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Sommeil sans rêve


Deux photos prises du hublot, pour se souvenir. La brume couronne encore le sommet du mont Hermon qui s’étire. Ses reliefs sont zébrés par une neige tardive. Fuji sur Méditerranée. Course de nuages dans l’air bleu. Moutonnement de villages, petites maisons semées sur les versants, cascadant jusqu’à la mer sous des tempêtes de bougainvillées en fleur. On oublie comme ce pays est beau.


Dans le froid craquant de cette aube de mai, tout a l’air si tranquille, si comme avant, même si avant ne veut rien dire. Peu de peuples ont érigé, comme nous, la nostalgie en religion. Le seul bonheur que nous savons imaginer est en noir et blanc, à moitié décollé sous le papier cristal des vieux albums. Pourtant, toutes les générations vous le diront, celles d’avant-guerre, de pendant-guerre et d’après-guerre : être Libanais, c’est avoir le bonheur inquiet, l’éros rongé de thanatos. Nous ne saurons jamais si le bonheur est, de toute manière, inquiet par nature. Nous ne l’avons jamais connu autrement.


Derrière la tranquillité du paysage endormi, rien n’a jamais été tranquille. Il suffit de compter, trente ans après l’arrêt officiel des combats, les millions d’impacts de balles et de shrapnels sur les façades de Beyrouth, et les devantures jamais reconstruites après l’explosion de telle voiture piégée, un concept inventé ici, semble-t-il. À tous les coins de rues, des statues, des stèles, des ex-voto à la mémoire de tant de vies interrompues. Ce n’était pas qu’un mauvais rêve. À cette époque avait eu lieu une sorte d’épuration tacite. Les quartiers mixtes ont vu leurs minorités déménager. Les gens se sentaient tout à coup plus en sécurité au sein de leurs communautés respectives. Des lignes psychologiques se sont tracées au-delà desquelles, aujourd’hui, chaque promeneur se sent, au mieux, un touriste dans sa propre ville. Beyrouth est devenu un confetti de ghettos. Tout aussi tacite s’est révélée l’interdiction d’une réconciliation volontaire, de bonne foi (et non limitée au traité de Taëf), qui aurait consacré le « plus jamais ». D’où est venu ce tabou dont les anciens chefs de guerre désormais en cravate se sont mollement satisfaits ? Encore les intérêts personnels, les petits arrangements sponsorisés par « les puissances », le grignotage du bien public, le partage du fromage, l’organisation de la corruption. Nul n’a jamais pu serrer la main de l’autre sans y laisser les doigts (ou recevoir un coup de règle).


De ce flottement qui nous sert d’État, qui tracera un jour les contours ? Dans la perspective d’une élection présidentielle qui finira par avoir lieu, qui présentera un projet sans arrière-pensée de profit égoïste ? Une restructuration fondamentale, un redémarrage à l’allemande ou à la japonaise ? Qui pour proposer et soutenir une vision d’avenir, proposer un plan économique à moyen et long terme générateur d’emplois véritables et profitables à tous ? Il faudra bien qu’un jour la clientèle électorale serve à autre chose qu’à coller des timbres sous des néons glauques, apposer des tampons et empiler négligemment de la paperasse rose-jaune-bleu sur les emballages gras de la traditionnelle man’ouché administrative. Les réponses existent. Le Liban ne manque pas d’éléments extraordinaires qui ont la volonté d’agir et qui tentent de tracer leur voie à travers les cloaques. Rien n’est acquis, mais rien n’est impossible. Ce pays ne peut pas disparaître. Au plus extrême de sa faiblesse, il n’a pu être ni envahi, ni englouti, ni annexé. Il est mille fois viable. À condition que l’expertise y remplace l’improvisation, l’intelligence l’émotivité et le souci du bien commun les étroits calculs communautaires.


Il est doux de partir quand tout dort encore. Embrasser sur le front l’enfant pays au sommeil sans rêve. Border en partant.

Deux photos prises du hublot, pour se souvenir. La brume couronne encore le sommet du mont Hermon qui s’étire. Ses reliefs sont zébrés par une neige tardive. Fuji sur Méditerranée. Course de nuages dans l’air bleu. Moutonnement de villages, petites maisons semées sur les versants, cascadant jusqu’à la mer sous des tempêtes de bougainvillées en fleur. On oublie comme ce pays est...

commentaires (4)

Le bonheur ne se construit pas, il est présent même dans les grandes difficultés de la vie. C'est pour cela on parle d'un "moment de bonheur". Ces moments sont précieux, car ils permettent à l'humain de s'accrocher à la vie. Lors d'un déplacement professionnel aux Emirats, nous étions accueillis par Mme la ministre du bonheur, c'est donc aussi un besoin de société de créer les opportunités qui permettent aux citoyens d'avoir plus de moments de bonheur dans son quotidien... et ne pas oublier que "l'argent n'apporte pas le bonheur" à lui tout seul

IRANI Joseph

11 h 03, le 04 mai 2023

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Commentaires (4)

  • Le bonheur ne se construit pas, il est présent même dans les grandes difficultés de la vie. C'est pour cela on parle d'un "moment de bonheur". Ces moments sont précieux, car ils permettent à l'humain de s'accrocher à la vie. Lors d'un déplacement professionnel aux Emirats, nous étions accueillis par Mme la ministre du bonheur, c'est donc aussi un besoin de société de créer les opportunités qui permettent aux citoyens d'avoir plus de moments de bonheur dans son quotidien... et ne pas oublier que "l'argent n'apporte pas le bonheur" à lui tout seul

    IRANI Joseph

    11 h 03, le 04 mai 2023

  • Comme c'est beau le bonheur inquiet. bien sûr que tout bonheur est inquiet. C' est la condition humaine. Certaines blessures se transmettent aux générations suivantes. le problème n'est pas là et il est insoluble puisque incrusté dans notre chair. Toutefois comme vous le dites utilisons notre intelligence pour construire sur des bases saines, et surtout reagissons vite aux dangers qui nous guettent. Rien ne remplace la vigilence. Nous se serons jamais assez vigilents.

    Massabki Alice

    08 h 27, le 04 mai 2023

  • Superbe, tout simplement!

    Jocelyne Hayeck

    08 h 02, le 04 mai 2023

  • Magistral ton article Fifi...

    Wlek Sanferlou

    01 h 21, le 04 mai 2023

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