Alors que le Liban accueille plus d’un million de réfugiés syriens depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011, c’est maintenant au tour de la Syrie de voir des milliers de familles syriennes, mais aussi libanaises, affluer à sa frontière pour fuir la guerre qui s’intensifie entre le Hezbollah et Israël.
Jusqu’au 2 octobre, le nombre total de personnes déplacées fuyant le conflit en cours au Liban s’élevait à environ 1 200 000, selon un rapport du coordinateur du comité d’urgence gouvernemental libanais, le ministre sortant de l’Environnement Nasser Yassine. La plupart de ces déplacés se sont réinstallés avec leurs familles dans des habitations qu’ils possèdent dans d’autres régions, ou dans des hôtels et des appartements loués, a affirmé M. Yassine. D’autres ont quitté le pays par avion ou sont entrés en Syrie par voie terrestre.
« L’enfer se déchaîne au Liban »
Lundi, les autorités libanaises ont rapporté que plus de 400 000 personnes ont fui le Liban vers la Syrie entre le 23 septembre, jour où Israël et le Hezbollah libanais sont entrés en guerre ouverte, et le 5 octobre. Elles précisent qu’il s’agit de « 300 774 Syriens et de 102 283 Libanais », alors que le Haut-Commissariat pour les réfugiés de l’ONU (HCR) rapporte que des Palestiniens, Soudanais, réfugiés et ressortissants d’autres pays ont également traversé la frontière.
Le 8 octobre 2023, le Hezbollah a ouvert un « front de soutien » avec le Hamas à Gaza le long de la frontière israélo-libanaise, en lançant ses premiers missiles sur les positions israéliennes dans les fermes occupées de Chebaa. Les deux parties ont échangé des tirs transfrontaliers pendant 11 mois avant que l’escalade israélienne du 23 septembre ne déclenche la guerre actuelle élargie au Liban. « L’enfer se déchaîne au Liban », a prévenu le chef de l’ONU, Antonio Guterres, avertissant que l’intensité des échanges a atteint des niveaux sans précédent. Au moins 1 200 personnes ont été tuées au Liban par l’armée israélienne au cours des deux dernières semaines, et plus de 2 000 depuis le début de la guerre il y a un an.
Fuir sous les bombardements israéliens
Aujourd’hui, de nombreuses familles syriennes, dont beaucoup vivaient dans des conditions précaires au Liban après avoir fui la guerre civile qui ravage leur pays depuis 2011, sont de nouveau contraintes de partir sous les bombes.
« Ma maison à Homs a été bombardée et détruite. Je n’ai plus rien en Syrie », raconte Abdallah Hamoud, un Syrien père de cinq enfants qui travaillait comme ouvrier du bâtiment au Liban-Sud. « Nous n’avons même pas eu le temps de rassembler nos affaires. Nous n’avons rien d’autre que notre famille et Dieu », déplore-t-il. Le fils de Abdallah, âgé de sept ans, souffre d’asthme et est particulièrement sensible aux fumées toxiques dégagées par les bombardements.
Alors que l’afflux de réfugiés et déplacés vers la frontière syrienne se poursuit, les conditions sur place sont de plus en plus dangereuses. De longues files de véhicules s’y forment pendant des heures, alors que certains se résignent à traverser la frontière à pied. Le 3 octobre, l’armée israélienne a accusé le Hezbollah de faire passer des armes en contrebande par le poste-frontière de Masnaa, avant de mener un bombardement le soir même sur la route qui y mène, du côté libanais. La frappe a creusé un cratère de quatre mètres, bloquant la route aux automobilistes, a expliqué le ministre libanais sortant des Transports, Ali Hamiyé, à Reuters.
Khalil Hamoud, un agriculteur syrien vivant à Ansar, dans le caza de Nabatiyé au Liban-Sud, explique à L’Orient Today que son trajet jusqu’à Beyrouth avait duré huit heures. Ses cinq enfants et lui ont été contraints de dormir sur une aire de parking avant de prendre un bus pour la Syrie à 5 heures du matin le lendemain. « Le voyage jusqu’à Chtoura (dans le caza de Zahlé) n’a duré qu’une heure et demie, mais il a fallu sept heures pour franchir la frontière de Masnaa, et cinq autres heures pour atteindre le domicile de mon frère », dans la campagne d’Alep, se plaint-il.
De nombreuses familles libanaises ont également fui vers la Syrie. Ali el-Amine, étudiant en génie civil à l’Université Phoenicia, a fui le village de Chakra, dans le caza de Bint Jbeil. Il prévoyait initialement de rester à Rayak, dans la Békaa. Mais quelques jours plus tard, les bombardements israéliens ont atteint le village où se trouvaient sa famille et celle de son oncle, les obligeant à fuir à nouveau, cette fois vers la Syrie. « Nous avons estimé que la Syrie était la meilleure option, car mon oncle avait un ami là-bas qui a offert de nous loger chez lui gratuitement. Au Liban, les prix des loyers sont montés en flèche avec la guerre », explique-t-il. La famille vit désormais à Damas, près du sanctuaire de Sayyida Zeinab, un lieu saint chiite où le Hezbollah est présent. Israël a déjà frappé ce quartier à plusieurs reprises.
Le HCR et le Croissant-Rouge syrien
Sur le terrain, le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations unies (HCR) travaille aux côtés du Croissant-Rouge arabe syrien pour fournir des produits de première nécessité tels que de la nourriture, de l’eau, des matelas et des couvertures aux personnes qui traversent la frontière. « Beaucoup devront passer la nuit dehors en attendant leur tour », prévient Roula Amine, porte-parole du HCR, dans un rapport. « Nous sommes très reconnaissants (pour cette aide), car le voyage a été long et pénible et mes enfants avaient faim et soif », raconte Khalil Hammoud.
Si la porte-parole du HCR évoque la présence d’ONG du côté syrien de la frontière qui aidaient les populations à trouver des abris, l’Unicef plaide pour plus d’abris et de fonds pour soutenir les familles déplacées. Le gouvernement syrien, lui, aurait mis en place des mesures pour faciliter le passage de la frontière. Juste un jour avant l’escalade majeure, le président syrien Bachar el-Assad a publié un décret législatif accordant une « amnistie générale » pour les militaires déserteurs et les crimes mineurs commis avant le décret, avait rapporté l’agence de presse officielle SANA.
Des Syriens solidaires de ceux qui fuient
Les Nations unies et diverses organisations de défense des droits de l’homme ont depuis longtemps mis en garde contre les dangers auxquels sont exposés les Syriens qui traversent la frontière pour retourner dans leur pays d’origine. Dans les zones contrôlées par le régime Assad, mais aussi celles de l’opposition, de nombreux Syriens sont confrontés à la conscription forcée, à la détention sans inculpation, à la torture et à l’enlèvement.
Jusqu’au 30 septembre, les citoyens syriens qui voulaient entrer en Syrie devaient échanger 100 dollars contre des livres syriennes. Cette mesure visait à stabiliser la monnaie national en lambeaux. Toutefois, l’afflux massif de Syriens à la frontière a entraîné une pénurie de livres, poussant les autorités à annuler cette mesure.
Alors que l’incertitude guette les familles fuyant le Liban, des Syriens font preuve de solidarité. De nombreux habitants se mobilisent ainsi pour aider ceux qui sont dans le besoin, en partageant leurs ressources et en leur fournissant un abri lorsque c’est possible. « Les gens d’ici sont extrêmement gentils, affirme Ali el-Amine. Ils essaient d’aider de toutes les manières possibles. Des personnes au hasard nous ont donné leur numéro, nous demandant de les contacter si nous avions besoin de quoi que ce soit pendant notre séjour ici. »
La guerre en cours en Syrie présente son propre lot de défis pour les déplacés et les réfugiés qui y retournent. « Je n’ai pas l’intention de retourner en Syrie. Je ne fais pas confiance à la dernière décision du régime », confie un ressortissant syrien sous couvert d’anonymat, en référence à l’amnistie du régime Assad. « Je ne veux pas disparaître », lâche-t-il. « Même si une guerre totale se produit au Liban, le Liban restera mieux que la Syrie », estime pour sa part un Libano-Syrien, lui aussi sous couvert d’anonymat.
300 774 Syriens sont retournés chez eux, où l'herbe semble plus verte qu'ailleurs. En définitive nous nous inquiétions inutilement pour nos "frères" En guise de cadeau de retour, les citoyens syriens qui voulaient entrer en Syrie devaient échanger 100 dollars contre des livres syriennes, la mesure a été annulée... le monde à l'envers. Quand il y a une réelle volonté politique de faire avancer les choses, et bien non, c'est la guerre qui les y a contraints de rentrer...
07 h 50, le 09 octobre 2024