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Nos Lecteurs ont la Parole

Chronique d’outre-mer

C’est loin, le Canada, c’est vachement loin ! C’est loin, Montréal, aussi ! Vachement loin ! Il y a cet immense océan qu’on doit traverser six heures durant enfermé et coincé dans une cabine d’avion pour joindre une capitale européenne avant d’atterrir à Beyrouth et embrasser le sol de notre chère patrie.

C’est loin, le Canada, c’est loin, Montréal. C’est loin, le Liban, aussi, c’est loin, Beyrouth ! Si seulement ce vaste océan n’existait pas !

Nous sommes au mois de mars. Les rues de ma ville sont encore enneigées. Bientôt, le printemps tapera à nos portes, si printemps il y a ! Commencera alors ce qu’on appelle la saison de la fonte des neiges. Nous sommes au mois de mars. On avance l’heure le deuxième week-end du mois. Les journées seront plus longues. L’hiver fut long, très long, comme tous ces hivers d’ailleurs. Ici, on compte nos années passées au pays en nombre d’hivers. Mon vingtième, mon dixième, mon trente-cinquième!

L’été finira par arriver un jour. On ira chez Adonis acheter du bon filet mignon, de bonnes brochettes de poulet, et vive le BBQ ! Et vive la piscine. Les ruelles de ma nouvelle ville lavée de la saleté de l’hiver se parfumeront de ces bonnes odeurs de viande grillée et de tilleul. Les cris de joie des enfants plongeant dans leur piscine viendront se mêler à la musique forte du voisin d’à côté. Il fera chaud, même très chaud ! Parfois plus chaud qu’à Beyrouth ! Une chaleur suffocante ! « Chéri, n’oublie pas la clim. Je vais aller me faire bronzer sur la terrasse. Et encore ce voisin qui ne passe sa tondeuse qu’à ce moment, comme il est antipathique ! »

J’ai honte de moi. Vraiment. Ça fait plus de vingt ans que je n’ai pas mis les pieds à l’église du monastère Saint-Antoine-le-Grand des maronites dans ce quartier chic de Montréal. Rue Ducharme. Que je fréquentais assidûment jadis. Autrefois école et synagogue, ce bâtiment fut acheté au milieu des années 80 par l’archevêché maronite et transformé en église et monastère. J’y suis allé en ce deuxième dimanche du carême. L’église est pleine à craquer. J’ai essayé de reconnaître quelques visages, mais en vain. Quand même, après plus de vingt ans, je me suis dit : qui vas-tu reconnaître ? Je regardais cette foule d’individus, hommes, femmes, seuls ou en famille, avec ou sans enfants, venus prier un dimanche gris et glacial, et me suis demandé : pourquoi sont-ils ici ? Pour prier ? Pour sortir de la maison ? Pour se retrouver entre amis autour d’un café et d’une man’ouché après la messe dans la salle au bas de l’église ? Ou carrément pour reproduire ici ce qui leur est des plus nostalgiques, leur pays, le bon vieux temps ?

En fait, je pense que c’est un mélange de tout cela.

L’été dernier, mon frère est venu passer quelque trois semaines à Montréal. Avec un groupe d’amis, nous nous retrouvâmes au restaurant Laylac. La bouffe y est délicieuse. On se croirait chez Fakhreddine, à Broummana. Il y a aussi de la musique live, une jeune fille chante en arabe, en arménien, en anglais, en français... Elle est accompagnée par son père sur le synthétiseur. Il y a une piste de danse, et ça danse. Ça danse sans gêne, sans embarras, on danse. On danse pour danser, on danse pour s’amuser, on danse pour plaire, on danse pour se libérer et on danse pour oublier. Pour oublier qu’on est loin de chez soi ? Mais quel chez-soi ? Y a-t-il encore un chez-soi ? Tu vis encore dans le passé, quoi ! Exilé, vagabond, citoyen du monde. Ton chez-toi est désormais la planète entière. Une planète que tu conquerras dans ton imaginaire en emportant avec toi ce qui est le plus précieux. La mémoire. Car, sans mémoire, il n’y a point de souvenirs. Le souvenir de ceux que tu as laissés il y dix, vingt, trente ans. Le souvenir de ceux que tu as enterrés dans cette terre d’exil.

Soudain, en pleine soirée à converser avec moi-même, mon frère, d’un air illuminé, m’interpelle d’un ton moqueur : « Tu sais, frangin, tout ceci n’est pas vrai. Vous vivez comme si vous étiez chez vous au Liban, mais vous n’y êtes pas. Vous êtes vachement loin ! Vous vivez dans un rêve. C’est vraiment irréel tout ceci. Ce n’est pas authentique ce que vous reproduisez. »

Et ma réponse fut très laconique : « Peut-on enlever aux gens le désir de vivre heureux comme ils l’entendent ? Peut-on enlever aux gens cette nostalgie du passé qui est leur propre refuge pour survivre ? Et alors, vrai ou pas vrai, authentique ou non. Ces gens que tu vois sont heureux et entendent encore l’être ! »

Montréal, Canada

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C’est loin, le Canada, c’est vachement loin ! C’est loin, Montréal, aussi ! Vachement loin ! Il y a cet immense océan qu’on doit traverser six heures durant enfermé et coincé dans une cabine d’avion pour joindre une capitale européenne avant d’atterrir à Beyrouth et embrasser le sol de notre chère patrie. C’est loin, le Canada, c’est loin, Montréal. C’est loin, le...

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