En cette chaude journée d'août, il y a foule devant Le Flocon, un glacier local très apprécié depuis son ouverture en 2017. Discrètement installé à Naccache, dans la banlieue nord de Beyrouth , avec pignon sur rue, les cornets et les coupes valsent autour des clients qui discutent et savourent ce plaisir sucré et glacé.
La crème glacée est sans aucun doute la douceur estivale préférée des Libanais, et Le Flocon témoigne de l'excellence de Charles Azar, un chef pâtissier de renommée mondiale qui l'a élevée au rang de véritable œuvre d'art.
« L'objectif était de fabriquer la meilleure glace sans colorants, sans arômes artificiels et avec des produits entièrement naturels », explique le chef primé, qui insiste sur le fait que le secret de la fabrication de la meilleure glace est simple. Elle se résume en deux mots : « la passion et l'âme.
Le Flocon est un paradis pour les amateurs de glace. On y trouve des glaces préparées selon la technique française, des glaces arabes (bouza arabiyeh) aux parfums alléchants, ainsi qu'une variété de gâteaux à la crème glacée. Les jours de fête, on peut également trouver des desserts spéciaux glacés, des bûches et des truffes pour Noël, du maamoul pour d'autres occasions.
L’enseigne de Azar est l'une des rares glaceries locales à produire sa propre variété artisanale. Les fruits frais et les ingrédients de qualité récoltés par les agriculteurs libanais sont à la base de la plupart de ses délicieuses créations glacées.
Bien que les glaces artisanales comme celles de Azar soient rares aujourd'hui, elles étaient autrefois la norme dans un pays où la bouza est appréciée depuis des siècles.
L'histoire entre la glace et le Liban est bien antérieure aux techniques de production modernes, et l'amour du pays pour cette gourmandise glacée est resté intact, même pendant les années de guerre.
Du Moyen-Orient à l'Europe
Bien que l'histoire ne soit pas claire, la Perse antique est souvent considérée comme le berceau de la crème glacée, explique l'historien Tylor Brand, spécialiste du Moyen-Orient. Les Perses ont perfectionné l'art de stocker la glace et de fabriquer des friandises glacées, un exploit rendu possible grâce au développement des yakhchal, anciennes structures en forme de cône utilisées pour stocker et fabriquer de la glace pendant les mois d'hiver.
Les premières techniques persanes ont probablement inspiré certaines des premières recettes de crème glacée dans le Levant voisin, où la glace naturelle et la neige des montagnes libanaises étaient à portée de main.
À l'insu de beaucoup, « les Européens ont obtenu la crème glacée des Arabes », affirme M. Brand. « C'est une chose dont nous sommes sûrs. »
Alors que les historiens débattent des origines exactes de la glace en Europe, beaucoup pensent qu'elle s'est probablement répandue par le biais du commerce et des échanges culturels avec le Moyen-Orient. Brand affirme que les desserts glacés existaient au Moyen-Orient bien avant leur introduction en Europe. Les théories abondent quant à la manière dont cette innovation culinaire a fait son chemin vers l'ouest.
« En Europe, les textes historiques font référence à la crème glacée développée par les Omeyyades », explique l'historien. « La glace est ancienne. »
Le califat omeyyade (661-750 de notre ère), dont le siège initial se trouvait à Damas, s'approvisionnait souvent en neige et en glace dans les montagnes libanaises pour fabriquer de la crème glacée.
La bouza, probablement dérivée du mot buz, qui signifie « glace » en turc, se distingue par sa consistance moelleuse, une qualité due à l'utilisation de la gomme de mastic et du sahlab (racine d'orchidée).
Bien que la pratique de sa fabrication artisanale ait nettement diminué, on la trouve encore dans quelques endroits parmi lesquels Bakdash, un célèbre glacier situé dans la rue animée de Hamadiyeh à Damas, où les sons de fabrication, le barattage et le fouettage, résonnent en arrière-plan.
Neige de cèdre
L’enseigne très appréciée Bouzet Salem, à Kousba, dans le nord du Liban, est chargée d'histoire. Sa création remonte à 1930 et à feu Élias Haykal.
Haykal achetait de la neige et de la glace transportées par des marchands à dos d'âne depuis les Cèdres pour fabriquer ses premières confiseries.
À l'époque, les ingrédients étaient placés dans un récipient métallique, entourés d'un mélange de glace et de gros sel, puis pilés et barattés jusqu'à ce qu'ils soient congelés et lisses.
Élias Haykal a transmis sa petite entreprise de fabrication de glaces, qui produisait alors environ dix kilogrammes par jour, à son fils Salem, qui l’a lentement développée et modernisée, en faisant venir des machines d'Italie. Aujourd'hui, Bouzet Salem continue d’exister à travers ses enfants et ses petits-enfants.
« Mon grand-père me disait qu'à l'époque des tambours, on pouvait mâcher le produit », raconte Éliane Haykal, 45 ans, petite-fille de Salem Haykal.
« Cette méthode traditionnelle de fabrication des glaces ne permettait que deux parfums : vanille et citron, explique-t-elle. C’est sans doute pour cette raison que les personnes âgées du village ont une préférence pour ces arômes. »
Aujourd'hui, « déguster une glace chez Kousba fait partie d'un voyage touristique, d'une tradition pour les gens qui viennent dans le Nord et de la liste des choses à faire pour les expatriés libanais qui viennent au Liban rendre visite à la famille – tout cela, nous le savons grâce aux conversations avec les clients ».
Une dose de nostalgie, s'il vous plaît
De retour à Flocon, il est facile de sentir la passion de Azar pour les ingrédients locaux. À côté des classiques, ses variétés uniques rendent hommage aux saveurs locales, comme la célèbre glace à l'huile d'olive. Charles Azar souligne que l'approvisionnement en huile d'olive a posé des problèmes cette année, car le conflit dans le Sud a affecté la récolte des olives. En effet, depuis le 7 octobre 2023, les bombardements constants d'Israël sur le Liban-Sud souvent au phosphore blanc ont détruit des pans entiers d'oliveraies et de forêts. Au moins 50 000 oliviers ont été victimes des frappes et des incendies.
D'autres parfums inhabituels comme l’arak, le assal (miel), l’abricot et le zaatar (thym) sont en préparation. « Une ode aux produits locaux. »
Une deuxième succursale a ouvert ses portes en 2019 à Sassine, quatre jours avant le début de la révolution d’octobre. Aujourd’hui, malgré une situation économique encore difficile, les amoureux de glaces pourront se régaler avec un troisième Flocon prévu bientôt à Zaitunay Bay.
« Alhamdullilah, Dieu merci, les affaires ont continué à marcher. Même pendant le Covid. Et les ventes ne cessent d'augmenter en dépit des moments difficiles que traverse le pays. »
Pour le chef Azar, comme pour beaucoup de Libanais, la glace a un parfum de nostalgie.
Il se souvient avec émotion de ses visites, enfant, à Bouzet Hanna Mitri, un glacier emblématique d'Achrafieh qui fonctionne encore aujourd'hui. Et de sa curiosité à découvrir la manière dont les glaces étaient fabriquées.
Même aujourd’hui, quand j’y vais, « les saveurs et les parfums sont très semblables à ce qu'elles étaient à l'époque », dit-il.
Parfois, durant la guerre civile, sa famille trouvait refuge à Bickfaya, où Bouzet Bachir faisait fureur. Charles se souvient encore de sa déception lorsque ses parents lui offraient un cornet sans glace, rempli uniquement de crème fouettée, car il « n'avait pas le droit de manger de la glace, sauf en été », de peur qu'il « tombe malade ».
« Actuellement, la plupart des gens sont mieux informés », explique-t-il. « Lorsque quelqu’un se fait opérer des amygdales, on lui dit de manger des glaces et des sucettes glacées pour soulager ses maux de gorge ! »
Azar assure que les glaces ont de toute façon meilleur goût en hiver. « Essayez, l’hiver prochain, nous conseille-t-il, vous verrez… »
Éliane Haykal, elle, a pu vivre le rêve de chaque enfant. « Je me souviens avoir mangé de la glace tous les jours, pas nécessairement une fois par jour, et bizarrement je ne m'en suis jamais lassée. En été comme en hiver. »
Elle explique également que le fait d'avoir grandi dans une entreprise de glaces familiale depuis des générations lui a conféré le statut de « personnage de conte de fées » aux yeux de ses camarades de l'école primaire.
« Je l'ai encore tous les jours, ce n'est vraiment pas un souvenir qui est resté ancré dans le passé ! »
Et elle n'est pas la seule. « Je ne pense pas que cela s'applique uniquement à moi, mais à tous les membres de ma famille. »
Essayez l'hiver prochain... Ou comment essayer de vendre de la glace surévaluée à des gogos
11 h 31, le 08 septembre 2024