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Nos Lecteurs ont la Parole

Pays au soleil abstrait

Je cherche le bleu, l’essence d’une couleur abstraite, qui m’emmènerait vers jadis. Mais c’est interdit. Je pense à tout ce que j’ai raté là-bas, tout ce qui se serait passé si j’avais été plus courageuse. Le vent, salin. Le miroitement d’un soleil d’un jaune complet, plus vrai que celui des œufs à la coque servis dans un coquetier lapin par maman au petit matin. Auparavant, ce soleil pénétrait par la grande baie vitrée, me tapait, me cajolait, me réveillait. Dehors, les passants, les clameurs de la rue… « À ton âge, je me réveillais à l’aube, comme Antigone », me disait maman, avec ses références, nullement impressionnée par mes humeurs matinales. Je pensais qu’en partant, je reviendrai. Je faisais des rêves qui n’avaient aucun ancrage, dans aucun des ports : Beyrouth, Tripoli, Saïda-Sidon, Tyr-Sour. Je pensais, alors, naïvement, que je rentrerai auréolée de gloire. Rentrer au pays, y habiter, couronnée. J’aurais acheté, ou loué (peu m’importait) le plus beau des appartements, face à la mer – avec de grands balcons harnachés de plantes exotiques – ceux qui coûtent des millions. Et mon rêve scintillait, lui aussi, comme l’écume frappée par son soleil, qui a continué sa course sans moi. Et j’ai vieilli, loin de lui. Puis, le pays s’est pris les pieds dans les tapis de toutes les explosions, de toutes les désillusions.

C’en est devenu vraiment risible, cette histoire de retour. Alors, pour me dédouaner, j’écris. Car c’est bien de ma faute. J’aurais pu rester. J’aurais pu accepter mon sort avec le reste de faune et de flore. Prendre le taxi collectif, entassée comme une sardine, la fumée des passagers dans le visage, et le son qui crépite dans le transistor, dans un bus approximatif qui avance porte et fenêtres grandes ouvertes, sans peur de laisser tomber l’un d’entre nous par mégarde. J’aurais dû l’accepter, cette banlieue – son horizon réduit. Et l’université publique –

mes parents ne pouvant me payer l’inscription aux prestigieuses privées.

Et je chemine gaiement avec tous mes regrets emballés dans des torchons métaphoriques qui flottent autour de moi, s’élèvent dans les airs en raison de leur température plus chaleureuse. Pulsations hallucinées. « De quoi te plains-tu ? Toi au moins, loin de nous, dans ta capitale occidentale, au moins tu en as de l’électricité ! »

C’est vrai, n’empêche, cette histoire d’électricité. Mais, d’un autre côté, pour être tout à fait honnête... des années de vie sans lumière directe m’ont épuisée. Je souffre de manière récurrente, depuis très longtemps, d’un manque flagrant d’ultraviolets – une accumulation d’humeurs moroses. Mais personne ne m’entend plus. Et le pays se fait distant. Lointain. Sourd-muet. Moribond, comme s’il agonisait. Et moi je ne veux pas non plus voir son état. Je l’implore, je crie, je lui demande. Je ne le laisse pas tranquille. Je crois bien que quelque part je le harcèle. Oui, je refuse d’entendre, je refuse de lâcher, je refuse d’ouvrir le poing, car je sens que quelque chose se noue entre nous – à présent qu’une grande détresse nous relie –, mais il reste malgré tout à bonne distance de moi, ses perspectives se réduisant à de l’infiniment petit.

Et dans ce processus, je perds ma langue comme on perdrait un soulier. Que personne ne retrouve. Et personne ne se marie. À la fin, je reste seule à me figurer ce qui aurait pu être si je l’avais eue. La force de rester.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Je cherche le bleu, l’essence d’une couleur abstraite, qui m’emmènerait vers jadis. Mais c’est interdit. Je pense à tout ce que j’ai raté là-bas, tout ce qui se serait passé si j’avais été plus courageuse. Le vent, salin. Le miroitement d’un soleil d’un jaune complet, plus vrai que celui des œufs à la coque servis dans un coquetier lapin par maman au petit matin....

commentaires (1)

Je vous envoie des tendres câlins.

Amélie Tig

01 h 23, le 01 février 2023

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Commentaires (1)

  • Je vous envoie des tendres câlins.

    Amélie Tig

    01 h 23, le 01 février 2023

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