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Les failles de la realpolitik

Parce que sa dévorante ampleur persiste à placer ce cataclysme en tête de l’actualité planétaire, reléguant au rang de futilités les thèmes domestiques ou routiniers, mais aussi parce que le séisme qui a ravagé lundi la Turquie et la Syrie a jeté une lumière crue sur les bas calculs des gouvernements, sans épargner cependant les lignes de fracture dont souffre l’ordre international au plan strictement humanitaire, pour tout cela, c’est de ce cataclysme qu’il sera, encore une fois, question ici.


Les gouvernements d’abord. Doublement catastrophique pour Recep Tayyip Erdogan est le meurtrier évènement. Car non seulement une notable partie de l’opinion turque lui reproche amèrement, en ce moment, la lenteur et l’insuffisance des opérations de secours, de surcroît entravées, il est vrai, par les rigueurs de l’hiver ; mais cet accès de désaffection survient à quelques semaines d’élections (présidentielle et législatives) dont il pouvait raisonnablement escompter une consolidation de son pouvoir. Admettant l’existence de lacunes dans l’organisation des secours, multipliant les visites minutieusement mises en scène et télévisées aux populations sinistrées, bénéficiant en outre d’une prompte et substantielle aide américaine, c’est une épreuve éminemment politique que va devoir affronter Erdogan.


Bachar el-Assad fait bien mieux, qui se rendait hier au chevet des rescapés d’Alep, deuxième ville de Syrie dévastée par sa propre artillerie. Mieux en effet, en termes d’exploitation et de marketing de la catastrophe, de la vague de sympathie planétaire qu’elle soulève, dans le but de regagner quelque légitimité internationale. Le reïs syrien en appelle ainsi à la solidarité du monde extérieur, mais ne tolère d’assistance étrangère aux zones tenues par les rebelles que si elle passe sous ses fourches Caudines. C’était à prendre ou à laisser ; dès lors, les démocraties occidentales ne pouvaient faire autrement que prendre, sous peine de passer pour des sociétés au cœur de pierre.


Ainsi les États-Unis viennent-ils de lever, pour une durée de six mois, une partie des sanctions qui frappaient la Syrie, ce qui rend désormais possible l’acheminement de la précieuse aide via la Turquie. On peut néanmoins déplorer qu’il ait fallu quatre jours aux autorités de Washington pour plancher sur le dilemme et trancher la question ; quatre longs jours, alors que chaque minute comptait pour les survivants piégés sous les décombres. Que trop souvent les sanctions affectent bien davantage les populations que les régimes visés, on le savait déjà ; mais même les réserves les plus draconiennes ne doivent-elles pas tomber spontanément, d’elles-mêmes, face à d’aussi cruelles urgences humanitaires mettant en jeu des milliers d’existences ?


À sa fort modeste échelle notre pays, lui, n’a pas traîné la patte, mettant à la disposition du voisin syrien ses ports et aéroports et y envoyant des militaires du corps du génie, des pompiers et des secouristes. Nul n’a même songé à s’étonner d’une initiative aussi naturelle : pas même ceux, nombreux, qui ne pardonnent pas à la Syrie ses violences faites au Liban et jamais réparées, ni même regrettées ; pas même ceux qui voient dans les stocks de nitrate ayant causé l’effroyable explosion dans le port de Beyrouth, et probablement destinés à alimenter la machine de guerre syrienne, un nouvel et accablant élément apporté au volumineux contentieux existant entre les deux pays. Mais par quelle funeste inspiration l’État, ou ce qu’il en reste, a-t-il également vu dans la tragédie une occasion de normaliser de facto ses relations avec le régime de Damas en y dépêchant une délégation ministérielle conduite par le ministre des Affaires étrangères ? Qu’a-t-elle obtenu d’autre que l’insigne privilège de recueillir béatement, sous l’œil des caméras, les remerciements émus d’Assad ?


Amplement mérité demeure, bien sûr, l’accueil en héros réservé, à leur retour hier, aux sauveteurs libanais. Ils ont sauvé l’honneur du Cèdre. Fallait-il donc absolument que la veulerie et la flagornerie des politiques s’emploient aussitôt à le ternir ?

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Parce que sa dévorante ampleur persiste à placer ce cataclysme en tête de l’actualité planétaire, reléguant au rang de futilités les thèmes domestiques ou routiniers, mais aussi parce que le séisme qui a ravagé lundi la Turquie et la Syrie a jeté une lumière crue sur les bas calculs des gouvernements, sans épargner cependant les lignes de fracture dont souffre l’ordre...