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Moyen-Orient - DECRYPTAGE

Les quatre premières leçons des élections en Turquie

Le président sortant Recep Tayyip Erdogan et son rival Kemal Kiliçdaroglu s’affronteront lors d’un second tour le 28 mai. Le reïs, qui devrait bénéficier du report des voix du candidat nationaliste Sinan Ogan, semble en bonne voie pour remporter l’élection.

Les quatre premières leçons des élections en Turquie

Un partisan du président turc Recep Tayyip Erdogan tient à Ankara une affiche sur laquelle il est écrit "Nous t'aimons, chef", la nuit après les élections présidentielle et législatives en Turquie, le 15 mai 2023. Photo Adem ALTAN / AFP)

Les sondages le donnaient second pendant des semaines. Recep Tayyip Erdogan aura finalement frôlé la majorité absolue, avec 4 points d’avance sur son rival. Au final, le président sortant (Parti de la justice et du développement, AKP) a obtenu 49,24 % des voix, contre 45,06 % pour son adversaire Kemal Kiliçdaroglu (Parti républicain du peuple, CHP). Les deux candidats à la présidentielle turque s’affronteront donc pour un second tour, dimanche 28 mai.

La soirée électorale du 14 mai en Turquie, où se jouaient les élections présidentielle et législatives du 14 mai en Turquie, s'est déroulée sans incident notable. Elle a surtout été marquée par une bataille des chiffres, un score-surprise du candidat nationaliste Sinan Ogan (5,2%), et des retards de résultats attribués aux contestations de l’AKP. L’OLJ fait le point sur les quatre leçons à retenir de cette échéance.

La résilience d’Erdogan

Recep Tayyip Erdogan a créé la surprise avec son score élevé (49,39%). Fin mars, un sondage d’Aksoy Research le créditait de 44,1% des intentions de vote, loin derrière son rival Kiliçdaroglu et ses 55,6 %. Le reïs paraissait fragilisé par la crise économique, marquée par un taux de chômage élevé, une dévaluation de la livre turque et une inflation galopante. Sa gestion du séisme du 6 février, catastrophique à ses débuts, avait suscité des critiques, l’aide peinant à atteindre certaines régions sinistrées. Malgré tout, l’écart entre lui et M. Kiliçdaroglu s’est finalement resserré début mai, un sondage de TEAM leur attribuant respectivement 44,4% et 47,4 %. Mais son score final avoisine plutôt celui de l’élection présidentielle de 2018, qu’il avait remportée au premier tour avec 52,59% des suffrages. M. Erdogan aura donc réussi à inverser la tendance, sans pour autant éviter le second tour, contrairement à ses succès électoraux précédents.

Le premier tour en direct

Revivez, ici, notre couverture en direct de la (longue) soirée électorale turque

Le 14 mai, Recep Tayyip Erdogan a réussi à s’imposer sur la majorité du territoire turc, en dehors des grandes métropoles, du sud, et des régions kurdes. À Istanbul, le reïs n’est devancé que de très peu par M. Kiliçdaroglu, les deux hommes étant respectivement crédités de 46,69% et 48,55% des voix. Idem à Ankara, où le candidat du CPH affiche un score de 47,31% contre 46% pour celui de l’AKP. Mais le succès de M. Erdogan s’incarne particulièrement dans les régions du nord, du centre et de l’est de la Turquie, où il devance son adversaire de plusieurs dizaines de points. Ces chiffres sont d’autant plus surprenants dans la zone sud-est du pays, proche de l’épicentre du tremblement de terre du 6 février dernier. Dans la région de Kahramanmaras, ville d’un million d’habitants dévastée par la catastrophe, M. Erdogan a raflé 71,88% des suffrages contre un maigre 22,20% pour M. Kiliçdaroglu. Même à Hatay, la province d’Antioche, les deux rivaux sont quasi ex-aequo : 48,03% pour Erdogan et 48,07%% pour Kiliçdaroglu. Des chiffres qui semblent confirmer un sondage de Metropoll, selon lequel seuls 4,3 % des électeurs interrogés le mois dernier considèraient le séisme comme le problème le plus important, alors que la crise économique était placée au centre des préoccupations.

À l’approche des élections, M. Erdogan avait ainsi multiplié les promesses censées améliorer le quotidien des ménages, notamment l’allègement voire la gratuité des factures de gaz, ainsi qu’une revalorisation de 45% du salaire des fonctionnaires, annoncée le 9 mai. Malgré la crise économique et les critiques, « il y a vraiment une très large partie de l'électorat turc qui continue de voir Erdogan comme un leader capable de défendre l'honneur et de protéger son pays à un moment où la Turquie fait face à de nombreux défis, notamment à sa frontière avec la Syrie, mais aussi avec la Grèce, Chypre et la Méditerranée orientale en général, autour de ce fameux narratif du complot occidental », explique Jana Jabbour, enseignante à Science Po Paris. Finalement, la question identitaire et nationaliste semble donc avoir devancé la question économique, malgré les incertitudes du quotidien.

Durant la soirée du 14 mai, l’opposition a accusé l’AKP de déposer des recours contre les opérations électorales dans les circonscriptions où elle se trouvait en tête, dans le but de maintenir M.Erdogan haut placé dans les premières annonces de résultat. Mais malgré ces contretemps, le reïs a devancé son adversaire de quatre points sur le résultat final. Il devrait également bénéficier du report de voix de Sinan Olgan, candidat nationaliste et troisième homme ayant créé la surprise en obtenant 5,2% des voix. Ce qui le place dans une position très favorable pour le second tour de l’élection présidentielle.

Reportage

Dans les rangs de l’opposition : « Avant tout, il faut se débarrasser d’Erdogan »

Le président sortant est également conforté par le bon score de son parti aux législatives, l’AKP, qui remporte 267 siège au Parlement sur 600, et qui conserve avec son allié d’extrême-droite le MHP la majorité à l'assemblée monocamérale, tandis que le CHP rival sera lui représenté par 169 députés.

La contre-performance de Kemal Kiliçdaroglu

Le résultat de Kemal Kiliçdaroglu est, lui, bien en-deçà des espoirs qu’il avait suscités lors de sa campagne. Vendredi encore, les sondages le créditaient de 51% des intentions de vote, six points de plus que son score de dimanche soir. À la tête d’une large coalition de six partis allant du centre-gauche à l’extrême-droite, le candidat de l’opposition paraissait en mesure de capter une large part de l’électorat. Le parti prokurde (HDP), habituel faiseur de roi, avait de plus renoncé à présenter une candidature indépendante à sa faveur, les Kurdes pesant pour 12% de l’électorat. S'il est parvenu à obtenir une large majorité dans les zones kurdes (71% a Diyarbakir, 66% à Mardin), le candidat du CHP à eu plus de mal à s’imposer contre le président sortant dans les grandes villes (Ankara 47,3 contre 46%, Hatay 48,07 contre 48,03%). Des résultats qui pourraient raviver les tensions dans la coalition alors que Meral Aksener, à la tête du Iyi Parti, n’a jamais caché sa préférence pour Ekrem İmamoğlu et Mansur Yavas (respectivement maires CHP d’Istanbul et d’Ankara). Elle était allée jusqu'à quitter la coalition début mars après l’annonce de la nomination du chef du CHP, avant de se raviser. Sur Halk TV, les commentateurs n’ont pas caché leur surprise, un journaliste pro-opposition a reconnu que la situation était « un grand succès » pour Erdogan, alors qu’un autre a prédit que « s’il va au second tour avec une majorité au Parlement, il gagnera ». Une prédiction qui paraît d’autant plus réaliste que le taux de participation de 88,84% ne laisse pas beaucoup de marge de repêchage pour le candidat de l’opposition. Quant au report des voix du dernier candidat, Sinan Ogan, il est peu probable qu’elles bénéficient à Kemal Kiliçdaroglu. Porteur des voies de l’ultranationalisme, l’ancien député du Parti d’action nationaliste (MHP) aurait d’ailleurs déclaré au magazine allemand Der Spiegel qu’il n’apporterait son soutien à Kemal Kiliçdaroglu que si le HDP était exclu du système politique, ce qui ferait perdre davantage de voix à l’Alliance nationale qu’elle ne lui en rapporterait. Une information démentie par la suite par Sinan Ogan.

La surprise Sinan Ogan

Une autre surprise de ce premier tour est le score de Sinan Ogan, ancien député du Parti d’action nationaliste (MHP) qui a obtenu 5,2% des votes. Le candidat indépendant, soutenu par l’alliance ATA, bloc de quatre partis ultranationalistes, a même réalisé un score de 11,9% dans sa province d’origine, Igdir. Cette province de l’est de la Turquie compte une importante population azerbaïdjanaise, l’origine de Sinan Ogan. Âgé de 55 ans, le candidat a préféré faire cavalier seul dans cette campagne, se présentant comme le « candidat présidentiel indépendant des nationalistes turcs ». Durant sa campagne, l’homme politique a multiplié les propos très durs à l’encontre des réfugiés syriens présents en Turquie. Le pays, qui accueille près de 3,6 millions de Syriens sur son territoire, connaît de nombreux mouvements hostiles envers ces réfugiés. M. Ogan a joué la carte du nationalisme, ne cessant de critiquer la position du président Erdogan sur la question des réfugiés. « Ce que je veux, c’est le départ des Syriens. Tous les réfugiés doivent rentrer chez eux », a encore martelé M. Ogan lors de sa première allocution à l'issue des résultats.

Reportage

« Lors des dernières élections turques, il n’y avait pas autant de monde dès le matin »

Annoncé autour de 3% dans les sondages, Sinan Ogan est finalement sorti de ce premier tour en troisième homme, nouveau faiseur de roi. Les yeux sont désormais rivés vers les 2,8 millions de Turcs ayant voté pour lui, dont une partie pourrait se reporter sur M. Erdogan. Mais c'est pour ses désaccords avec Devlet Bahçeli, le dirigeant du MHP désormais rangé derrière M. Erdogan, que l’ancien député avait été exclu du Parti du mouvement nationaliste. Pas sûr donc qu’il appelle à voter clairement pour le reïs, soutenu par son ancienne formation. M. Ogan n’a pour l’heure pas encore donné de consigne de vote mais est désormais courtisé par les deux candidats encore en lice.

La démocratie turque se porte bien mais …

Le scrutin, où 64 millions de Turcs étaient appelés aux urnes, a été marqué par un taux de participation élevé de 88,84%, selon l'agence officielle Anadolu. Ce chiffre, en hausse de deux points par rapport à la présidentielle de 2018, rappelle la forte tradition électorale en Turquie. À l’ouest du pays, notamment, des files d’attente dès l’ouverture des bureaux de vote à 8h ont été observées et de nombreux électeurs ont attendu plusieurs heures avant de glisser leur bulletin dans l’urne. À Istanbul ou à Izmir, 90% des votants se sont déplacés pour choisir leur candidat. La diaspora turque, elle, ne s’est mobilisée qu’à 50%.

Des centaines d’observateurs, dont 350 envoyés par le Conseil de l’Europe, ont été dépêchés en Turquie pour garantir le bon déroulement des élections. Entre 200 000 et 300 000 volontaires de l’opposition et de la société civile ont également été répartis dans les quelque 50 000 circonscriptions du pays. Des comités électoraux, composés de représentants de différents partis politiques, étaient aussi présents pour surveiller les urnes et éviter les fraudes à grande échelle. Mais l’opposition a tout de même accusé l'AKP de déposer des recours contre les opérations électorales dans les circonscriptions où elle se trouvait en tête. Cette tactique aurait viser à retarder l’annonce de résultats favorables à M. Kiliçdaroglu, afin de conserver la large avance de M. Erdogan dans les suffrages, comme cela a été le cas une bonne partie de la soirée.

Plusieurs heures durant, les deux candidats à la présidentielle se sont livré une véritable bataille des chiffres par médias interposés. Recep Tayyip Erdogan était crédité de 54,3%, contre 39,8% pour Kemal Kiliçdaroglu sur Anadolu vers 19h30. La chaîne Halk TV, proche de l’opposition, donnait quant à elle les scores de 47,6% à Recep Tayyip Erdogan et 46,6% à Kemal Kiliçdaroglu, sur plus de la moitié des bulletins dépouillés (52%).

Ni démocratie complète, ni autocratie à part entière, la complexité de la Turquie s’illustre par le pouvoir expansif du chef de l’État, sans que ce dernier ne soit indéboulonnable. 

Les sondages le donnaient second pendant des semaines. Recep Tayyip Erdogan aura finalement frôlé la majorité absolue, avec 4 points d’avance sur son rival. Au final, le président sortant (Parti de la justice et du développement, AKP) a obtenu 49,24 % des voix, contre 45,06 % pour son adversaire Kemal Kiliçdaroglu (Parti républicain du peuple, CHP). Les deux candidats à la...

commentaires (2)

Rien de très nouveau ou étonnant, si ce n'est pour les "observateurs" qui racontent un pays vu des boîtes de nuit chics sur les rives du Bosphore, et encore...un pays rongé par la maladie mentale du nationalisme (une forme de complexe d'infériorité, doublé de la nostalgie d'un passé grandiose) depuis fort longtemps, un mal profond qui traverse toutes les tendances politiques. S'ajoute une incapacité à traiter sereinement la question kurde intérieure, en mettant tout le monde dans le même sac (terroriste). Les turcs veulent re-signer avec un autocrate mourant, grand bien leur fasse !

IBN KHALDOUN

14 h 38, le 16 mai 2023

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Commentaires (2)

  • Rien de très nouveau ou étonnant, si ce n'est pour les "observateurs" qui racontent un pays vu des boîtes de nuit chics sur les rives du Bosphore, et encore...un pays rongé par la maladie mentale du nationalisme (une forme de complexe d'infériorité, doublé de la nostalgie d'un passé grandiose) depuis fort longtemps, un mal profond qui traverse toutes les tendances politiques. S'ajoute une incapacité à traiter sereinement la question kurde intérieure, en mettant tout le monde dans le même sac (terroriste). Les turcs veulent re-signer avec un autocrate mourant, grand bien leur fasse !

    IBN KHALDOUN

    14 h 38, le 16 mai 2023

  • Les sondages n'étaient, comme en france, aux US et finalement ici, que du wishful thinking de la part des médias libéraux anti-souverainistes (certains diraient souverainistes mais de laquelle?). Question à l'olj. Pourquoi relayez vous des infos de dirigeants de l'IFOP accusant des manipulations du scrutin alors qu'officielement il était déja clôt et qu'aucune formation turque ne les a dénoncés?

    m

    16 h 51, le 15 mai 2023

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