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Moyen-Orient - ÉCLAIRAGE

Après le séisme en Turquie, une gestion de la crise décisive pour Erdogan

Au lendemain de la catastrophe qui a provoqué des milliers de morts dans le pays, la réponse apportée par le reis pourrait s’avérer déterminante à quelques mois de l’élection présidentielle.

Après le séisme en Turquie, une gestion de la crise décisive pour Erdogan

Le président turc Tayyip Erdogan s’adressant au centre de coordination de l’Autorité turque de gestion des catastrophes et des urgences (AFAD) à Ankara, Turquie, le 6 février 2023. photo Reuters

« J’espère que nous laisserons derrière nous ces jours désastreux et poursuivrons l’unité et la solidarité en tant que pays et nation », écrivait sur son compte Twitter le président turc Recep Tayyip Erdogan quelques heures après le tremblement de terre qui a ébranlé le sud-est du pays ainsi que le nord de la Syrie, dans la nuit de dimanche à lundi. Un appel à l’unité nationale alors que le bilan des victimes s’alourdit d’heure en heure, portant à 5 434 le nombre de morts en Turquie au moment de mettre sous presse. Lundi soir, le président turc avait décrété un deuil national de sept jours dans tout le pays, ainsi que l’état d’urgence pendant trois mois dans les dix provinces les plus touchées « afin de garantir que les activités de recherche et de sauvetage (...) puissent être effectuées rapidement », ajoute-t-il dans un tweet. Une gestion de la catastrophe qui pourrait être décisive pour le reis, ce dernier jouant sa réélection lors de la présidentielle prévue le 14 mai.

Vers 4h20 du matin (heure locale) lundi, une première secousse d’une magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter dévastait entre autres les villes de Gaziantep, d’Adana, de Diyarbakir et la province de Kahramanmaraş. Une seconde, d’intensité quasi similaire, se faisait sentir quelques heures plus tard. Le gouvernement enclenchait alors une mobilisation rapide des équipes de secours. Selon l’agence de presse locale Anadolu, environ 23 000 membres de la police, de la gendarmerie et des gardes-côtes sont dépêchés pour venir en aide aux victimes du tremblement de terre. 3 500 militaires rejoignent également le peloton d’urgence. Des bénévoles affluent de tout le pays pour porter assistance aux victimes dans les zones les plus touchées. Les autorités en charge de la gestion des catastrophes et des urgences (AFAD) livrent plus de 300 000 couvertures, des lits, des tentes et autres équipements de première nécessité. Une mobilisation massive qui, selon le président turc aurait permis de secourir 8 000 individus coincés dans les décombres des quelque 3 000 immeubles effondrés.

Le scénario de 1999

« Le président Erdogan et son gouvernement sont parfaitement conscients qu’ils doivent gérer cette tragédie de manière efficace pour leur propre survie politique », analyse Howard Eissenstat, spécialiste de la Turquie à l’Université Saint-Laurent et chercheur non résident au Middle East Institute. En 1999, un des séismes les plus dévastateurs de l’histoire moderne du pays avait ravagé la région d’Izmit, faisant 17 000 victimes. La mauvaise gestion du gouvernement de coalition d’alors avait ainsi « sapé sa légitimité », selon le chercheur, et été largement perçue comme un facteur déterminant dans la victoire du Parti de la justice et du développement (AKP) en 2002. L’heure est donc au pragmatisme. Revoyant ses priorités, Recep Tayyip Erdogan semble faire fi des dissensions affichées avec certains pays et demande leur assistance. Il s’est notamment entretenu avec le Premier ministre grec, avec qui les tensions se multiplient, les deux pays étant brouillés entre autres sur la question territoriale de la Méditerranée orientale. La Suède, qui espère obtenir les faveurs d’Ankara pour son intégration au sein de l’OTAN, a elle aussi proposé son aide. Une aide internationale que la Syrie voisine, sous sanctions, ne peut se targuer d’obtenir aussi facilement, malgré les nombreux dégâts humains et matériels provoqués par le séisme.

Ces mesures d’urgence et de circonstance n’ont pas empêché les critiques d’émerger quant à la gestion de la catastrophe par les autorités. Sur les réseaux sociaux, les appels à l’aide et les messages se plaignant de l’absence de secours affluent. « Je suis tellement en colère. Il n’y a pas d’équipes de secours (...) à Hatay. Les gens essaient de déterrer leurs proches piégés sous les décombres. Il fait froid, il pleut, il n’y a pas d’électricité. Un membre de ma famille est encore coincé sous une lourde dalle de béton, attendant les secours », déplore par exemple Gonul Tol, directrice du centre d’études turques de l’Institut du Moyen-Orient, sur son compte Twitter. Des dysfonctionnements relayés par plusieurs figures politiques de l’opposition comme Metin Ergun, député du parti nationaliste Iyi Parti, partageant de nombreux appels à l’aide sur ses réseaux sociaux, tout en pointant du doigt le nombre insuffisant d’équipes de sauvetage et les délais d’intervention dans la province d’Hatay, bordant la frontière syrienne.

« L’opposition doit à la fois soutenir la rhétorique de l’unité nationale, le contraire serait politiquement désastreux, et souligner les échecs du gouvernement et les mauvaises gestions qui ont contribué à l’ampleur de cette catastrophe », explique le chercheur précité.

Lors d’un précédent séisme dans la région d’Izmir en 2020, des voix s’étaient déjà fait entendre pour demander des comptes au gouvernement turc sur la taxe obligatoire sur les tremblements de terre. Mise en place après 1999, cette dernière était censée aider au développement d’infrastructures antisismiques. Or des experts et des politiciens de l’opposition avaient alors déclaré qu’elle n’avait pas été utilisée à bon escient.

Interrogations autour de l’état d’urgence

Une critique menaçante pour le gouvernement, d’autant que la catastrophe survient alors que le président turc est depuis quelques mois en berne dans les prévisions électorales. À coups de mesures économiques généreuses pour panser les effets d’une crise inflationniste sans précédent, la popularité du reis commence tout juste à remonter mais reste fragile. La déclaration de l’état d’urgence pour trois mois suscite ainsi les interrogations de certains observateurs quant à la tenue des élections prévues le 14 mai. Une prolongation du dispositif lui permettrait en effet de reporter le scrutin au-delà de la date limite du 18 juin. Le temps peut-être d’obtenir de meilleurs résultats économiques qui lui seraient amplement bénéfiques le jour du vote.

D’ici là, dans le contexte de crise actuel, le parti présidentiel peut toutefois compter sur une couverture médiatique favorable, les grands médias nationaux s’étant rangés, à marche forcée, du côté du gouvernement. Le drame pourrait en outre donner l’occasion au régime de resserrer encore plus la vis à l’encontre de ses opposants. « Nous surveillons ceux qui veulent monter nos peuples les uns contre les autres avec de fausses nouvelles et des distorsions », a déclaré hier le président turc dans une déclaration au Centre de coordination de l’information de l’État situé à Kahramanmaraş. Déjà, deux journalistes, Merdan Yanardağ et Enver Aysever, qui ont critiqué la gestion de la crise, sont dans le viseur de la justice pour « incitation ouverte à la haine et à l’hostilité » suite à leurs propos concernant les opérations des secouristes : « Quel genre de mentalité est-ce que de dire Allah Akbar pendant les efforts de sauvetage ? » avait écrit Enver Aysever, fervent pourvoyeur du régime et de l’islam politique, affirmant maintenant que ses propos ont été sortis de leur contexte. Également, quatre individus ont été arrêtés selon la police, en raison de publications sur les réseaux sociaux de messages « provocateurs, visant à créer la peur et la panique » au sujet du tremblement de terre.

« J’espère que nous laisserons derrière nous ces jours désastreux et poursuivrons l’unité et la solidarité en tant que pays et nation », écrivait sur son compte Twitter le président turc Recep Tayyip Erdogan quelques heures après le tremblement de terre qui a ébranlé le sud-est du pays ainsi que le nord de la Syrie, dans la nuit de dimanche à lundi. Un appel à...

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