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Culture - Commémoration

Sarah Bernhardt, première mégastar, première influenceuse

Avant Hollywood, il y avait Sarah Bernhardt. Disparue il y a 100 ans, la légendaire comédienne française, pour qui Jean Cocteau a inventé l’expression « monstre sacré », est à l’origine de ce qui est devenu le star-system.

Sarah Bernhardt, première mégastar, première influenceuse

Dans cette photo prise le 2 janvier 1878, l’actrice française Sarah Bernhardt interprète le rôle de la reine Dona Maria de Neubourg dans la pièce « Ruy Blas » de Victor Hugo à la Comédie-Française. Photo AFP

Surnommée la Voix d’or par Victor Hugo, Sarah Bernhardt, décédée le 26 mars 1923, a porté le théâtre français aux quatre coins du monde, créé des tendances mode et des produits dérivés, défrayé la chronique, devenant un véritable mythe vivant. À l’occasion du centenaire de son décès, un programme de commémorations baptisé Sarah dans tous ses états débute aujourd’hui. « Elle est la première star planétaire », assure Pierre-André Hélène, historien et premier collectionneur privé en France de ses effets personnels. « Si on veut arriver à sa cheville, il faut aujourd’hui ajouter Madonna, Lady Gaga, Rihanna, Beyoncé, Michael Jackson réunis. Et c’était sans aucun média ni internet », dit ce consultant pour l’émission Secrets d’Histoire, qui publie en mai un livre sur la comédienne.

Scènes d’hystérie

Visage de la France à l’étranger depuis sa première tournée américaine (1880), elle est souvent accueillie par la Marseillaise là où elle va. À New York, les hommes jettent leur manteau par terre afin qu’il soit piétiné par l’actrice, qui passe trois heures à dédicacer leurs manchettes de chemise. Toujours en Amérique, un cow-boy fait plus de 400 km pour la voir sur scène à Dallas. En Australie, « il y a eu des scènes d’hystérie de dizaines de milliers de femmes qui voulaient la voir, la toucher », rapporte M. Hélène. Pourquoi un tel engouement ?

Il y avait tout d’abord son talent de tragédienne. « Il y a cinq sortes de comédiennes: les mauvaises, les passables, les bonnes, les grandes, et puis il y a Sarah Bernhardt », disait l’écrivain Mark Twain. « C’était le mythe mondial du théâtre », explique M. Hélène. « Que le public ne comprenne pas ce qu’elle disait à Londres ou aux États-Unis n’avait aucune importance... Elle avait une présence délirante et cette technique vocale, une mélopée très proche du lyrique ». Il y avait aussi ses fameuses scènes de mort. « Les gens venaient pour la voir mourir », souligne l’historien. « Ses yeux se révulsaient jusqu’à ce qu’on ne voie que le blanc. Les gens étaient scotchés... Certains étaient convaincus qu’elle se sentait mal. »

Dans son entourage, cette femme autoritaire avait coutume de dire « si vous ne faites pas ce que je veux, j’arrête de mourir ». À Paris, où elle été la star de la Comédie-Française avant de claquer la porte, on disait qu’on venait voir deux choses : la tour Eiffel et Sarah Bernhardt. Mais elle doit surtout sa célébrité à une machine d’autopromotion inédite.

« Son imprésario Edward Jarrett, qui lui a organisé des voyages pharaoniques, avait un sens grandiose de la communication et avait compris que ses comportements insensés allaient la porter au sommet », selon l’historien. Elle se fait photographier dans un cercueil, a une véritable ménagerie et d’innombrables amants, pose sans cesse pour la caméra... « Elle va créer son propre mythe », commente M. Hélène.

Mythe de la Parisienne

Sarah Bernhardt comprend très vite son pouvoir dans ce qu’on appelle alors la réclame. « C’est la première femme à décliner son image en produits dérivés, de la poudre de riz à l’absinthe. » Côté mode, on venait au théâtre autant pour applaudir son talent que pour admirer ses fabuleuses tenues, dont on allait s’inspirer, notamment ses robes serpentines avec des ceintures assez larges pour soutenir une hernie qu’elle avait et qui influencèrent la silhouette féminine de la fin du XIXe siècle. Édith de Belleville, guide-conférencière à Paris, rappelle que Sarah Bernhardt a également « contribué au mythe de la Parisienne », en pleine Belle Époque. Sa singularité a fait sa renommée: « Elle était maigre à l’époque des formes rondes, rousse, la couleur du diable, mère célibataire », précise la guide. « Mais ce dont elle était la plus fière, c’est d’avoir porté la culture française au sommet du monde. Elle mérite le Panthéon ! » estime M. Hélène.

Rana MOUSSAOUI/AFP


Sarah Bernhardt photographiée par Félix Nadar, en 1865. Photo Creative Commons

Cinq choses à savoir sur « la Divine » et « la Scandaleuse »

Elle était surnommée « la Divine »... et « la Scandaleuse » : Sarah Bernhardt, la plus célèbre des tragédiennes françaises, était connue dans le monde entier pour son art et ses extravagances.

Alors qu’on célèbre le centième anniversaire de sa mort, voici cinq choses à savoir sur elle :

– Incorrigible menteuse : Elle aura menti toute sa vie : sur sa date de naissance, sur l’identité de son père, sur l’homme avec qui elle aura son fils unique... L’incendie de l’hôtel de ville de Paris en 1871, qui voit s’envoler en fumée tout l’état civil, va l’aider à entretenir le flou sur son âge : est-elle née en 1844 comme elle le prétend ? En 1843 ? En 1841 ? Des petits (ou gros) mensonges servis avec ce sens toujours aigu de la dramaturgie, à la ville comme sur scène.

– Extravagante « Divine » : Jamais à une excentricité près, elle fait installer chez elle un cercueil capitonné dans lequel elle s’étend régulièrement. Scandale... Elle en rajoute en s’y faisant immortaliser par un photographe, les yeux clos et ceinte de fleurs. Le cliché fait le tour du monde.

Fascinée par les reptiles et les fauves, elle va jusqu’à consulter un médecin pour savoir s’il est possible de lui greffer une queue de tigre sur les reins... Elle abrite une vraie ménagerie : des chiens, des chats, un perroquet, Bizibouzou, le singe Darwin, mais aussi des lionceaux, un bébé alligator, Ali Gaga, mort d’une indigestion de... champagne, ou un énorme boa qui périt après avoir gobé des coussins.

Elle fait encore jaser pendant l’Exposition universelle de 1878. En s’évadant régulièrement en montgolfière au-dessus des Tuileries, où elle sabre le champagne et déguste du foie gras. Pour fuir, dit-elle, la mauvaise odeur de Paris.

– Croqueuse et découvreuse : On lui colle vite une image de femme fatale. Elle a de nombreux amants. Dont Victor Hugo, Léon Gambetta et Pierre Loti. Et même, dit-on, le prince de Galles, futur Édouard VII. Elle se marie une fois, avec un acteur grec. Un échec.

Toute sa vie, elle reste l’incarnation de la séductrice. Colette, qui lui rend visite peu avant son décès à 80 ans, est frappée par « ce souci irréductible de plaire, de plaire encore, de plaire jusqu’aux portes de la mort ».

C’est aussi une influenceuse avant l’heure. Amie d’Edmond Rostand, elle éblouit Oscar Wilde, inspire Marcel Proust et fait la gloire du peintre Alfons Mucha, à qui elle demande de dessiner ses affiches.

– Courageuse et patriote : « Elle a écrit elle-même sa légende, celle d’une femme indépendante, incarnation de la femme nouvelle », écrit sa biographe Sophie-Aude Picon. Sa devise, « Quand même », résume bien l’audace de cette fille de courtisane élevée sans amour et sans père, qui réussit à s’imposer.

Patriote, elle obtient lors de la guerre de 1870 du préfet de police, un ancien amant, l’autorisation d’installer une ambulance à l’Odéon. Le théâtre accueille des dizaines de soldats blessés. Elle les veille la nuit, leur tenant la main en récitant des poèmes.

Élevée dans la religion catholique mais juive de naissance, elle est souvent la cible d’attaques antisémites. Elle y fait face crânement : « Je suis une fille de la grande race juive et mon langage un peu rude se ressent de nos pérégrinations forcées. »

Elle défend Louise Michel, soutient Émile Zola lors de l’Affaire Dreyfus, est contre la peine de mort.

Amputée à plus de 70 ans de la jambe droite, elle continue à jouer, allongée ou assise, d’où son surnom de « Mère la Chaise ». Juchée sur une chaise à porteurs, elle se rend au front en 1916. Pour soutenir les Poilus qu’elle exhorte à l’héroïsme en déclamant des vers patriotiques.

– Artiste multitalents : Bourreau de travail, la comédienne sera aussi actrice de cinéma. Elle prend la plume, dessine elle-même ses robes et manteaux et aime peindre.

Et se prend de passion pour la sculpture. « Il me semblait maintenant que j’étais née pour être sculpteur et je commençais à prendre mon théâtre en mauvaise part », confesse-t-elle dans Ma double vie.

Elle étudie le squelette, les muscles et remporte un franc succès avec ses œuvres, comme à Londres, où elles s’arrachent. Deux de ses bustes en bronze sont exposés au musée d’Orsay.

Frédéric DUMOULIN/AFP

Surnommée la Voix d’or par Victor Hugo, Sarah Bernhardt, décédée le 26 mars 1923, a porté le théâtre français aux quatre coins du monde, créé des tendances mode et des produits dérivés, défrayé la chronique, devenant un véritable mythe vivant. À l’occasion du centenaire de son décès, un programme de commémorations baptisé Sarah dans tous ses états débute aujourd’hui....

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