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Idées - Point de vue

Retrouver un gouverneur de la BDL au service du Liban

Retrouver un gouverneur de la BDL au service du Liban

Photo d'illustration : archives ANI

L’attente est longue, trop longue : le 31 juillet prochain marquera la fin du cinquième mandat consécutif de six ans accordé à Riad Salamé par la classe politique qui régit la « bancocratie » libanaise. Cinq mandats notamment caractérisés par des choix politiques et des comportements personnels aux antipodes de ceux de ses prédécesseurs à la tête de la Banque centrale (BDL), comme le rappelle encore actuellement sa mise en cause dans l’affaire Forry. Il est d’ailleurs dommage que cette affaire, certes importante – et dans laquelle un système judiciaire étranger et impartial tente de faire la lumière sur des soupçons de corruption financière, d'enrichissement illicite, d'utilisation frauduleuse des fonds publics et de blanchiment d'argent – éclipse en partie du débat public les 30 années de violations continues du Code de la monnaie et le crédit, de falsification des comptes, et d’ « arrangements » des institutions financières, des hommes politiques, personnalités médiatiques et de personnes ayant une autorité de tutelle sur les activités de la BDL. De même, encore trop peu de voix se sont élevées pour dénoncer la politique sous-jacente de « gain de temps » menée depuis 1997, et qui n'a fait qu'aggraver les maux financiers du pays – comme l’illustre notamment les « ingénieries financière » de 2016.

La nomination du prochain gouverneur de la BDL constitue donc un tournant historique, aussi crucial pour l’avenir du pays que l’élection du président de République, ou la nomination d’un Premier ministre à la tête d’un cabinet doté de pouvoirs exceptionnels. Indépendamment du sexe, de la confession et de la nationalité, le choix d’un nouveau gouverneur doit se fonder sur son indépendance de caractère comme sur l'absence de conflits d’intérêts avec les acteurs politiques et financiers du pays. Autrement dit, une figure dotée d'une véritable autorité morale qui ne considère pas que sa responsabilité est de répondre pas aux désidératas de l'establishment politique...

Sans une véritable rupture avec les politiques et les comportements des trois dernières décennies, la BDL ne retrouvera jamais sa crédibilité. Le futur gouverneur devra donc être sans équivoque dans son action et en particulier en ce qui concerne : le retour aux principes fondamentaux de la BDL ; la restructuration du secteur financier ; et l'adoption de politiques monétaires en accord avec les besoins de l'économie.

Retour aux fondamentaux

Si les pères fondateurs de la BDL ont accordé une grande indépendance – opérationnelle et juridique – à la Banque centrale et son gouverneur, c’est pour lui donner tout l'espace juridique nécessaire à la prise de décisions bénéfiques à la croissance économique, à la stabilité monétaire et à la régulation financière. Pour revenir à ces principes fondamentaux, il est nécessaire que le prochain gouverneur fasse toute la lumière sur le passé de la BDL afin de rétablir pleinement les principes de transparence, de responsabilité et de redevabilité. Cela suppose d’abord d’avoir recours aux à un auditeur internationalement reconnu pour effectuer enfin un audit complet des comptes financiers de la BDL – conformément aux principes comptables généralement acceptés par la communauté internationale et comme l'exige l’accord préliminaire signé avec le FMI – et de mettre ses résultats à la disposition du public.

Sur la base des conclusions de cet audit, le nouveau gouverneur devra ensuite être prêt à faire le ménage en interne, en auditant et en rendant publics les comptes des agents (actuel et ancien) qui seraient impliqués dans diverses irrégularités financières.

Il lui faudra également coopérer pleinement et rapidement avec toutes les enquêtes financières locales et internationales et en rendre compte de manière transparente. Le prochain gouverneur doit exiger des banques qu'elles soumettent à la commission d'enquête spéciale (CSI) toutes les données financières pertinentes pour ces enquêtes, et que la CSI transmette à son tour toutes ces informations aux autorités judiciaires concernées, qu'elles soient locales ou internationales.

Afin de permettre une sortie de crise, le gouverneur devra en outre coopérer pleinement et de manière transparente avec le gouvernement pour soutenir un programme du FMI au lieu de retarder la divulgation des données et bloquer les réformes au bénéfice d'intérêts particuliers. Il devra par ailleurs se conformer pleinement aux critères d’un audit juricomptable de la BDL mené par des acteurs internationalement reconnus ; donner à ces auditeurs un accès illimité à tous les tiroirs, dossiers et documents de l’institution ; et s'engager à divulguer les résultats de cet audit. Ces auditeurs auront la charge de de recenser toutes les transactions menées avec les banques commerciales au cours des trente dernières années (y compris les opérations d’échanges de titres et autres « ingénieries financières ») et rendre le rapport public. Et il faudra procéder de même avec les transactions bancaires impliquant des personnalités politiquement exposées, les juges, les militaires, les personnalités des médias et tout bénéficiaire d’un marché public.

Il devra enfin s'engager à publier un compte-rendu transparent des transactions entre la BDL et l'État au cours des 30 dernières années, avec tous les documents à l'appui, afin de mettre fin à toute spéculation sur l'ampleur de la dette publique ou sur la qualité des actifs de la banque centrale, et de ne pas modifier en permanence la présentation de leur montant.

Restructuration

Contrairement à ce que peut laisser croire le « shadow plan » actuellement mené par le gouverneur, il n'y a pas de relance de l'économie, pas de retour sur les marchés internationaux de capitaux ni d'attraction d’investissements directs étrangers en présence de banques « zombies ». La reconnaissance directe et totale des pertes de l’ensemble du secteur financier est donc la seule voie vers la réhabilitation de la réputation internationale de ce dernier. Et cet exercice commence à la BDL.

Par conséquent, le prochain gouverneur devra publier, en collaboration avec l'autorité de résolution bancaire compétente, un cadre sectoriel et des lignes directrices comptables claires pour que toutes les banques effectuent des tests de résistance appropriés à partir desquels une société indépendante pourra évaluer la qualité de leurs actifs. Sur cette base, l'autorité de résolution assignera à chaque banque un objectif de recapitalisation, et le gouverneur supervisera ainsi le rétablissement d'un secteur bancaire viable et adapté aux besoins de l'économie.

Ce dernier devra faire preuve d'une grande transparence en ce qui concerne l'état des dépôts et le taux de recouvrement que les déposants peuvent attendre de l'exercice de restructuration de la dette et du système financier, en étant totalement transparent sur les outils permettant de maximiser ce recouvrement sans chercher à nouveau gagner du temps au détriment de la population.

Le prochain gouverneur devra également retenir les services d'un auditeur juricomptable internationalement reconnu pour mener un audit sur la structure des dépôts afin, entre autres, d'identifier les dépôts illégitimes et assurer la couverture adéquate pour l'annulation de ces dépôts illégitimes dans le cadre d'une résolution bancaire. Il lui incombera de transmettre les résultats de ces audits au ministère des Finances, afin qu’il puisse identifier tous les Libanais qui n'ont pas payé d'impôts sur leurs revenus et utiliser ces recettes fiscales pour réduire l’ampleur du trou financier et améliorer la capacité de recouvrement des déposants légitimes.

Cela implique enfin de s’engager à cesser immédiatement toutes sortes d' « ingénierie financière » avec les institutions financières utilisant des fonds publics, à moins qu'il n'y ait une véritable compensation (par exemple via une prise participation dans les banques concernées ou une créance rémunérée au taux du marché).

Une politique monétaire au service de l'économie

Au cours des trois dernières décennies, la BDL s'est engagée dans des territoires inexplorés et non traditionnels en s'engageant dans plusieurs politiques quasi-budgétaires, en parrainant des secteurs spécifiques de l'économie (comme l'immobilier ou l’économie numérique), en détenant des actifs non traditionnels (comme le Casino du Liban ou la MEA) et en s'engageant dans des transactions douteuses avec des institutions financières qu'elle devrait réguler (des « ingénieries financières » à Sayrafa). Il s’agira donc pour le prochain gouverneur d’opérer un virage important dans la gouvernance du secteur financier et dans l'élaboration de la politique monétaire. Pour cela, il devra donner, dès sa prise de fonction, un ultimatum au gouvernement de 90 jours maximum afin qu’il se conforme pleinement aux dispositions du Code de la monnaie et du crédit en termes de non-financement de l'État et s'abstenir immédiatement de toute intervention quasi-budgétaire.

Il devra en outre s'engager à proposer une nouvelle gouvernance du secteur financier en commençant par les autorités de régulation : s'engager à ne pas intervenir dans les travaux de la Commission de contrôle bancaire, à lui donner sa pleine indépendance, à délocaliser son siège hors de la BDL et à assurer sa responsabilité parlementaire ; s'engager à proposer des changements aux lois régissent la CSI, à se retirer de sa présidence, à lui donner sa pleine indépendance statutaire et rendre ses décisions opposables ; et s'engager à faire de même avec la Autorité des marché de capitaux. Le prochain gouverneur devra en outre s'engager à participer pleinement à une commission indépendante chargée de redéfinir la gouvernance du secteur financier dans les 120 jours suivant sa prise de fonction, y compris une révision complète du code de la monnaie et du crédit, et s'engager à accepter et à mettre en œuvre les résultats de cette commission.

Il lui faudra aussi mettre en place une autorité de résolution bancaire distincte, indépendante de la BDL, afin de gérer efficacement la restructuration du secteur financier.

Il devra par ailleurs obliger tous les acteurs du secteur, quelle que soit leur loyauté politique, à se conformer aux réglementations de la BDL et annoncer publiquement que toutes les sociétés de microfinance (comme al-Qard al-hassan), sont soumises à ces réglementations.

Le futur gouverneur devra également s'engager à sévir contre l'élimination des transactions en espèces dans le secteur bancaire et renforcer l'adhésion aux règles internationales de conformité.

Il devra aussi mener une politique responsable de fourniture de liquidités au marché et de fixation des taux d'intérêt par les seuls moyens traditionnels du marché.

Il lui incombe par ailleurs d’engager le pays sur la voie d’un régime de change flottant (comme prévu par les textes) avec l'aide du FMI. Cela suppose d’éliminer immédiatement les multiples taux de change créés par la BDL. Cela suppose surtout de changer radicalement le fonctionnement de la plateforme Sayrafa en forçant tous les acteurs du marché (banques, changeurs et particuliers) à négocier sur une plateforme publique qui affiche les prix et les volumes en temps réel ; et en renonçant immédiatement d’assimiler cette plateforme à un « schéma de Ponzi » consistant de facto à redistribuer les revenus d'un groupe de personnes (principalement les déposants) à un autre groupe de personnes (principalement les fonctionnaires).

Le prochain gouverneur devra impérativement adopter une approche macroprudentielle de la gestion du secteur financier afin d'éviter un autre effondrement systémique ou une exposition excessive à un seul débiteur. Il devra notamment s'engager à ne pas toucher au stock d'or pour garantir la stabilité du secteur financier et cesser d'utiliser les liquidités en devises présentes dans le système, hors mesure prévue dans le cadre d'une stratégie nationale établie dans le cadre d'un programme du FMI.

Il devra aussi s'engager à sortir du bilan de la BDL tous les actifs non traditionnels (tels que sa propriété de la compagnie aérienne nationale et du casino) afin qu'elle puisse jouer le rôle d'une banque centrale et non celui d'un gestionnaire d'actifs.

Le prochain gouverneur devra être responsable uniquement devant le drapeau libanais, agir pour le bien commun du peuple, respecter pleinement les lois et rendre publiques toutes les interactions qui impliquent une interférence ou une intervention de la part de fonctionnaires. Il devra protéger la BDL de toute ingérence politique ou bancaire et être prêt à changer de modus operandi en établissant une relation réglementaire normale et conforme aux normes internationales avec les banques et leurs actionnaires.

Le prochain gouverneur sera responsable devant les citoyens de la manière dont il se comportera par rapport à chacun de ces points. La société civile contrôlera, mesurera les performances et en rendra compte au grand public. Il s’agit de la dernière chance de restaurer le prestige et le bilan impeccable laissé par l’ensemble des gouverneurs qui ont dirigé cette grande institution – de Philippe Takla, à Edmond Naim en passant par Elias Sarkis et Michel el-Khoury.

Par Henri J. Chaoul, associé gérant de Levantine Partners, membre du Conseil d’administration de l’ONG Kulluna Irada, ancien conseiller du Ministre des Finances et membre de l’équipe représentant le Liban dans les négociations avec le FMI (2020).

L’attente est longue, trop longue : le 31 juillet prochain marquera la fin du cinquième mandat consécutif de six ans accordé à Riad Salamé par la classe politique qui régit la « bancocratie » libanaise. Cinq mandats notamment caractérisés par des choix politiques et des comportements personnels aux antipodes de ceux de ses prédécesseurs à la tête de la Banque centrale (BDL), comme...

commentaires (11)

Essayer de trouver, que ça soit un président, un PM un juge, des juristes, des députés, ministres ou même un cadre administratif qui viendraient servir le Liban en leur âme et conscience alors qu’un parti armé est au service pour empêcher que cela arrive, autant essayer de se lécher le coude.

Sissi zayyat

11 h 31, le 08 mai 2023

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Commentaires (11)

  • Essayer de trouver, que ça soit un président, un PM un juge, des juristes, des députés, ministres ou même un cadre administratif qui viendraient servir le Liban en leur âme et conscience alors qu’un parti armé est au service pour empêcher que cela arrive, autant essayer de se lécher le coude.

    Sissi zayyat

    11 h 31, le 08 mai 2023

  • Il ne faudrait surtout pas qu’il préside le Conseil central de la Banque du Liban, la Commission bancaire supérieure, la Commission d'enquête spéciale et l'Autorité des marchés de capitaux ainsi que d'être membre, ou alors à titre honorifique uniquement, du conseil des gouverneurs du Fonds monétaire international (FMI) et du Fonds monétaire arabe (AMF) comme son prédécesseur.

    TrucMuche

    11 h 35, le 01 mai 2023

  • On peut rever de voir moins que 10% de ces recommandations adoptees, vu les ingerences des partis et hommes politiques qui etaient et sont de connivence avec Salame!?!?!

    RAYMOND SAIDAH

    19 h 45, le 30 avril 2023

  • Encore censurée. La honte

    Sissi zayyat

    21 h 33, le 29 avril 2023

  • En deux mots: professionnalisme et transparence. Un programme bien rédigé et bien chargé. Par contre le plus grand challenge est de réussir à placer la bonne personne à la tête de la BDL.

    Sarkis Dina

    15 h 10, le 29 avril 2023

  • A Charbel Daccache... moi j'aurais aussi ajouté que même les chiens aiment le fromage.

    Ca va mieux en le disant

    14 h 20, le 27 avril 2023

  • Le seul fait que ce gouverneur devra être nommé par nos actuels politiciens retire à ce beau programme toute chance de succès. L'actuel audit juricomptable et l'accord signé avec le FMI en sont la preuve éclatante! car, suivant le célèbre dicton "vous ne pouvez pas confier la garde du fromage à un...chat."

    Charbel Daccache

    09 h 18, le 27 avril 2023

  • Comment avez-vous fait pour la photo présentée en tête d'article... tous les tags à la bombre de peinture ont disparu !!! Cela n'est pas le reflet de la réalité de ka façade décrépie de la banque. Opération Karcher ou Photoshop ?

    Ca va mieux en le disant

    01 h 27, le 27 avril 2023

  • - QUAND IL SERAIT CE GOUVERNEUR, - CHOISI POUR SON APPARTENANCE, - OU NE D,UN CONSENSUS TROMPEUR, - QUELLE SERAIT LA DIFFERENCE ? = - TOUT COMME SON PREDECESSEUR, - IL SERAIT PION EN PERMANENCE, - ET POUR N,ETRE PAS UN MENTEUR, - ALLIE DE LA GRISE FINANCE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    22 h 14, le 26 avril 2023

  • Mr Chaoul. Votre programme-recommandations est plus que louable. Toutefois je suis convaincu que vous-mêmes vous reconnaissez que c'est utopique. Non que ce soit impossible a realiser. Mais il faudrait d'abord abattre des centaines de têtes. Du plus haut de l'échelle au plus bas des étages.

    sancrainte

    18 h 34, le 26 avril 2023

  • Je propose de nommer DSK à ce poste.…

    Lecteur excédé par la censure

    17 h 48, le 26 avril 2023

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