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Moyen-Orient - Entretien express

« L’alliance de l’opposition à Erdogan est désormais incontestablement plus faible »

À moins de trois mois des élections générales, « L’Orient-Le Jour » fait le point sur les conséquences du retrait du Iyi Parti de la coalition anti-Erdogan avec Orcun Selcuk, directeur du programme d’études internationales au Luther College de Decorah, en Iowa.

« L’alliance de l’opposition à Erdogan est désormais incontestablement plus faible »

La « Table des six » n’en compte plus que cinq. Le bloc d’opposition, qui tergiverse depuis des mois pour trouver un candidat commun capable d’affronter le président Recep Tayyip Erdogan lors des prochaines élections générales prévues le 14 mai, vient de perdre un des poids lourds du paysage politique turc. Meral Aksener, à la tête de la formation de droite nationaliste Iyi Parti, a annoncé vendredi dernier le retrait de son parti de l’alliance. En cause ? Le désaccord sur le nom du candidat finalement retenu jeudi dernier pour représenter la coalition d’opposition et qui devrait être nommé officiellement aujourd’hui : Kemal Kilicdaroglu, leader du Parti républican du peuple (CHP). Celle qui a fondé son propre mouvement, après avoir démissionné d’une formation d’extrême droite alliée au parti présidentiel, n’a jamais caché sa préférence pour les très populaires maires d’Ankara et d’Istanbul, ce dernier étant considéré comme le concurrent le plus sérieux face à un président turc qui compte bien ne pas s’arrêter à ses vingt ans de règne. « Depuis hier, la “Table des six” a perdu la capacité de refléter la volonté du peuple dans ses décisions », a ainsi déclaré la femme politique au lendemain des pourparlers.

Le candidat pressenti ne l’entend pas de la même façon. « La table doit s’élargir », a écrit l’homme de 75 ans sur son compte Twitter vendredi dernier, faisant probablement référence au Parti démocratique des peuples (HDP), mouvement politique prokurde, jouant traditionnellement le rôle de faiseur de roi lors des périodes électorales. Le parti avait annoncé début janvier faire cavalier seul dans la course à la présidentielle, après avoir été exclu des négociations du bloc d’opposition, principalement en raison du Iyi Parti. Si une extension de l’alliance à la troisième force du pays serait désormais envisageable, le retrait du parti nationaliste pourrait au contraire bénéficier au président turc. Bien que critiqué pour sa gestion de crise postséisme, Recep Tayyip Erdogan semble avoir conservé un soutien populaire intact depuis son regain de popularité en début d’année, selon les derniers sondages. Orcun Selcuk, professeur adjoint de sciences politiques et directeur du programme d’études internationales au Luther College de Decorah en Iowa, fait le point.

Dans quelle mesure le retrait de Meral Aksener peut-il affaiblir la coalition d’opposition ?

La décision d’Aksener de quitter la « Table des six » a été une grande surprise, surtout moins de trois mois avant les élections, et alors que les dirigeants de l’alliance se réunissent régulièrement depuis plus d’un an. L’année dernière, les six partis politiques ont convenu d’un cadre commun pour assurer la transition vers le parlementarisme s’ils remportent les élections, car ils considèrent que le système présidentiel est à l’origine des problèmes économiques et politiques de la Turquie. Mais les partis n’ont cessé de repousser le choix de leur candidat à la présidence. Aksener a fait pression pour les candidatures d’Ekrem İmamoğlu et Mansur Yavaş, les maires (CHP) d’Istanbul et d’Ankara, dont les victoires lors des élections locales de 2019 avaient été assurées entre autres par le soutien du Iyi Parti. Aksener voulait appliquer la même formule et remporter les élections présidentielles avec l’un ou l’autre des deux maires populaires. Bien que le CHP de Kemal Kilicdaroglu soit celui qui bénéficie du plus grand soutien (environ 25 %) au sein de la population, le parti d’Aksener est en deuxième position (environ 13 %) dans la coalition d’opposition, tandis que les autres partis cumulés ne dépassent pas les 5 %. D’un point de vue purement électoral, Aksener était donc une des actrices les plus puissantes de la « Table des six » et son retrait soulève de sérieuses questions sur l’avenir de la coordination de l’opposition en Turquie. La « Table des six » est désormais incontestablement plus faible sans elle et devrait chercher des alternatives, si ce n’est que pour le premier tour de l’élection présidentielle.

Ce retrait pourrait-il donner au HDP, exclu des négociations par le Iyi Parti, l’occasion de réévaluer sa position vis-à-vis de l’alliance ?

Avant les tremblements de terre dévastateurs du 6 février dernier, le HDP prokurde donnait déjà des signes qu’il pourrait ne pas désigner son propre candidat et soutenir plutôt Kemal Kilicdaroglu. Ce soutien potentiel à la candidature du leader du CHP a probablement incité Aksener à réévaluer sa position. L’électorat de base du Iyi Parti est en effet constitué d’électeurs urbains, turcs et nationalistes vivant dans la partie occidentale du pays, un profil diamétralement opposé à celui des électeurs du HDP. Aksener a simplement refusé de paraître sur la même photo que le mouvement prokurde de peur des réactions dans les rangs de son parti. Je ne m’attends pas à ce que le HDP rejoigne la désormais « Table des cinq », mais le parti pourrait annoncer qu’il soutient la candidature de Kilicdaroglu au premier tour de l’élection présidentielle. Ce qui pourrait créer des opportunités. Lors des élections locales de 2019, l’appui du parti avait été crucial pour la victoire d’İmamoğlu à Istanbul, où les électeurs kurdes constituent un bloc important – comme dans le reste du pays, notamment dans les provinces du Sud-Est. Dans le cas d’un soutien du HDP à Kilicdaroglu, le candidat pourrait remporter environ 40 % des voix au premier tour et l’élection se solderait par un second tour.

Mais ce positionnement du HDP pourrait aussi tourner à l’avantage d’Erdogan, dont la principale stratégie consiste à criminaliser les partis d’opposition et à les associer au terrorisme (le HDP est accusé par le pouvoir d’entretenir des liens privilégiés avec le Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, classé comme organisation terroriste par le gouvernement turc, NDLR). Si le HDP se range ouvertement derrière Kılıcdaroglu, il serait également plus facile pour le président turc de dépeindre l’opposition comme un outil de puissances étrangères œuvrant à diviser la Turquie et à établir un État kurde indépendant.

Quelles sont aujourd’hui les ambitions de Meral Aksener ? Comment se positionnerait son parti si Kemal Kilicdaroglu venait à affronter Erdogan ?

Dans la perspective de l’élection de 2023, Aksener avait déjà exclu une candidature à la présidence. Elle avait tenté cette option en 2018 et elle n’avait obtenu que 7 % des voix. Par ailleurs, si Aksener devient candidate à la présidence maintenant, elle ne pourra pas être membre du Parlement. La chef de parti avait néanmoins annoncé qu’elle souhaitait être Première ministre lorsque la transition vers le parlementarisme serait achevée.

Avec l’anti-erdoganisme très fort parmi les électeurs du Iyi Parti, il est probable que des partisans d’Aksener soutiennent le candidat de l’opposition le plus viable, quel qu’il soit. Lors des élections de 2018, certains électeurs du Iyi Parti avaient ainsi soutenu le candidat CHP à l’élection présidentielle, tout en votant pour leur parti aux élections législatives. Une minorité pourrait voter pour le président ou s’abstenir. La stratégie d’Aksener pour le second tour de la présidentielle dépendra par ailleurs de la répartition des sièges parlementaires après le premier tour. Il y a donc beaucoup d’inconnues, mais cela ne signe pas pour autant la fin du bloc de l’opposition ou la victoire d’Erdogan.

La « Table des six » n’en compte plus que cinq. Le bloc d’opposition, qui tergiverse depuis des mois pour trouver un candidat commun capable d’affronter le président Recep Tayyip Erdogan lors des prochaines élections générales prévues le 14 mai, vient de perdre un des poids lourds du paysage politique turc. Meral Aksener, à la tête de la formation de droite nationaliste...

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