Rechercher
Rechercher

L’État (suprémaciste) juif

«À Bâle, j’ai créé l’État juif. » Lorsqu’il écrit ces mots dans son journal intime en août 1897, Theodor Herzl, juif autrichien né à Budapest, n’a encore jamais mis les pieds dans cette province de l’Empire ottoman que l’on appelle Palestine. Le père du sionisme, dont l’ouvrage référence L’État des Juifs a paru un an plus tôt, préside le premier congrès sioniste de l’histoire dans la ville suisse. « Si je disais cela aujourd’hui publiquement, tout le monde se moquerait de moi. Dans cinq ans peut-être, dans cinquante sûrement, tout le monde acquiescera », poursuit-il. Juriste, journaliste, écrivain, Theodor Herzl est l’une de ces figures de la bourgeoisie viennoise superbement décrite par Stefan Zweig dans Le Monde d’hier. Son rêve n’est pas de créer une théocratie juive ou de coloniser, au sens où on l’entend à l’époque en Europe, un nouveau territoire « indigène ». Profondément marqué par l’affaire Dreyfus, il en tire la conviction que seul la création d’un État pourra protéger les juifs de l’antisémitisme qui habite, de façon affirmée ou plus sournoise, la pensée européenne depuis des siècles. Le sionisme n’en est qu’à ses soubresauts. La Palestine n’est pas encore sa « Terre promise ». Si bien que dans la pensée d’Herzl, les Arabes de Palestine n’existent quasiment pas.

Le rêve de Theodor Herzl prend forme 51 ans après le congrès de Bâle, avec la création de l’État d’Israël le 14 mai 1948. La question de l’identité juive de l’État et de tous ses citoyens se pose à peine. Elle va de soi. Israël est l’État des Juifs. Uniquement des Juifs ? La gauche a gagné la bataille idéologique et va être aux commandes du pays pendant plusieurs décennies. Son sionisme est bien plus, à l’époque, qu’une affirmation identitaire. Mais il demeure fondamentalement excluant sur le plan communautaire. À l’extérieur des frontières, l’Arabe est un ennemi. À l’intérieur, c’est une menace. La présence des Palestiniens d’Israël (environ 150 000) ne remet pas en question la nature de l’État ni sa prétention à être une démocratie.

Le premier tournant intervient en 1967. Lors de la guerre des Six-Jours, Israël conquiert la Cisjordanie, Jérusalem-Est, Gaza, le Sinaï et le Golan. L’État hébreu n’est plus une « petite » forteresse assiégée, mais déjà l’un des pays les plus forts de la région. La question palestinienne devient une problématique interne. Les Palestiniens d’Israël (re)découvrent leur identité en créant des liens avec ceux des Territoires. Dans ces conditions, Israël peut-il encore être un État juif et démocratique? Peut-il l’être pour tous ses citoyens ? Peut-il être autre chose qu’une puissance occupante pour tous les Palestiniens des Territoires? Israël voudra être les deux. Sans prendre conscience que l’un allait nécessairement finir par prendre le dessus sur l’autre.

En 1977, la droite arrive au pouvoir pour la première fois de l’histoire de l’État hébreu. En 1995, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin est assassiné par un extrémiste juif. La dérive droitière est en marche. Les espoirs de paix sont vite enterrés. La colonisation s’accélère. La société est en pleine mutation. Les ultra-orthodoxes commencent à faire entendre leur voix. La gauche commence à disparaître. Israël est dans un déni total, que la communauté internationale valide par son silence et son inaction : ni paix ni cohabitation avec les Palestiniens. La poursuite de la colonisation est le seul horizon de la politique israélienne. Dans l’espace dominé par Israël, les Juifs risquent pourtant de devenir minoritaires.

L’arrivée au pouvoir de l’extrême droite à la fin de l’année 2022 est la conséquence logique de cette évolution. Elle concrétise ce qui était latent depuis déjà des années, et même dans une certaine mesure, depuis la naissance du projet sioniste. En 2018, une loi affirme pour la première fois sans ambages qu’« Israël est l’État-nation du peuple juif » et retire en même temps à l’arabe son statut de langue officielle. Le message est limpide : Israël n’appartient pas à tous ses citoyens. Et encore moins à tous les Palestiniens qui vivent de l’autre côté des barricades et des murs érigés pour faire taire leur existence.

Israël se présente et s’assume de plus en plus comme un État juif et de moins en moins comme un État démocratique. L’ennemi n’est plus seulement à l’extérieur des frontières. Sont visés les Palestiniens d’Israël, les ONG promouvant la justice et l’égalité, les manifestants défendant la « démocratie à l’israélienne », mais aussi la Cour suprême, l’une des dernières institutions à résister à cette alliance mortifère entre l’ultranationalisme et l’ultra-orthodoxie.

Paradoxalement, cette évolution n’est pas en train de provoquer de changement majeur dans les politiques des autres pays à son égard. Bien au contraire. Les Arabes n’en ont cure. Et les Occidentaux font semblant de regarder ailleurs, voire regardent ailleurs. Israël a longtemps bénéficié d’une impunité sous le prétexte fallacieux qu’il était « la seule démocratie du Moyen-Orient ». Mais cet argument peut-il encore tenir la route quand le ministre de la sécurité nationale du pays en question est un suprémaciste juif, devenu désormais fréquentable parce qu’il ne crie plus ouvertement « Mort aux Arabes » dans la rue ? Peut-il tenir la route après 56 ans d’occupation sans la moindre perspective de solution ? Que faut-il encore qu’Israël fasse pour que les Occidentaux – il n’y a pas grand chose à attendre des Arabes – le voient enfin tel qu’il est et non pas tel qu’ils voudraient qu’il soit ?

«À Bâle, j’ai créé l’État juif. » Lorsqu’il écrit ces mots dans son journal intime en août 1897, Theodor Herzl, juif autrichien né à Budapest, n’a encore jamais mis les pieds dans cette province de l’Empire ottoman que l’on appelle Palestine. Le père du sionisme, dont l’ouvrage référence L’État des Juifs a paru un an plus tôt, préside le premier congrès...

commentaires (14)

Et pendant ce temps le Liban se meurt dans l’Israël néo-safavide. Tout comme les sionistes, les néo-safavides ne veulent pas en priorité d’un état religieux chiite (sinon ils n’auraient jamais envoyé leurs miliciens mourir par milliers pour le laïc Bachar el Assad), ni d’une colonisation à l’exemple de celle pratiquée par les ottomans sinon on se serait mis à parler persan de la même façon qu’à Damas sous le joug ottoman on parlait turc. Ils veulent construire une entité étatique dont le but est avant tout de conférer aux chiites (ou apparentés tels les alaouïtes en Syrie où les Zaïdites au Yémen dits « Houthis ») le pouvoir politique, et ce SUR LA TERRE DES AUTRES. Et contrairement au projet sioniste pour lequel le Liban n’est qu’un voisin peu intéressant du moment qu’il fiche la paix à l’entité - bien moins intéressant que le Golan en tous cas -, notre pays est AU CŒUR du projet néo-safavide car il a des ressources humaines et financières que les autres n’ont pas et ne peuvent avoir. Le Liban est la VACHE À LAIT de l’entité néo-safavide, et on se demande encore où est passé notre argent soi-disant bloqué en banque. Et en Iran même, les néo-safavides ne sont pas plus chez eux que les sionistes ne l’étaient en Europe. Le peuple iranien converti de force au chiisme par les safavides originaux au XVIème siècle en témoigne bien dans la rue ces derniers temps. Comme le sioniste en Terre Sainte plutôt qu’en Europe, le néo-safavide errant n’a pas meilleur asile qu’au Liban.

Citoyen libanais

08 h 19, le 04 février 2023

Tous les commentaires

Commentaires (14)

  • Et pendant ce temps le Liban se meurt dans l’Israël néo-safavide. Tout comme les sionistes, les néo-safavides ne veulent pas en priorité d’un état religieux chiite (sinon ils n’auraient jamais envoyé leurs miliciens mourir par milliers pour le laïc Bachar el Assad), ni d’une colonisation à l’exemple de celle pratiquée par les ottomans sinon on se serait mis à parler persan de la même façon qu’à Damas sous le joug ottoman on parlait turc. Ils veulent construire une entité étatique dont le but est avant tout de conférer aux chiites (ou apparentés tels les alaouïtes en Syrie où les Zaïdites au Yémen dits « Houthis ») le pouvoir politique, et ce SUR LA TERRE DES AUTRES. Et contrairement au projet sioniste pour lequel le Liban n’est qu’un voisin peu intéressant du moment qu’il fiche la paix à l’entité - bien moins intéressant que le Golan en tous cas -, notre pays est AU CŒUR du projet néo-safavide car il a des ressources humaines et financières que les autres n’ont pas et ne peuvent avoir. Le Liban est la VACHE À LAIT de l’entité néo-safavide, et on se demande encore où est passé notre argent soi-disant bloqué en banque. Et en Iran même, les néo-safavides ne sont pas plus chez eux que les sionistes ne l’étaient en Europe. Le peuple iranien converti de force au chiisme par les safavides originaux au XVIème siècle en témoigne bien dans la rue ces derniers temps. Comme le sioniste en Terre Sainte plutôt qu’en Europe, le néo-safavide errant n’a pas meilleur asile qu’au Liban.

    Citoyen libanais

    08 h 19, le 04 février 2023

  • Ils utilisent leurs souffrances passées comme un bouclier pour se permettre toutes les exactions qui restent impunies puisque l'occident veut se faire pardonner...

    Politiquement incorrect(e)

    15 h 30, le 02 février 2023

  • Hier, j'ai lu dans un journal suisse qu'une personnalité israélienne se demande si la solution de "2 Etats" serait encore possible, puisque 500 mille juifs habitent la Cisjordanie.

    Céleste

    12 h 11, le 01 février 2023

  • Excellent article, succinct, clair et tombe à pic. C'est dommage de voir et de témoigner trop de haine contre le peuple palestinien ; privé de vivre dignement. Je déplore le peuple, jamais les politiques ni les troupes armées ... Merci

    Samira Farhoud

    03 h 34, le 01 février 2023

  • Il faut essayer de rétablir une paix entre les Arabes et les Juifs d'Israël. Renoncer à la suprématie juive. Arrêter la colonisation. Respect des droits. Sinon, les massacres vont continuer de part et d'autre. Il faut savoir que les palestiniens ne se fatigueront jamais dans leur lutte contre l'occupation et l'insolence.

    Esber

    22 h 54, le 31 janvier 2023

  • Pour comprendre l'énormité de l'imposture et de la falsification, à lire absolument "Comment le peuple juif fut inventé" et "Comment la terre d’Israël fut inventée" de Shlomo Sand. Les seuls vrais juifs seraient les actuels palestiniens qui se seraient convertis à l'Islam pour éviter de payer la "dimma" autrement comment expliquer que les israéliens aient majoritairement le teint et les cheveux clairs et beaucoup d'yeux bleus? De drôles de sémites qui ne le sont pas. Tous les libanais l'avaient remarqué pendant l'occupation du pays par les troupes de l'état hébreux durant des années.

    Najib Antoine Jabre

    22 h 18, le 31 janvier 2023

  • Les palestiniens devraient accepter 2 états en 1958 . Personne ne peut aller contre le sionisme qui domine le monde .

    Eleni Caridopoulou

    20 h 59, le 31 janvier 2023

  • Anthony, tout est question de l’endroit où l’on se situe. Le vieux débat sur l’extrémisme juif ne date pas d’hier. Sans remonter au déluge, au cas, scandale où la députée noire au parlement israélien s'est fait refuser son don de sang. MAIS, suprématie, racisme, etc.,etc., est alimenté par la crainte des israéliens, de se voir disparaître (ce n’est pas un mythe), et ce n’est pas un hasard qu’on rappelle leur génocide du temps de Staline et Hitler. L’antisémitisme ! Regardez comment Lavrov, seul homme de confiance de Poutine et ses comparaisons entre Hitler et le président ukrainien et les démocraties occidentales. Parler de racisme des Israéliens, c’est en quelque sorte (là, ça me vaut plusieurs polémiques) normaliser le statut de cet État à l’instar de quelques démocraties, où l’on entend des propos nauséabonds comme ceux du ministre israélien dont vous parlez. L’Occident a largement (pouvoir politique, presse) soutenu l’OLP quand elle était en meilleure forme du temps de la guerre au Liban, où l’on n’était pas finalement mécontent de les voir partir, que dans sa lutte contre Israël. De l’hypocrisie de part et d’autre. Dans vingt ans, donc demain, Israël aura un siècle d’existence, et personne ne se souviendra de l’injustice faite aux Palestiniens. Déjà, on prêtait à cet État des ambitions sur les ressources d’eau du Liban, mais de nos jours, il exporte de l’eau à son voisin jordanien. Le projet de Tibériade, ça nous rappelle quelque chose… Au plaisir de vous lire.

    Nabil

    15 h 11, le 31 janvier 2023

  • UN ARTICLE DE FAITS ET DE VERITES. BRAVO MONSIEUR SAMRANI. MAIS IL FALLAIT PEUT-ETRE REVELER LA RESPONSABILITE FLAGRANTE DE TOUS LES ARABES DEPUIS LA FONDATION DE L,ETAT D,ISRAEL ET JUSQU,AUJOURD,HUI.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 17, le 31 janvier 2023

  • Merci,

    HIJAZI ABDULRAHIM

    10 h 48, le 31 janvier 2023

  • Bravo excellente analyse qui remet ce que les médias en Europe se contente de décrire dans le temps long de l histoire du mouvement sioniste et du nationalisme juif raciste . Vous posez la bonne question à la fin Merci

    Chahid Leila

    10 h 24, le 31 janvier 2023

  • Bien d’accord que l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir en Israël s’inscrit dans la continuité de la radicalisation d’un État emmuré dans le déni. Certes, l’absence d’une autorité palestinienne digne de ce nom n’aide pas mais à défaut d’un accord de paix, les États-Unis doivent a minima faire pression pour que l’occupation et son cortège d’exactions contre les Palestiniens cessent. C’est un scandale qui se perpétue sous les yeux du monde entier. Comment peut-on laisser détruire les maisons de familles palestiniennes au prétexte que l’un d’eux a commis un attentat anti-israélien? Comment des Israéliens, dont des descendants d’Ashkénazes qui ont connu l’horreur en Europe, peuvent-ils accepter la répression et l’occupation des territoires? Et les juifs arabes, qui ont vécu pendant des siècles en paix avec leurs compatriotes musulmans et chrétiens?

    Marionet

    10 h 09, le 31 janvier 2023

  • Bien vu, Israël étant un état fasciste à sa création.

    TrucMuche

    01 h 42, le 31 janvier 2023

  • J'aimerais lire une réflexion sur le thème : pourquoi les idéaux démocratiques d'Israël ont-ils reculé ? Quelle part de responsabilité les adversaires d'Israël peuvent-ils porter ? Aucune, sans doute.

    F. Oscar

    01 h 05, le 31 janvier 2023

Retour en haut