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Témoin, et comment !

Une dizaine d’heures d’audition au total, 200 questions-réponses liquidées en deux jours : à plus d’un titre, le marathon judiciaire auquel vient de se soumettre le gouverneur de la Banque du Liban est à marquer d’une pierre blanche.


C’est la première fois en effet que Riad Salamé, objet d’une volée d’enquêtes dans son propre pays comme en Europe, comparaissait devant des magistrats du Vieux Continent, l’interrogatoire étant cependant mené par le premier juge d’instruction de Beyrouth. Sans évidemment préjuger du bien-fondé des prévarications qui lui sont reprochées ainsi qu’à son frère et son ancienne assistante, l’intervention de parquets étrangers dans le cafouillis financier qui a englouti le pays ne peut que réconforter de nombreux Libanais. Car qu’il s’agisse du pillage systématique des deniers publics ou de l’hécatombe du port de Beyrouth, ceux-là ont déchanté d’une justice locale brouillonne, outrageusement biaisée souvent, et donc viscéralement impuissante à abattre, toute seule, le mur d’impunité abritant les naufrageurs du Liban.


Détail d’importance, cependant : conformément à la procédure – et il a tenu à le préciser hier – c’est en qualité de témoin, et non de suspect ou d’accusé, que Salamé s’est présenté devant les enquêteurs. Or il ne pouvait mieux dire, laissant ainsi s’envoler les imaginations. Car si le gouverneur est absolument tenu de répondre de sa propre gestion des avoirs de l’État et du peuple, il est aussi et surtout le témoin privilégié (mieux encore, le comptable !) de tous les abus, irrégularités, gaspillages et pillages – commis par les responsables politiques des trente années écoulées. De par sa fonction, nul davantage que le gouverneur n’est en mesure de consigner et chiffrer, au centime près, les crédits, avances et autres largesses réclamées par des gouvernants aussi insatiables qu’indignes. Des dizaines de milliards de dollars se sont ainsi volatilisés en adjudications bidon, projets fantômes et outrancières commissions. Le gouffre insondable de l’électricité, les importations de carburant refilé à la Syrie aussitôt débarqué à Beyrouth, la similaire hémorragie des devises, il y aurait tant à témoigner à ce sujet…


Comment s’étonner dès lors des nombreux et efficaces soutiens dont bénéficie Salamé au sein de l’establishment politique et du secteur bancaire ? Comment expliquer en revanche que certains de ses détracteurs les plus acharnés, se posant en pères la vertu à la faveur d’un bluff colossal, se trouvent être aussi les plus corrompus d’entre les corrompus ? Ils seraient bien attrapés, ceux-là, si un jour devait être amené à parler le singulier témoin.


Que les coffres de la Banque du Liban soient à sec, que la monnaie nationale ne vaille plus que pet de lapin, qu’une part croissante de la population ne mange plus à sa faim, peu importe aux pillards de la République. Pour eux, les silences de Salamé, c’est de l’or en barre.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Une dizaine d’heures d’audition au total, 200 questions-réponses liquidées en deux jours : à plus d’un titre, le marathon judiciaire auquel vient de se soumettre le gouverneur de la Banque du Liban est à marquer d’une pierre blanche. C’est la première fois en effet que Riad Salamé, objet d’une volée d’enquêtes dans son propre pays comme en Europe, comparaissait devant...