Les regards étaient braqués mercredi sur Bkerké où les chefs religieux se sont réunis sous la houlette du patriarche, Béchara Raï, pour prendre une position unifiée à l’égard de la guerre au Liban. Mais c’est surtout le président du Conseil supérieur chiite, le cheikh Ali Khatib, qui était la vedette de l’événement. Et pour cause : il s’agit du premier signe d’ouverture de cette communauté, en particulier du Hezbollah, à l’égard de l’Église maronite après des mois de froid, le patriarche Raï ayant violemment critiqué à plusieurs reprises la décision unilatérale du parti de Dieu d’entraîner le pays dans la guerre contre Israël en soutien au Hamas.
Le sommet de Bkerké est intervenu sur fond de sérieux revers subis par le parti chiite sur le terrain. De quoi pousser le cheikh Khatib, et derrière lui le Hezbollah, en quête d’une couverture nationale, à avaliser le communiqué publié à l’issue de la réunion. Y figurent des points portant sur la présidentielle et, surtout, l’application de la résolution 1701 (2006) du Conseil de sécurité « dans son intégralité », en référence notamment à l’appel de ce texte onusien au retrait du Hezbollah des zones du sud du Litani mais aussi à l’arrêt des violations israéliennes de la souveraineté libanaise.
La réunion s’est tenue en présence du nonce apostolique au Liban, Paolo Borgia, et de plusieurs figures proches des instances religieuses. Peu avant le début de la rencontre, le chef de l’Église maronite a réservé un accueil chaleureux à ses convives, notamment le cheikh Khatib. « Nous ne voulions pas boycotter le sommet spirituel qui se tient dans des circonstances difficiles », explique à L’Orient-Le Jour un proche du Conseil supérieur chiite. Fait notable : le mufti jaafarite, le cheikh Ahmad Kabalan, perçu comme un porte-parole officieux du Hezbollah chargé de répondre au patriarche maronite, faisait partie de la délégation du Conseil supérieur chiite, apprend-on auprès de l’un des participants à la réunion.
De toute évidence, la démarche de Bkerké reflète une volonté de renvoyer une image d’unité, à l’heure où les craintes se font sentir quant à une possible marginalisation de la communauté chiite suite à un éventuel affaiblissement de ses représentants politiques. C’est d’ailleurs autour de ce point que s’est articulée l’allocution du prélat à l’ouverture de la réunion. « Ce sommet religieux est une occasion de débattre d’une manière responsable, et avec fraternité, sans que personne ne se sente marginalisé ou que certains veuillent faire passer quelques points aux dépens des autres », a-t-il dit, déplorant « une tragédie dont souffrent tous les Libanais ». Après avoir ouvert le bal, le patriarche Raï a donné la parole au reste des chefs religieux. Tous ont plaidé pour un cessez-le-feu immédiat et stigmatisé les agressions israéliennes contre le Liban, déplorant le fait que l’État hébreu transgresse le droit international et les résolutions des Nations unies. Les participants ont également loué la solidarité dont font preuve les Libanais depuis le début de la guerre dans le pays, le 23 septembre dernier.
Compromis à la libanaise
Prenant la parole, le cheikh Khatib a dénoncé « une agression israélienne contre le Liban dans son ensemble », appelant ses homologues à « une position à la hauteur (de la gravité) de la guerre génocidaire menée par Israël ». S’il n’a pas manqué de saluer la mémoire du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah (assassiné le 27 septembre dans une frappe israélienne), et des « hommes courageux de la résistance », le dignitaire chiite a pris le soin d’affirmer que sa communauté n’est pas sortie du cadre de l’État. « Au contraire, nous veillons à l’État, sa force et son pouvoir. Mais c’est lui qui a abandonné, des décennies durant, sa souveraineté et s’est montré incapable de défendre son peuple (…) », a-t-il lancé. Il a dans ce cadre plaidé pour l’édification d’un État « fort et capable » de s’acquitter de ses responsabilités pour préserver la dignité de son peuple. Pour ce faire, il faut, selon le dignitaire chiite, commencer par élire un président de la République « consensuel », qui bénéficierait du soutien de tous les Libanais. Une façon d’appuyer une nouvelle fois le processus initié il y a une quinzaine de jours par le président de la Chambre, Nabih Berry, le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, et le leader druze Walid Joumblatt, en quête d’une entente élargie autour du futur chef de l’État.
Mais si toutes les personnalités présentes mercredi à Bkerké s’accordent sur la nécessité d’élire un tel président, la clause du communiqué final évoquant ce point a fait débat. Selon les informations de L’OLJ, certains chefs religieux ont préféré se prononcer en faveur d’un scrutin en bonne et due forme comme le stipule la Constitution. Un compromis linguistique à la libanaise a finalement été trouvé : le sommet de Bkerké a appelé à l’élection rapide « d’un président qui bénéficierait de la confiance de tous les Libanais, de la plus large entente et du plus grand consensus ».
Quant au reste du communiqué, il serait passé comme une lettre à la poste. Les dignitaires ont avalisé sans réserve le point portant sur « la mise en application de la 1701 dans son intégralité, notamment pour ce qui est du soutien à l’armée et à son déploiement au sud du Litani ». Un point que le cheikh Khatib n'a toutefois pas mentionné dans son allocution. « Nous sommes pour la 1701 parce que nous voulons un cessez-le-feu dans les plus brefs délais », commente la source proche du Conseil supérieur chiite, rappelant que le communiqué de Aïn el-Tiné était, lui aussi, allé dans ce sens. Rejoignant cette dynamique, les chefs religieux ont exhorté le Conseil de sécurité des Nations unies « à se réunir immédiatement et à voter une résolution instaurant un cessez-le-feu », sans oublier d’appeler le gouvernement et le Parlement à « s’acquitter de leurs responsabilités » sur ce plan. Une prise de position qui leur a valu les félicitations de Nagib Mikati qui a salué, selon un communiqué du Sérail, les chefs religieux pour « avoir établi une feuille de route pour la prochaine étape ».
""Après avoir ouvert le bal, le patriarche Raï a donné la parole au reste des chefs religieux"". Au reste des religieux, pour confirmer sa priorité du rôle de prise de parole, lors de l’accueil des invités ? Je ne sais pas si au Liban il y a une supériorité hiérarchique entre les chefs de chapelles religieuses. L’histoire ne dit pas si lors du bal, quelques dignitaires religieux ne sachant sur quel pied danser, avancent masqué par des propos de circonstance. Moralité : se réunir à Bkerké entre chefs religieux est plus concluant qu’on ne le pense, que de se réunir au Parlement…
19 h 33, le 18 octobre 2024