Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Ceux qui restent

1 312 703 minutes (et plus) écoulées depuis. 215 vies perdues, 6 500 corps blessés, des millions de cœurs déchiquetés.

1 312 703 minutes (et plus) écoulées depuis, et pourtant la seule réponse est égale à 0.

Dans quel monde cette équation donne 0 à part dans le nôtre ? Dans quel monde à part dans le nôtre, l’explosion qui a éventré la capitale sans pitié reste une question sans réponse ?

Dans quel monde à part dans le nôtre, des bâtiments éclatent et des centaines de vies succombent, des souvenirs s’envolent en mille morceaux et les blessures empestent pour qu’au final soient arrêtés ceux qui hurlent leur douleur à la recherche de la vérité pendant que ceux qui persistent à vouloir la taire baignent dans l’impunité ?

Dans quel monde à part dans le nôtre les fresques dessinées des visages de nos victimes se font sauvagement arracher alors que l’affiche portant la photo du « zaïm » demeure sacrée et doit quant à elle obligatoirement rester plaquée partout ?

Dans quel monde à part dans le nôtre punit-on ceux qui restent, parce qu’ils n’en peuvent plus de pleurer ceux qui sont partis ? Parce que lorsqu’on pleure dans le silence agonisant de l’injustice, lorsqu’on ne nous apporte aucune réponse, aucune explication, aucun coupable à punir, nos pleurs sont une lame enfoncée dans la gorge.

Dans quel monde à part dans le nôtre ? Dans quel autre monde à part dans le nôtre punit-on ceux qui restent, parce qu’ils n’en peuvent plus de pleurer ceux qui sont partis ?

Dans celui où le mal règne, celui où les ténèbres ont pris le dessus sur la lumière et où l’espoir ne tient plus qu’à quelques individus justes aux mains liées, réelles victimes d’un système judiciaire à la merci absolue d’un pouvoir politique pourri. Un monde où plus aucune valeur, plus aucun principe fondamental de la République ne survit. Un monde où les réponses sont étouffées derrière les grandes portes des ministères, du Palais de justice, des diverses administrations publiques concernées. Dans un monde où plus aucune institution de l’État n’arrive à fonctionner pour poursuivre et condamner.

En réalité ça me paraît évident : bien sûr qu’ils vont déchirer leurs visages. Ces sourires innocents qui les hantent et les empêchent (peut-être) de dormir. Je dis « peut-être », car rien n’est certain, peut-être pas. C’est que je n’arrive pas à les classer parmi les différentes espèces, sont-ils réellement dotés de conscience ? Des hommes cruels et minables comme beaucoup d’autres avant eux qui font partie de l’histoire des hommes, peut-être qu’ils dorment très bien et que ces visages déchirés que nous ne reverrons plus ne les affolent pas.

Ma plus grande consolation, c’est que comme tous les hommes cruels et minables de l’histoire, ils s’éteindront minablement.

De toute façon, je n’écris pas pour eux, ils sont insignifiants. Non, j’écris ces quelques lignes pour ceux qui restent. Ces parents, frères,

fiancé(e)s, sœurs, amis qui ont perdu goût à la vie après le drame et ne pourront avancer que lorsque nous aurons des réponses. À ceux qui regrettent sûrement de ne pas avoir été de ceux qui sont partis et vivent chaque instant avec la douleur terrible de leur absence. À ceux qui restent, qui se battent, qui protestent et se font arrêter, à qui on veut faire avaler une réalité sans justice ni vérité : vous n’êtes pas seuls.

Votre détresse est notre détresse, vos larmes sont nos larmes, votre douleur est la nôtre. Elle est aussi celle de ceux qui sont allés chercher refuge ailleurs, trop traumatisés, ou qui sursautent encore au moindre claquement de porte. Votre peine est notre peine, vos pertes sont nos pertes, vos morts sont aussi nos morts.

Votre combat est celui de toute une nation, et il faut absolument que justice triomphe et vérité prévale.

Ce n’est qu’à ce moment-là qu’on pourra retirer cette lame enfoncée dans la gorge et cesser de les pleurer avec une blessure béante au fond de l’âme.

Lorsque justice triomphe et vérité prévaut, le monde soudain semble éclairé comme un rayon de lumière sur les ténèbres, qui apporte paix et soulagement. Ceux qui restent sont libérés de leur fardeau, les chaînes du silence se brisent et l’équité règne enfin sur cette terre meurtrie.

Lorsque justice triomphe et vérité prévaut, ensemble elles illuminent ce noir qui nous entoure et brillent dans nos cœurs endeuillés. Les blessures se referment et avec le temps cicatrisent, ceux qui restent commencent enfin leur deuil et recommencent à (re)vivre.

À ceux qui restent : nous aussi avec vous on reste.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

1 312 703 minutes (et plus) écoulées depuis. 215 vies perdues, 6 500 corps blessés, des millions de cœurs déchiquetés. 1 312 703 minutes (et plus) écoulées depuis, et pourtant la seule réponse est égale à 0. Dans quel monde cette équation donne 0 à part dans le nôtre ? Dans quel monde à part dans le nôtre, l’explosion qui a éventré la capitale sans...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut