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Nos Lecteurs ont la Parole

Le retour aux sources

Le retour aux sources

Photo M.-J.S

13h35 : encore deux heures d’attente. Pourtant tout à l’heure j’ai pensé que c’était déjà 13h55. J’ai dû mal observer. Attendre encore deux heures et puis encore sept heures. Pas d’autres options. Le mot d’ordre c’est la patience. Je regarde autour de moi. Je ne reconnais personne. Des gens d’un peu partout. Des regards un peu hagards. Qu’importe. Même s’il faut attendre 24 heures. Je n’hésiterai point. Je ne douterai pas de ma démarche. J’attends ce moment depuis un an, peut-être même un peu plus, j’attends depuis très longtemps.

Je décide de m’assoir. Je trouve une place devant une immense vitre qui donne vers l’extérieur. Dehors le soleil bat son plein sur le tarmac. Je suis à l’aéroport. J’attends mon avion. Je rentre chez moi, enfin chez nous, au Liban mon pays, ma patrie.

Je regarde les avions qui décollent, d’autres qui atterrissent. Tant de voyageurs qui se déplacent. Certains le font pour le tourisme, d’autres pour le travail, beaucoup laissent leur famille derrière eux, d’autres vont à leur rencontre. J’appartiens à ce dernier groupe.

Même après tant d’années de vie à l’étranger, mon cœur ne cesse de battre aux diapasons de mon pays d’enfance. Je suis très ému. Peut-être, j’ai mes raisons que beaucoup d’entre nous partagent.

J’irai voir ma mère, mes sœurs, sans oublier de visiter le cimetière où repose mon père. J’irai voir à cœur ouvert mes voisins, mes cousins, mes amis, même l’épicier du coin de notre quartier qui m’a insulté une fois lorsque j’ai garé ma voiture devant sa vitrine.

J’irai aussi à la montagne pour passer l’été. Les belles montagnes de mon pays, comme elles sont pittoresques, comme elles sont magiques et fières comme leur peuple. On dirait qu’elles sont des merveilles célestes.

Pour nous la montagne c’est Khenchara dans le Metn. Avec ses forêts, sa fontaine d’eau, ses églises centenaires, ses maisons aux toits en tuiles et l’hospitalité des villageois. Mais Khenchara c’est aussi une myriade de souvenirs d’enfance et d’adolescence d’avant-guerre. Elle est le berceau de notre enfance. Une enfance d’avant-guerre. Une enfance pleine de candeur et de joie.

C’était le temps de l’insouciance. Souvenez-vous du marchand à bicyclette qui criait ira lira lira, c’est-à-dire que tout article était à une livre libanaise. L’autre qui scandait bouza bouza dans sa voiture Peugeot et qui vendait de la glace faisant la joie des enfants de tous les villages de la région depuis Bickfaya jusqu’à Dhour Choueir en passant par Bteghrine, Khenchara, Mrouj et Bologna. Puis le salastiiiik en tirant sur le i, en d’autres termes celui qui réparait les chaussures. Comment oublier le kaz kaz kaz, le marchand du gaz liquide qui se déplaçait avec le chariot tiré par un baudet.

Transporté dans le monde de mes souvenirs, soudain je vois des nuages dans le ciel pourtant si clair. Non, ce sont sûrement les larmes dans mes yeux. Les larmes que malheureusement tout expatrié connaît si bien.

Les villages et les montagnes sont toujours là, mais notre enfance n’est plus là, et malheureusement comme les avions en papier que nous faisions voler pour quelques secondes et qui tombaient, voilà que notre vie aussi, elle, passe vite et tombe dans le crépuscule du temps.

C’est vrai qu’avec l’âge on se démunit d’énergie, mais l’amour envers notre patrie n’est point affecté, au contraire il s’enracine plus et devient contagieux. Il faut qu’il devienne contagieux et même obsédant afin de le faire passer aux prochaines générations. Qui transmettra cet amour si ce n’est nous ? Peut-on jamais tout laisser et oublier volontairement notre pays ? Non. Même si les politiciens et les responsables ne sont pas « les meilleurs », pour en dire le moins, eux ils passent, mais le pays reste.

Revenons chers expatriés, revenons nombreux car le Liban a besoin de nous.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

13h35 : encore deux heures d’attente. Pourtant tout à l’heure j’ai pensé que c’était déjà 13h55. J’ai dû mal observer. Attendre encore deux heures et puis encore sept heures. Pas d’autres options. Le mot d’ordre c’est la patience. Je regarde autour de moi. Je ne reconnais personne. Des gens d’un peu partout. Des regards un peu hagards. Qu’importe. Même s’il faut...

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