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La déraison du plus fort

Lundi, une bonne partie de la planète se faisait un devoir de partager avec Israël la douloureuse évocation de ce fracassant 7 octobre 2023 qui voyait le Hamas palestinien forcer les murs d’une forteresse réputée imprenable. Par contre, il n’y avait pas grand monde autour de nous hier pour déplorer le fol pari que lançait le Hezbollah en ouvrant, dès le lendemain de la sanglante irruption, un front de soutien à la bande de Gaza sur laquelle Benjamin Netanyahu passait déjà sa soif de vengeance.

Durant l’année écoulée, les enjeux n’ont cessé de grossir et les enchères de monter. En attendant de réduire totalement Gaza, c’est en Cisjordanie occupée qu’Israël stimulait sa colonisation rampante ; mais c’est vers le Liban qu’il déplaçait graduellement l’essentiel de ses efforts militaires. Prévisible pour qui voulait seulement ouvrir les yeux, clairement annoncée pour qui voulait bien entendre, la guerre n’a jamais été imaginée pourtant, par le pouvoir libanais, que comme quelque coup bas que nous porterait la fatalité. Maintenant que la guerre est là et qu’elle fait rage, c’est avec le même fatalisme, le même décalage par rapport à l’événement que le Liban officiel s’aperçoit que l’offensive visant le Hezbollah jouit visiblement d’un large soutien international. Et qu’aux yeux des puissances, même les mieux disposées à notre égard, un cessez-le feu peut bien attendre qu’ait été accompli le travail.

En attendant, c’est ailleurs que se concentrent les préoccupations des puissances, sur les risques d’embrasement de tout le Proche et le Moyen-Orient, d’un choc frontal entre ces électrons libres jusqu’à la déraison que sont Israël et l’Iran. Se voulant modernes de par leur formidable arsenal tous deux sont habités des mêmes mythes millénaires. Pour Netanyahu parti en battle-dress à la reconquête de sa popularité et rêvant d’éclipser un jour David Ben Gourion, c’est celui de la vocation biblique sur la Palestine : et même, si possible, de l’autre côté du Jourdain ou jusqu’aux rives du fleuve Litani. De son côté, le régime théocratique d’Iran a repris à son compte les ambitions du chah, à cette différence près que ses visées hégémoniques sont assorties cette fois du puissant ascendant religieux prêté au guide suprême censé refléter la volonté divine ; Hassan Nasrallah ne se vantait-il pas tout haut ainsi de son statut de simple soldat aux ordres de Khamenei ?

Toujours est-il que c’est avec la plus grande anxiété que le monde attend de voir ce que sera la riposte de Tel-Aviv aux tirs de missiles iraniens de la semaine dernière, lesquels répondaient eux-mêmes à l’élimination des chefs du Hamas et du Hezbollah. Jamais en fait préparatifs militaires israéliens n’auront fait l’objet de concertations plus étroites et plus prolongées avec les États-Unis, qui redoutent de voir leur protégé pousser le bouchon trop loin en attaquant les installations nucléaires ou pétrolières de la République islamique. Car même si la plupart des missiles sont interceptés par les défenses antiaériennes, preuve est faite chaque jour un peu plus que les engins rescapés sont tout de même capables d’arriver à destination. Israël ne devrait pas être seul à s’en inquiéter d’ailleurs ; outre les sites sensibles de Haïfa l’Iran, tel un taureau blessé et furieux, pourrait s’en prendre aux puits des royaumes pro-occidentaux du Golfe. Davantage que le brasier de Gaza et l’incendie du Liban, c’est la vision apocalyptique de tous ces derricks, raffineries, centres de stockage et autres temples dédiés au dieu pétrole et devenus la proie des flammes, c’est le chaos qui en résulteraient pour l’économie mondiale qui donnent des cauchemars aux puissances et les incitent à prêcher la modération.

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Plus immédiates et pressantes restent bien entendu nos angoisses spécifiquement libanaises. Il s’avère qu’Israël détenait depuis des années, donc bien avant l’affaire de Gaza, les moyens et la documentation lui permettant de régler ses vieux comptes avec le Hezbollah. Des mois durant, l’ennemi aura donné l’illusion de se satisfaire plus ou moins de la singulière partie de ping-pong que croyait naïvement lui avoir imposée, avec ses règles d’engagement, le Hezbollah. La simulation, cette ruse de guerre vieille comme le monde a fait son œuvre ; et pour donner l’estocade Netanyahu, déjà caracolant comme en terrain conquis à Washington, aura attendu les toutes dernières semaines de la campagne présidentielle américaine où l’on voit les deux candidats en lice rivaliser de zèle en faveur de l’État hébreu. D’autant plus surréelle paraît dès lors, en contraste, l’impréparation de la milice face aux situations les plus extrêmes.

Autant que de ses propres fantasmes le Hezbollah a-t-il été victime de l’indécision de ses patrons de Téhéran, écartelés entre ardeurs guerrières et recherche d’une entente avec les États-Unis ? C’est la première de ces options qu’est venu prêcher à Beyrouth même le ministre iranien des AE alors même que les autorités légales venaient de se prononcer pour la nécessité d’un cessez-le-feu, hors de tout règlement de la crise de Gaza. En dépit de cette impudence diplomatique cependant quelque chose vient incontestablement de changer, et pas seulement au sein d’un pouvoir libanais traditionnellement peu enclin aux coups d’éclat. Deux députés du Hezbollah ont pris l’initiative de donner le ton et, hier même, c’est le numéro deux de la milice en personne qui acquiesçait à un arrêt des hostilités. À cette fin, et sans pour autant jeter l’éponge ni remettre en cause sa fidélité à l’Iran, le cheikh Naïm Kassem s’en est remis aux bons soins du grand frère, le président de l’Assemblée, étroit allié du Hezbollah.

Toute guérilla doit évoluer au sein de la population comme un poisson dans l’eau, selon le slogan de Mao. La mare chiite ayant été portée à ébullition par un implacable ennemi, c’est l’indéboulonnable Nabih Berry qui semble paré pour la pêche miraculeuse.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Lundi, une bonne partie de la planète se faisait un devoir de partager avec Israël la douloureuse évocation de ce fracassant 7 octobre 2023 qui voyait le Hamas palestinien forcer les murs d’une forteresse réputée imprenable. Par contre, il n’y avait pas grand monde autour de nous hier pour déplorer le fol pari que lançait le Hezbollah en ouvrant, dès le lendemain de la sanglante...