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Lifestyle - Mode

Haute couture et haut bizarre : le vêtement se fait philosophie

Haute couture et haut bizarre : le vêtement se fait philosophie

Collection « Inferno » de Schiaparelli : têtes de lion, de léopard et de louve. Photo ©Schiaparelli

La haute couture est toujours prétexte à des prouesses de savoir-faire qui atteignent souvent à la magie. Ce domaine de l’hyperluxe peut se permettre toutes les extravagances dès lors que le créateur, chaque saison, repousse les limites de son art, et ses muses celles de l’audace et de la liberté. Nous aurons l’occasion de reparler de la petite mais dense Semaine parisienne de la haute couture qui s’est déroulée du 23 au 26 janvier, mais comment ne pas s’arrêter, d’abord, sur les deux défilés qui ont affolé les réseaux sociaux par leur théâtralité et l’énormité de leurs effets ?

On se souviendra longtemps des trois fourreaux de Schiaparelli aux bustes desquels pendent tels d’énormes trophées des têtes de lion, de léopard et de louve. Tout aussi spectaculaire, dans la salle, était la rappeuse Doja Cat, dans une robe rouge Schiaparelli, bustier rigide et jupe à bulles. Elle était surtout elle-même entièrement peinte en rouge et s’était fait coller près de 30 000 cristaux Swarovski sur la peau.

Chez Viktor&Rolf : robes de princesse ou accessoires encombrants ? Photo ©Viktor&Rolf

Daniel Roseberry, le jeune directeur artistique de la maison, a expliqué s’être inspiré de la Divine Comédie de Dante pour cette collection qui a affolé la Toile. Ce fils d’un pasteur anglican a succédé en 2019 à Bertrand Guyon aux commandes de la création de Schiaparelli, vénérable maison fondée en 1927 par la surréaliste Elsa Schiaparelli et ruinée depuis 1954 avant d’être ressuscitée en 2014. Pour en revenir à Dante, Roseberry confie dans le manifeste de sa collection haute couture baptisée Inferno : « J’ai été frappé par quelque chose qui m’avait échappé lorsque je l’ai découverte pour la première fois, non pas par l’horreur de l’enfer que Dante évoque si vivement, ni le sentiment de désespoir qui vous envahit alors que vous descendez de plus en plus loin dans les ténèbres, mais par la façon dont l’histoire est, à l’origine, une allégorie du doute. » Aussi ajoute-t-il : « Cette collection est mon hommage au doute. Le doute de la création, celui de l’intention. Les pulsions jumelées, parfois contradictoires, de plaire à son public et de s’impressionner soi-même; l’ambivalence qui est la compagne constante de chaque artiste. Avec cette collection, j’ai donc voulu m’éloigner des techniques que je maîtrisais et comprenais, pour choisir à la place d’emprunter ce bois sombre, où tout est effrayant mais nouveau, où je me frayerais un chemin à tâtons dans un endroit que je ne connaissais ni ne comprenais. »

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Au défilé de Schiaparelli, corps peint et incrusté de 30 000 cristaux Swarovski, la rappeuse Doja Cat. Photo ©Schiaparelli

Le léopard, le lion et la louve – représentant respectivement la luxure, la fierté et l’avarice – sont donc des figures saisissantes de la Divine Comédie, mais que le créateur a fait entièrement construire à la main, à partir de mousse, de résine et d’autres matériaux artificiels, résultant en de spectaculaires créations de fausse taxidermie. L’enfer est trompeur, et pour montrer ses illusions, Roseberry fabrique des paillettes avec des plaques d’étain, des irisations peintes main sur le velours, à base de pigments changeants « comme les ailes d’un papillon ». Nacre véritable, marqueterie en bois de citronnier font également partie de cette extraordinaire palette d’artifices. Se souvenir « qu’aucune ascension au ciel n’est possible sans un voyage préalable aux enfers, et la peur qui va avec » est ce que le créateur se souhaite car, dit-il, « il n’y a pas d’extase de la création sans la torture du doute ».

Robe de bal Viktor&Rolf. Photo ©Viktor&Rolf

Quant au duo de créateurs Viktor & Rolf, leur tour de force a été de construire des robes de bal selon le cliché viennois, voire Disney, de la robe de bal, et de montrer dans leur défilé ces mêmes robes placées sur les mannequins comme des accessoires encombrants : des constructions surréalistes à partir d’innombrables couches de tulle, agrémentées de nœuds, contribuent à l’effet dramatique recherché. Leur collection haute couture printemps-été 2023, sous le titre Late Stage Capitalism Waltz, ou Valse du capitalisme tardif, se veut « un antidote à la réalité ». Romantiques, comme sorties des rêveries de quelque ingénue s’imaginant princesse, ces grands bouillons de tulle font allusion à la grande tradition et à l’âge d’or de la haute couture du milieu du XXe siècle. Le corps est construit, les épaules sont dénudées, les décolletés sont révélateurs. La taille est accentuée et juxtaposée à de volumineuses jupes mille-feuilles en couches infinies de tulle. Les corsages sont ornés de broderies et de nœuds étincelants. Les couleurs pastel rappellent un tableau de Boucher ou de Watteau. Avec son atmosphère délicate, la collection semble donner le ton à une vision presque stéréotypée de la haute couture comme un rêve anachronique de douce féminité.

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Et c’est exactement ce que vient casser, comme une piqûre de réveil, le duo de créateurs néerlandais. Ce rêve banal, ce cliché réducteur de la féminité est brusquement chahuté, renversé, porté sens dessus dessous. Est-ce un balai ? Un instrument de torture? Une fleur carnivore ? Les mannequins ressemblent à ces figurines en carton sur lesquelles on appose des vêtements de papier qui se détachent, se décalent, refusent d’adhérer. « Et la robe, tout en conservant sa forme idéalisée, s’oppose, s’aliène et se libère du corps d’une manière surréaliste », conclut le manifeste.

La haute couture est toujours prétexte à des prouesses de savoir-faire qui atteignent souvent à la magie. Ce domaine de l’hyperluxe peut se permettre toutes les extravagances dès lors que le créateur, chaque saison, repousse les limites de son art, et ses muses celles de l’audace et de la liberté. Nous aurons l’occasion de reparler de la petite mais dense Semaine parisienne de la...

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