art, je n’ai pas hésité une seule seconde. Je me suis attelé à terminer durant de longues nuits sans sommeil les dernières pièces prévues. Tout en sachant que mon travail risquait de ne pas atteindre son audience, en raison des événements. Mais qu’à cela ne tienne !» lance avec fougue cet artiste pour qui le travail du bois est avant tout un exutoire personnel, un lieu où sa réflexion intellectuelle rencontre sa quête de poésie.

Car sous les ciseaux de Hourany les longs blocs de bois brut se creusent, s’incurvent, s’animent de mille figures géométriques et organiques entremêlées-superposées pour former des colonnes labyrinthiques desquelles émergent, sous différentes facettes, des portraits secrets et des préceptes arabes calligraphiés.

Des totems, des figures et des strates

Au premier coup d’œil on ne voit que les sculptures totémiques : ces tours en bois, longilignes, souvent hautes de plus d’un mètre cinquante, grouillantes de formes sculptées d’un seul tenant. Ces tours parfois « habitées » d’éléments figuratifs évocateurs de gargouilles contemporaines et de visages primitifs, d’autres fois « construites » en segments entrecroisés et configurations nettement plus abstraites, sont dressées comme des ifs au centre de la grande salle d’exposition de la galerie Saleh Barakat à Clemenceau. Du bois d’if cependant, le sculpteur n’a  nullement fait usage, préférant les déclinaisons de chêne, de hêtre, de noyer, d’iroko, d’acajou ou de sapin, toutes ces essences qui lui permettent de « colorer avec des formes », comme il aime le répéter.

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Ce n’est qu’en deuxième lieu qu’on aperçoit la série de bas-reliefs en bois ciselé accrochés sur les murs. Des pièces évocatrices de strates archéologiques, de territoires éclatés, sans doute aussi d’édifices effondrés qui ne seraient pas sans lien avec la destruction de son atelier d'architecture après l'explosion du port de Beyrouth.

Quel qu’en soit le sujet, elles recèlent toutes quelque chose qui les transcendent. Cette spiritualité infuse qui supplée la matérialité du médium. Cette poésie élusive qui fait la différence entre prouesses artisanales et créativité artistique.

« Souris dans la défaite et sois modeste dans la victoire »

Mais pour capter la magie qui s’en diffuse, il faut s’en approcher, examiner l’enchevêtrement des lignes ciselés, l'interaction des creux et des protubérances, l'articulation rythmique des formes, souvent répétitives, pour déceler sous cette esthétique particulière (empruntant au modernisme occidental et aux motifs ornementaux orientaux) les citations calligraphiées que Joseph el-Hourany y a incisé. Des dictons de sagesse arabe qui sont à l’origine de cet ensemble de pièces qui lui ont nécessité plus de trois ans de labeur assidu. Et dont les croquis préparatoires, placés sur des présentoirs ceinturant l’espace de la grande salle d’exposition, déroulent les différentes facettes de ce travail exigeant.

Car le défi était de joindre dans une même pièce, « sur deux plans perpendiculaires adjacents, le kufi géométrique au diwani organique », explique l’artiste, qui a utilisé, signale-t-il, plusieurs styles calligraphiques « allant du kufi archaïque jusqu’au kufi moderne, en passant par le nas’khi, sunbouli, diwani, thulth, taaliq et roqaa ». Et cela en s’astreignant à rendre les phrases ciselées dans le bois lisibles sur les quatre facettes. En dépit des inévitables échardes et autres accidents auxquels il devra faire face dans sa taille de cette matière vivante qui, imposant sa structure interne, ses couleurs et son grain, prendra parfois le dessus pour donner naissances à des formes imprévisibles.

« Ibtassem 3inda al-Hazima wa Tawadaa 3inda al-Nasr » (Souris dans la défaite et sois modeste dans la victoire) ; « Bala’ al-Inssan min al-Lissan » (C’est sa langue qui mène l’homme à sa perte) ; « Al-Qana3a Kanzon la Yafna » (Se contenter de peu est un trésor inaltérable) ; « Istaghni ! Faman Taraka Malaka » (Renonce. Qui abandonne s’enrichit) ; « Massa3eb Qaoumon 3inda Qaoumen Fawa’ed » (Les malheurs des uns sont les bonheurs des autres) ou encore « Bala’ al-Inssan min al-Inssan » (Le malheur de l’homme vient de l’homme)…Voilà quelques-uns des dictons que Joseph el-Hourany a glissé dans ses sculptures totémiques.

Conscient cependant que le déchiffrage de ses maximes de sagesse n’est pas chose aisée pour des non-initiés, l’artiste reprend à son compte un commentaire d' Henry Moore : « Un observateur sensible de la sculpture doit également apprendre à ressentir la forme simplement comme forme, et non comme description ou réminiscence »…

Assurément intellectuel, cet artiste qui ponctue constamment son discours de références architecturo-philosophico-linguistiques de haut vol est, paradoxalement, intensément un manuel. Qui insiste sur la dimension artistique de son travail de taille directe portée à son suprême. « À travers cette exposition, je voulais démontrer que ce qui est réalisé de manière purement manuelle peut encore de nos jours concurrencer la technologie et l’intelligence artificielle », révèle-t-il.

Une exposition à visiter jusqu’au 21 décembre à la galerie Saleh Barakat. D’autant qu’elle est accompagnée, dans le petit espace de la Upper Gallery, d’un accrochage des peintures de Guvder, le professeur de Joseph el-Hourany à l’ALBA, son mentor, auquel il voue un infini respect.

Carte de visite

Joseph el-Hourany est architecte et urbaniste de profession. Il enseigne également et donne des conférences dans différents instituts de recherche et universités. Il a à son actif de nombreuses publications spécialisées dont The Future of the Past chez John Carswell en 2003, un ouvrage sur Guvder en 2012 et un autre sur Henri Eddé architecte moderne en 2019. Il a participé en 1999 au Symposium international de sculpture d’Aley mais n’a commencé à véritablement exposer qu’à partir de 2021, lorsque le galeriste Saleh Barakat le convainc de dévoiler, dans sa galerie éponyme de Clemenceau, le fruit d’années de pratique dans le secret de son atelier. Suivront ensuite des participations à des expositions collectives à l’Institut du monde arabe à Paris (2021), ainsi qu’annuellement à la foire d’art d’Abou Dhabi, à Art Dubai, à la MENART Paris (2021 et 2022) et Bruxelles (2022). En 2023, il est élu président de l’Organisation des architectes arabes.

Il n’a pas hésité à exposer ses œuvres en pleine période de guerre, durant les jours sombres d’un mois de novembre sous les bombes où la préoccupation première des habitants de Beyrouth n’était pas de faire la tournée des galeries. Sauf que pour Joseph el-Hourany, architecte et sculpteur, rompu aux aléas de la situation sécuritaire au Liban, l’essence de l’art est justement...
commentaires (1)

Magnifiques œuvres qui expriment le courage de l'artiste, peut-être aussi la complexité du monde, en tout cas la force et l'intérêt de construire dans le plaisir de l'invention : MERCI

Cartier Murielle

17 h 41, le 07 décembre 2024

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Commentaires (1)

  • Magnifiques œuvres qui expriment le courage de l'artiste, peut-être aussi la complexité du monde, en tout cas la force et l'intérêt de construire dans le plaisir de l'invention : MERCI

    Cartier Murielle

    17 h 41, le 07 décembre 2024

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