« Un certain visiteur au Liban veut nous donner des leçons en matière de résistance. C’est nous qui pouvons lui administrer ces leçons, pas lui. Nous avons une histoire riche dans ce domaine. » Cette cinglante réplique de Walid Joumblatt aux propos tenus par le ministre iranien des Affaires étrangères devant ses interlocuteurs officiels libanais lors de son bref séjour à Beyrouth à la fin de la semaine dernière laisse entrevoir une évolution des données géopolitiques au pays du Cèdre à la suite des revers subis par le Hezbollah dans la guerre en cours contre Israël.
Elle exprime aussi, à n’en pas douter, un état d’esprit de plus en plus répandu dans le pays – et désormais assumé, y compris dans les sphères gouvernementales – par rapport à la légitimité ou la pertinence de l’action de l’axe iranien, en particulier sa focalisation sur le théâtre libanais, éternel payeur prioritaire du conflit israélo-palestinien. Ainsi, dans une déclaration à une chaîne arabe, le ministre libanais de l’Économie, Amine Salam, a jugé mardi « inacceptable qu’un responsable étranger dicte au Liban ce qu’il doit faire ou ne pas faire » : une première venant d’un gouvernement porté à bout de bras jusqu’ici par le tandem chiite Hezbollah-Amal.
Le chef de la diplomatie iranienne était venu recadrer quelque peu les dirigeants libanais – essentiellement le Premier ministre sortant Nagib Mikati et le président de la Chambre Nabih Berry – après leur tentative commune, aux côtés de M. Joumblatt, de dissocier de Gaza le « front de soutien » du Liban-Sud, ouvert par le Hezbollah le 8 octobre 2023. Mais ce sont bien entendu les signaux envoyés par le chef druze qui attirent le plus l’attention des observateurs, Walid Joumblatt étant généralement considéré comme un capteur avisé et subtil des transformations géopolitiques dans un sens comme dans l’autre.
Outre ses propos sur la pédagogie de la résistance tenus lors d’une réunion interdruze à Chanay, dans le caza de Aley, l’ancien président du Parti socialiste progressiste est revenu à la charge ultérieurement dans le cadre de l’émission d’Albert Kostanian sur la LBCI. Il y a réclamé explicitement une dissociation des volets libanais et gazaoui ; une application intégrale de la résolution 1701 du Conseil de sécurité, qui prévoit notamment le retrait du Hezbollah des zones au sud du Litani ; le déploiement de l’armée libanaise dans ces secteurs et, puis, à terme, la mise en œuvre de la résolution 1559, véritable bête noire du Hezb. Ce texte, qui date de 2004, exige en effet le désarmement des « milices libanaises et non libanaises » au pays du Cèdre.
Que le chef druze décide aujourd’hui de déterrer la 1559, jetée par quasiment tout le monde au fond d’un tiroir il y a seize ans, après le coup de force milicien du Hezbollah à Beyrouth et dans la Montagne du 7 mai 2008, en dit long sur les changements qu’il décèle dans les rapports de force locaux et régionaux, et en particulier sur l’évolution du Hezb, dont il anticipe clairement la débâcle militaire finale, notamment en n’excluant pas que l’armée israélienne parvienne aux portes de Beyrouth, comme en 1982.
S’agirait-il d’un énième « retournement » opportuniste du leader de Moukhtara, comme beaucoup de Libanais le pensent ? Ce serait méconnaître le personnage et, surtout, mal connaître la situation de sa communauté dans la géopolitique libanaise. Au Liban, un chef chrétien, sunnite ou chiite peut se permettre un manque de souplesse dans ses prises de position, dans la mesure où il dispose d’un espace de repli communautaire plus ou moins conséquent, géographiquement parlant : le chrétien d’Achrafieh à Bécharré, le sunnite au Liban-Nord et dans la Békaa centrale (sans parler de l’océan sunnite alentour), le chiite au Sud, à Baalbeck-Hermel et dans la banlieue sud de Beyrouth. L’espace druze, lui, est exsangue, puisque cette communauté est minoritaire dans son propre fief. Mais ce n’est pas tout. Cet espace est situé au cœur du pays ; de ce fait, il constitue un obstacle à l’union des trois fiefs chiites mentionnés plus haut. Ces raisons et bien d’autres encore, liées à la spécificité du leadership joumblattiste et à son désir constant de transcender l’exiguïté de la base communautaire pour atteindre une dimension nationale libanaise, panarabe et même internationale, font que le leader druze se doit d’être toujours plus attentif que les autres aux évolutions géopolitiques.
Après le 8 octobre 2023, Walid Joumblatt a fait un pas en direction du Hezbollah en se fondant sur le soutien à la cause palestinienne. Aujourd’hui, au vu de l’escalade israélienne qui fait payer un prix trop élevé au Liban et des graves revers de la milice pro-iranienne, il refait le chemin inverse. Voilà tout.
Rassurer les chiites
Mais ce repositionnement n’exclut pas la prudence. Ce qu’il retire virtuellement au Hezbollah et à l’Iran, le chef druze le donne à Nabih Berry, qu’il considère désormais comme représentant « la majorité des chiites ». Certes, il est en désaccord avec ce dernier au sujet du timing de l’élection présidentielle, dont il réclame la tenue immédiate, « en pleine guerre », alors que le chef du mouvement Amal ne veut pas en entendre parler avant la conclusion d’un cessez-le-feu. Cependant, sur un autre plan, il est en harmonie totale avec son partenaire sur l’élection d’un président de la République « consensuel », donc acceptable pour les chiites.
Au-delà de la question lancinante de l’inclusion de la communauté chiite dans tout projet politique et institutionnel, une nécessité que de nombreux protagonistes libanais donnent le sentiment, du moins verbalement, d’avoir comprise et acceptée, Walid Joumblatt essaie d’aller plus loin. Au public du Hezbollah, il cherche à faire parvenir le message suivant : plus vite vous accepterez la défaite militaire du parti, plus important sera votre rôle politique dans le Liban de demain, aux côtés des autres composantes libanaises. Une façon de rassurer ce public en déplaçant le centre de gravité vers Nabih Berry. Cela peut certes déplaire à beaucoup de Libanais, mais cela veut dire aussi que le Liban se sera libéré de l’emprise iranienne.
a l'orient le jour, arrêtez de donner de l'importance à ces gens qui ont détruit le pays... ARRETEZ....
19 h 33, le 09 octobre 2024