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Culture - Au théâtre Monnot

Y aurait-il en chacun de nous quelque chose d’« Anna O. » ?

Il fallait toute la passion pour la psychologie de la comédienne Solange Trak couplée à celle des planches, qu’elle partage avec ses acolytes Zalfa Chelhot et Patrick Chemali, pour transposer sur scène le « cas fondateur de la psychanalyse ». Voici donc une pièce traitant de l’hystérie et des symptômes psychosomatiques à l’affiche du Monnot à partir de ce soir*.

Y aurait-il en chacun de nous quelque chose d’« Anna O. » ?

Pose photo pour le trio de comédiens en tenue de scène. Photo Giovanni Njeim

Dans la petite salle Act du théâtre Monnot à Beyrouth, Solange Trak, Zalfa Chelhot et Patrick Chemali campent les protagonistes d’une thérapie entrée dans l’histoire de la psychanalyse. Celle d’Anna O., personnage réel devenu emblématique, qui, chaperonnée par sa gouvernante anglaise, déverse à son médecin traitant son « théâtre imaginaire » fait de réminiscences, de frayeurs, de fantasmes et de rêveries…

Avec des costumes d’époque et une ambiance intimiste, le trio de comédiens emporte le public (l’espace d’une petite heure) dans l’univers douloureux et fantaisiste de cette jeune femme de la bonne société viennoise du XIXe siècle, dont les troubles comportementaux et leur « cure par la parole » (Talking cure) furent à l’origine de la « psychothérapie de l’hystérie » théorisée par le fameux Dr Freud.

Cette patiente première, passée à la postérité sous le pseudonyme d’« Anna O. », s’appelait en réalité Bertha Pappenheim. Elle était âgée d’une vingtaine d’années et consacrait tout son temps et ses forces à soigner son père malade. Culpabilisant de ne pouvoir le guérir, elle souffrait d’hallucinations visuelles et auditives, avait des absences, se cognait parfois la tête contre les murs et oubliait par moments sa langue maternelle. Son cas, rapporté par le Dr Josef Breuer, qui fut son thérapeute de 1880 à 1882, est devenu le prototype d’une cure psychanalytique mêlant l’hypnose, la remémoration des souvenirs inconscients, les résistances, le transfert et la catharsis… Toutes ces méthodes et idées ont été développées dans Études sur l’hystérie, un ouvrage cosigné en 1895 par Sigmund Freud et Josef Breuer, et considéré aujourd’hui comme le document inaugural de la psychanalyse.

Patrick Chemali entouré de Zalfa Chelhot et Solange Trak : pause-repos en répétition. DR

Trois protagonistes pour une cocréation à trois

Passionnée de psychologie au point d’en poursuivre des études à l’Université Libanaise – après un diplôme en cinéma de l’ALBA et un master en audiovisuel de l’Iesav–, la comédienne Solange Trak, qui a découvert dans le cadre de son cursus le récit clinique du cas Anna O., se lance le défi de l’adapter sur scène. En langue arabe, de plus ! Pour cette actrice qui a joué dans des pièces de Jalal Khoury (Fakhamat al-Raïs) et de Joe Kodeih (Les Liaisons dangereuses et Middle Beast) ainsi que dans des séries télévisées libanaises (Ghorba et La Ekher Nafas), porter sur les planches ce cas fondateur de la psychanalyse constitue certes « un challenge » dans son parcours artistique. Mais c’est aussi une expérience qui va nourrir son autre facette, celle de professeure de théâtre qui enseigne parfois à des jeunes enfants en difficulté.

Pour la mise en création de cet ambitieux projet, dans lequel elle s’est réservé le rôle-titre, elle fait appel à deux de ses amis avec qui elle partage la passion de la scène et un goût pour un « théâtre réparateur » : Zalfa Chelhot et Patrick Chemali.

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La première est comédienne, art thérapeute, coach de jeu, auteure et metteuse en scène de spectacles pour jeune public (elle a notamment signé un musical, La Sirène au pays des pingouins). Après des débuts au Liban dans la troupe d’Alain Plisson (« à qui je dois tout », clame-t-elle), elle s’envole pour le Canada en 2001. À Montréal, parallèlement à une carrière d’actrice télé et cinéma (dans Antigone de Sophie Derasp notamment et Incendies de Denis Villeneuve adapté de la pièce éponyme de Wajdi Mouawad), elle fonde une école de théâtre (L’Atelier du chapeau), avant de décider de retourner à Beyrouth le 17 août 2020 pour se rapprocher de ses parents et… « échapper à la vaccination obligatoire au Canada durant la pandémie », confie sans langue de bois cette bouillonnante nature. Outre la cocréation de la pièce, Zalfa Chelhot interprète dans Anna O. le rôle de la gouvernante anglaise qu’elle décrit comme « une personnalité aigrie, qui semble en vouloir parfois à Anna, tout en la maternant. Un personnage complexe qui cache au fond d’elle des souffrances et un peu d’amour refoulé… »

Une pièce à l'affiche du Monnot Jusqu'au 19 mars DR

Du rire aussi, parfois nerveux…

Le second, Patrick Chemali, a attrapé le « virus du théâtre » il y a une douzaine d’années, lors d’un atelier donné par le grand dramaturge et metteur en scène libanais Jalal Khoury. Depuis, ce consultant en technologie et enseignant de Master Web Science et Digital Economy à l’Université Saint-Joseph, mène presque en parallèle une carrière d’acteur. Outre, des rôles dans des comédies comme Cocktail Maison de Bruno Tabbal et l’adaptation de Toc Toc de Laurent Baffie par Antoine Achkar, il fait de petites apparitions dans des films dont Memory Box de Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige. Celui qui interprète le Dr Breuer, « ainsi qu’un second personnage surprise », a également participé à la mise en forme de ce « psychodrame tiré d’un texte extrêmement académique, dont l’adaptation scénique a subi plusieurs remaniements avant de trouver sa version finale. Et cela grâce aux conseils fournis par différents professionnels du théâtre, mais aussi des psychologues, psychanalystes, linguistes que nous avons sollicités », signale-t-il.

Pour ce trio issu donc d’univers différents mais ayant en commun l’impact qu’a laissé sur eux l’exigeant Jalal Khoury (qui a été à des périodes et des degrés divers le professeur et mentor de chacun d’eux), « le théâtre est une indispensable nourriture de l’esprit ». Même en temps de disette économique et sociale, voire aussi morale, la scène reste le lieu où les problèmes s’expriment, se verbalisent… Et, comme dans une thérapie, génère une certaine catharsis. « C’est absolument ce que m’a apporté le rôle d’Anna dont la personnalité est pourtant aux antipodes de la mienne », assure Solange Trak. Tandis que Zalfa Chelhot fait remarquer qu’« il y a une Anna O. en chacun de nous : une personnalité cachée, des blessures secrètes, des refoulements qui s’expriment parfois en douleurs et symptômes psychosomatiques. Il faut beaucoup de courage pour le reconnaître et y faire face ».

Amener les spectateurs à en prendre conscience et à y réfléchir. Voilà aussi le but de cette pièce, qui en dépit de sa thématique intense, garde de la place à des pointes de rire. « Parfois nerveux », précise, malicieusement, le seul homme du trio.

*« Anna O. », jusqu’au 19 mars, du jeudi au dimanche, à 19h30 ; Salle Act du théâtre Monnot, rue de l’Université Saint-Joseph. Réservations sur Antoine Ticketing.

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