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Diaspora - Émigrés

Fady Dagher, ce Libano-Canadien à la tête du service de police de Montréal

À son précédent poste à Longueuil, il avait brillamment réussi à mettre en application sa vision de rapprochement avec les communautés, afin de récupérer les jeunes des gangs.

Fady Dagher, ce Libano-Canadien à la tête du service de police de Montréal

Fady Dagher, directeur du service de police de la ville de Montréal, en tenue de cérémonie. (Photo fournie par la division médias du SPVM)

Lorsqu’il évoque sa patrie, le Liban, il en a des frissons. Pourtant, depuis qu’il a mis le pied sur le sol montréalais, il y a 38 ans, il est « tombé en amour » de cette ville qui est désormais la sienne. Fady Dagher, prononcez Daguère, bientôt 55 ans, n’est plus à présenter au Canada. Son approche policière révolutionnaire qui prône une culture de rapprochement avec les communautés a fait sa popularité, sa célébrité même. Elle affiche des résultats record au sein de l’agglomération de Longueuil et ses cinq villes où il a dirigé la police durant six ans. Pour les polices du Canada, d’Amérique et d’Europe, elle est source d’inspiration. Une success-story qui lui a valu d’être nommé à la tête du service de police de la ville de Montréal (SPVM) en décembre 2022 et qui fait de lui le premier chef de police de Montréal issu de l’immigration, et plus particulièrement des « minorités visibles ».

La gargoulette, les Cèdres et Mar Charbel

Depuis son bureau où il prend le temps de se confier à L’Orient-Le Jour malgré des journées longues et minutées commencées aux aurores, ce natif de Côte d’Ivoire rêve « en toute humilité » de rendre un jour au Liban ce qu’il lui a donné, d’y revenir en tant qu’ambassadeur. À sa droite, une gargoulette rapportée de son village d’origine, Bickfaya, synonyme de vacances familiales et d’amusement. À sa gauche, un encadrement de gravures artisanales représentant Baalbeck, les Cèdres, l’alphabet phénicien… À son cou, le chapelet de saint Charbel qui ne le quitte jamais. « Je suis très croyant et pratiquant », dit-il, évoquant la messe le dimanche matin, et ces pèlerinages de deux à trois jours qui lui permettent de se recueillir au couvent de Aanaya (Mar Charbel), chaque fois qu’il se rend au Liban.

Fady Dagher, à sa prise de fonctions à la tête du service de police de la ville de Montréal. (Photo fournie par la division médias du SPVM)

« Je suis un immigrant de Montréal, pas du Canada ou du Québec. » Fady Dagher annonce de suite la couleur : son amour pour sa ville d’adoption qu’il a rejointe à 17 ans, en provenance d’Abidjan où il a grandi. Un amour qui l’a finalement poussé à accepter de relever le défi à la tête du SPVM, malgré ses réticences et l’ampleur de la tâche. Car c’est à Montréal qu’il est devenu policier en 1992, en dépit des espoirs de son père d’en faire un homme d’affaires. C’est là qu’il a d’abord multiplié les petits boulots, plongeur dans un restaurant, creuseur de piscines, livreur de pizzas, chargé des emballages dans une grande épicerie, avant d’être diplômé en comptabilité et administration à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), et de décrocher, bien plus tard, l’EMBA exécutif bilingue McGill-HEC Montréal. C’est là aussi qu’il s’est formé à la section des stupéfiants, qu’il a infiltré les milieux criminels, conduit des patrouilles, mené des enquêtes sur le crime organisé et les gangs de rue… C’est dans cette plus grande ville du Québec qu’il a commencé à gravir les échelons à partir de 2000 pour gérer des équipes, conseiller stratégiquement la direction pour les services d’ordre d’événements majeurs. « Ma décision de devenir policier date de 1990. Je travaillais en tant qu’assistant gérant dans un magasin d’optique. Un policier est entré. Je lui ai posé des questions sur sa carrière. Il m’a proposé d’aller avec lui en patrouille. Le coup de foudre pour la profession a été immédiat », raconte Fady Dagher.

Le profilage racial, un dossier des plus sensibles

Son premier poste de cadre, en 2007, le place au commandement des forces du quartier Saint-Michel, « un quartier dur, des plus défavorisés au Canada ». « Lorsqu’on est nommé à Saint-Michel, on pleure deux fois. Lorsqu’on vient d’être nommé, parce qu’on ne veut pas y aller. Et lorsqu’on en part, parce qu’on a tellement adoré qu’on ne veut plus le quitter », affirme-t-il. Il y reste cinq ans, avant d’être sollicité par le chef de la police de Montréal, Marc Parent, pour l’épauler dans les dossiers sensibles. En tête de ces dossiers, « le profilage racial », autrement dit la stigmatisation de personnes noires, arabes, handicapées, itinérantes ou autres, par des policiers ou des personnes de pouvoir qui leur font subir des traitements différenciés et exagérés. « Il s’agit de tout ce qui concerne le racisme, la discrimination, les préjugés de la part des policiers à l’égard des citoyens », précise le directeur.

Pour mémoire

Fady Dagher, le policier qui aime travailler « dans le gris »

Pour avoir lui-même été victime de profilage racial, plus particulièrement après le 11 septembre 2001 aux États-Unis, en Europe et même au Canada, alors qu’il était déjà policier, mais aussi pour l’avoir pratiqué dans les années 90 dans la brigade antigang, où il a « enquêté avec plus de Noirs que de Blancs car (il) pensait inconsciemment que les Noirs étaient plus propices que les Blancs à faire partie de gangs de rue », Fady Dagher a pris conscience que « toutes les personnes ne sont pas égales », que « le racisme existe dans les institutions ». « Nous travaillons très fort pour mettre fin à ce phénomène, assure-t-il. Et si les gens sont désormais plus sensibilisés, les biais inconscients sont encore nombreux. »

Fady Dagher a été nommé directeur du service de police de la ville de Montréal en décembre 2022. (Photo fournie par la division médias du SPVM)

C’est ainsi qu’est née sa vision d’une nouvelle approche policière, basée sur une culture de rapprochement avec les collectivités. « Cela me rappelle mon père, un homme de dialogue, qui construisait des passerelles entre les communautés religieuses à Abidjan », observe-t-il, un brin nostalgique. Une vision qu’il espère déjà appliquer à la ville de Montréal, en 2015. Il présente alors sa candidature à la direction de la police. Mais il essuie un refus. « Je n’avais pas le bon profil, à l’époque. Je n’étais pas assez mature », admet-il. C’est au sein de l’agglomération de Longueuil (500 000 habitants) que Fady Dagher développe son projet dès 2017. « J’ai favorisé la tolérance policière envers les jeunes qui font fausse route. Car un jeune ne naît pas criminel. Il le devient. On peut toujours trouver un moyen de le récupérer. En même temps, la population doit apprendre la tolérance envers les policiers qui risquent leur vie pour la servir et sauver des vies », explique-t-il. Cinq à six mots résument sa pensée et ses actions, avec pour objectif d’effacer la méfiance réciproque et de bâtir une société plus sûre, de part et d’autre : « La tolérance, le courage, le pardon, la confiance, la patience, mais aussi la résilience. »

Longueuil, une success-story

À Longueuil, le succès est retentissant. « Nous avons réussi à créer un esprit de village, à encourager la population à prendre en charge sa communauté pour récupérer les jeunes des milieux de la rue », explique-t-il. En termes de chiffres, cela se traduit par une baisse du taux de criminalité de 8 % la première année, et de 16 % les quatre années suivantes. « En un an, Longueuil n’a subi que trois fusillades, contre soixante-dix à Laval, une ville de même dimension », précise-t-il, refusant toutefois d’établir un rapport direct entre ces statistiques et son approche.

De retour au bercail pour servir les Montréalais, Fady Dagher est aujourd’hui confronté à un immense défi. Celui de réussir comme à Longueuil. Mais Montréal est une grande ville où règne la violence des gangs de rue, où des fusillades éclatent tous les deux à trois jours. Le plus dur est « la banalisation des armes à feu » qui fait que la deuxième plus grande ville du Canada « commence à ressembler à certaines villes américaines » et compte déjà « une génération de perdue, contaminée par la violence ». « Ma mission est de freiner l’hémorragie », soutient le chef de police. « L’attention est donc mise sur les jeunes de 8 à 10 ans pour éviter qu’ils ne sombrent dans les gangs de rue d’ici à quelques années. Nous essayons aussi de récupérer ceux âgés de 18 ans », poursuit-il, avec cette bienveillance qui le caractérise. Autre difficulté, la lutte contre la cybercriminalité qui fait des ravages dans la communauté des aînés et chez les plus jeunes. « À Montréal, nous avons 29 postes de police, le 30e sera le poste virtuel », promet Fady Dagher.

Vivre avec les communautés

Pour mener à bien sa mission, l’homme de terrain donne l’exemple à ses troupes. Il mange, dort, vit, se déplace en civil dans les communautés pour mieux en comprendre le ressenti. Il propose ensuite aux policiers d’en faire de même. « Montréal va devenir, comme Longueuil l’a été, le seul corps de police au Canada et en Amérique du Nord à envoyer vivre toutes ses recrues de la police avec les familles de migrants, chez les aînés, les itinérants ou dans la rue… pendant quatre semaines et sans armes », assure-t-il. Réussira-t-il ? « Montréal, c’est très dur, résume-t-il. Je remets tout en jeu, ma santé physique et mentale, ma réputation, ma crédibilité, mon image… parce que je veux vraiment y arriver. » Une volonté qui se nourrit d’une vie personnelle équilibrée et de l’amour des siens, ses trois enfants – sa grande fierté – mais aussi sa conjointe, sa mère, son frère et sa sœur.

Lorsqu’il évoque sa patrie, le Liban, il en a des frissons. Pourtant, depuis qu’il a mis le pied sur le sol montréalais, il y a 38 ans, il est « tombé en amour » de cette ville qui est désormais la sienne. Fady Dagher, prononcez Daguère, bientôt 55 ans, n’est plus à présenter au Canada. Son approche policière révolutionnaire qui prône une culture de rapprochement avec les...