Rechercher
Rechercher

Aveugle, sourd et sans coeur

Le Liban n’est certes pas le premier pays à bouder l’heure d’été durant le jeûne de ramadan, astuce déjà expérimentée ailleurs et censée convenir aux fidèles musulmans. Encore que, pour se lever, et par la suite se coucher, le Soleil n’attend guère, que l’on sache, le feu vert de l’horloge …


Cet artifice, le Liban est bien le seul cependant à y avoir recouru sur un coup de tête, quasiment sans préavis, sans préparation du grand public qui ne s’y retrouve plus dans ce charivari, sans souci du chaos ainsi ajouté au chaos ambiant. C’est en fait à la subite requête du président de l’Assemblée, satisfaite à contrecœur par le chef du gouvernement démissionnaire, que la singulière décision a été prise. Il est vrai que les dirigeants libanais sont passés maîtres dans l’art de triturer à volonté le fil du temps, de laisser s’écouler les années en pure perte, en vaines gesticulations, alors que s’amoncellent pourtant les urgences. C’est dire qu’en prenant ses libertés avec l’heure internationale, le Liban n’a pas inventé la poudre. La poudre, il est en réalité assis dessus.


Tel est bien le sens de l’avertissement, relevant plutôt de l’ultimatum, que vient de nous adresser le Fonds monétaire international, cette providentielle bouée de sauvetage que nos gouvernants, visiblement peu désireux d’entreprendre les réformes requises, ne se décident pas à agripper. Du train où (ne) vont (pas) les choses, c’est une crise ans fin que nous prédit la délégation du FMI qui vient de clôturer sa mission de suivi et de surveillance : une crise appelée à impacter forcément la vie des citoyens libanais pour une longue période à venir. Pas plus que l’organe exécutif qui traîne ostensiblement la patte, le Parlement n’échappe d’ailleurs à ces remontrances, puisqu’il se voit reprocher d’avoir passablement émasculé une proposition de loi relative au contrôle des capitaux. Pas de jaloux, donc, du moment que c’est l’establishment politique dans son ensemble qui en prend pour son grade.


Dans son criminel aveuglement, c’est en somme une gigantesque explosion sociale que nous réserve un pouvoir résolument sourd, de surcroît, au tic-tac de la machine infernale : laquelle vient s’ajouter à cette autre bombe à retardement qu’est la présence sur notre sol d’une remuante masse de réfugiés syriens. S’étonnera-t-on qu’un si monstrueux État ait, par-dessus le marché, un cœur de pierre ? Désolant d’injustice, révoltant d’ingratitude autant que de brutalité, confinant même à l’absurde fut ainsi le spectacle des soldats réprimant mercredi une manifestation de leurs aînés retraités : des crève-la-faim sans solde ou presque, eux-mêmes subsistant grâce à la charité internationale, tabassant encore plus affamés qu’eux et les bombardant de grenades lacrymogènes ! Traitée en bonne à tout faire par l’autorité politique, l’armée en aura été réduite à mater une chair à canon entrée en vieillesse et devenue, dès lors, inutile.


On en rougirait de honte, on en pleurerait de rage. Sans nul besoin pour cela de lacrymogènes.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com
Le Liban n’est certes pas le premier pays à bouder l’heure d’été durant le jeûne de ramadan, astuce déjà expérimentée ailleurs et censée convenir aux fidèles musulmans. Encore que, pour se lever, et par la suite se coucher, le Soleil n’attend guère, que l’on sache, le feu vert de l’horloge … Cet artifice, le Liban est bien le seul cependant à y avoir recouru sur un coup...