Hussein* a décidé de rester à Hay el-Sellom, dans la banlieue sud de Beyrouth, alors que son épouse Siham** et leur fille de 25 ans ont trouvé refuge à Tripoli, au Liban-Nord, chez des amis. Agent de sécurité de 58 ans, il doit se rendre quotidiennement sur son lieu de travail dans la capitale pour nourrir sa famille. « Il se sacrifie pour 300 dollars par mois, pour pouvoir acheter du pain… » souffle Siham, la cinquantaine, au bout du fil, ne souhaitant pas communiquer le numéro de son mari. « On ne sait pas qui nous parle. J’ai peur pour lui », explique-t-elle.
La banlieue sud a vécu sa nuit la plus violente mardi. L’aviation militaire israélienne a pilonné des quartiers résidentiels jusqu’à l’aube, notamment à Hadath et Choueifate. Depuis une dizaine de jours, l’État hébreu bombarde quasi quotidiennement cette région, considérée comme le fief du Hezbollah contre qui il est en guerre depuis le 8 octobre, dans le sillage du conflit à Gaza.
La violence est montée crescendo le 17 septembre, date des explosions en série de milliers de bipeurs et de talkies-walkies de membres du parti chiite le lendemain, suivies trois jours plus tard d’une frappe particulièrement meurtrière sur la banlieue sud. La situation s’est aggravée le 27 septembre lorsque l’armée israélienne a largué des dizaines de tonnes de bombes sur cette même banlieue, tuant le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et pulvérisant des immeubles entiers. Les violences contre ces quartiers et les bombardements incessants sur le Sud et la Békaa ont poussé un million de personnes à fuir. Mais certains n’ont pas vraiment le choix.
Zigzaguer entre les bâtiments détruits
Pour joindre les deux bouts, Hussein travaille entre 14h et 23h. La nuit tombée, alors que les frappes s’intensifient généralement, il zigzague en scooter entre les bâtiments détruits pour rentrer chez lui. « J’ai peur qu’il ait un accident », s’inquiète sa femme. Région densément peuplée, où les cafés et les commerces pullulent en bord de route, la Dahié est devenue l’ombre d’elle-même ces dernières semaines. Avant de rentrer chez lui, Hussein doit faire ses provisions en dehors de la banlieue car « là-bas, il n’y a plus rien d’ouvert ». Il préfère rester chez lui plutôt que de « dormir dans la rue, humilié » et pour assurer la sécurité de sa maison, explique Siham. « Il y a de plus en plus de vols depuis que la ville s’est vidée », assure-t-elle. Mardi soir, Siham a eu la peur de sa vie pour son époux. « Il est entouré de destruction, il n’y a personne là-bas... Les quartiers sont recouverts de fumée », se lamente-t-elle.
Ces dernières nuits, l’armée israélienne a émis des avis d’évacuation « immédiate » sur les réseaux sociaux, avant de bombarder des cibles qu’elle présente comme appartenant au Hezbollah. Mais Hussein ne sait pas lire… Cette guerre « n’a rien à voir avec celle de 2006 » , assure Siham. « On avait tout à l’époque, on arrivait à se réfugier, dit-elle, la gorge nouée. J’ai l’impression que ce n’est que le début, que le pire reste à venir… »
« C’est un devoir humanitaire »
Adam*, employé administratif dans un hôpital de la banlieue sud, a choisi de rester pour les patients qui continuent de venir « lorsque les bombardements s’arrêtent ». « C’est un devoir humanitaire », explique-t-il au téléphone. Ses collègues et lui forment une petite équipe qui dort sur place. La nuit, dans le quartier, les rues sont plongées dans le noir, alors que les bombes israéliennes pleuvent, faisant trembler les murs de l’établissement. « On attend que tout s’arrête pour dormir aux alentours de 4h du matin », raconte-t-il. La journée, des bénévoles viennent leur distribuer des plats. « Certains se rendent dans la capitale pour nous apporter de quoi manger. »
Samar* tient encore sa supérette dans le quartier de Chiyah malgré la situation. « Il faut bien que je gagne ma vie… soupire cette mère de deux enfants, dont l’un est malade. Je ne peux pas m’arrêter, je fais ça pour lui. » Son épicerie reste ouverte jusqu’à 18h, dans l’espoir d’attirer ceux qui viennent sur les lieux pour récupérer de petites affaires. « Nos prix sont moins chers que dans la capitale », explique-t-elle. Son appartement, qu’elle a dû quitter samedi à la hâte, se trouve dans le quartier de Bir el-Abed. Mercredi matin, elle s’y est rendue « en catastrophe » pour récupérer quelques affaires une dernière fois, avant de revenir à Chiyah.
Là-bas, entre les cafés déserts, elle a vu « deux nouveaux bâtiments rasés », où certains de ses clients résident. « Jamais je n’aurais pensé qu’il y aurait une cible là-bas », lance-t-elle. « Si les Israéliens savent qui ou quoi se cache chez nous, nous, de notre côté, nous n’en savons rien. J’ai peur de me retrouver en présence de quelqu’un qui serait visé », admet-elle. « Ce sont des zones résidentielles qu’ils sont en train de bombarder... C’est révoltant ! » s’emporte Samar. Elle en veut aussi à son fournisseur d’internet, qui lui réclame des factures « comme si de rien n’était ».
La quadragénaire a le sentiment que tout a basculé dans la nuit de mardi à mercredi. « J’avais l’impression que c’était la dernière fois que je verrai mon appartement et ma supérette… Que j’allais les perdre à nouveau comme en 2006. On est brisés par ce qu’il se passe… » lâche-t-elle, la gorge nouée.
Dans le quartier de Hazmiyé, épargné par les bombardements mais limitrophe de Hadath, qui a été ciblé la nuit de mardi, Mariam** a été tirée de son sommeil par les frappes israéliennes. La mère et ses trois enfants ont dû s’éloigner des fenêtres et des vitres, craignant les éclats de verre . « Nous étions juste derrière le quartier qui a été touché. Mes enfants étaient tétanisés », raconte l’institutrice. Elle avait pu consulter en ligne l’ordre israélien d’évacuation accompagné d’une carte, « mais cela arrive trop tard et ce n’est jamais clair ». « Nous avons essayé de déchiffrer la carte, de vérifier si nous sommes dans la zone des 500 mètres concernés », explique-t-elle. Mariam a finalement décidé de rester. « Normalement, cette région est hors de danger. Il n’y a pas de Hezbollah ici », affirme-t-elle. La famille a malgré tout préparé ses valises. Au cas où.
*Les prénoms ont été modifiés
**Le nom de famille a été préservé
On a tenu trente ans avec le Hezbollah alors on est bien en moral de résignation et pour avaler les couleuvres!
23 h 32, le 02 octobre 2024