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Société - Portraits

Les nomades numériques libanais : jeunes, ambitieux, internationaux

On n’entend pas souvent parler d’eux, et pourtant ils existent. « L’Orient Today » s’est entretenu avec trois d’entre eux sur leur nouvelle vie de travail à distance dans des pays qui leur offrent ce dont ils ont besoin.

Les nomades numériques libanais : jeunes, ambitieux, internationaux

Des travailleurs à distance dans un café à Beyrouth, le 9 septembre 2021. Photo João Sousa

Ces dernières années, avec le Covid-19 et la prolifération du travail à distance, le monde a assisté à l’émergence d’une nouvelle catégorie de travailleurs : les nomades numériques. Il s’agit généralement de jeunes gens qui « exercent leur activité professionnelle entièrement sur internet tout en voyageant », selon la définition du dictionnaire Merriam-Webster.

Certains jeunes Libanais ont pris le train en marche. Frustrés par l’effondrement total de l’infrastructure libanaise, la lenteur de l’internet et la baisse de leurs salaires – parfois payés dans la monnaie nationale fortement dépréciée –, ils ont décidé de faire le grand saut et d’adopter la vie de nomades numériques. L’Orient Today a interrogé trois d’entre eux pour comprendre comment ils ont adopté cette nouvelle vie, et ce qu’ils aiment – et n’aiment pas – à ce sujet.

Nour Atrissi, la trentaine, chef de projet, Istanbul : « Au Liban, la journée me contrôlait ; maintenant, c’est moi qui la contrôle. »

Nour Atrissi voulait partir dès après l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, mais il lui a fallu 10 mois pour franchir le pas. Elle a trouvé un emploi à distance chez Pearson, une société d’édition britannique. « J’ai juste fait mes valises et je suis partie pour Istanbul parce qu’en tant que Libanaise, j’ai le droit d’y rester pendant trois mois sans visa », raconte Atrissi, la trentaine.

« À cette époque, j’étais très prise par le mode de survie au jour le jour au Liban, se souvient-elle. Lorsque je suis arrivée à Istanbul et que j’ai eu accès aux infrastructures, la moitié de mon énergie et de mes capacités, qui étaient dépensées ici pour des choses sans intérêt, a été investie dans ma productivité. » Au départ, Atrissi avait l’intention de ne rester à Istanbul que brièvement, « juste pour souffler un peu », dit-elle. Toutefois, étant donné la facilité d’obtenir un visa touristique, elle y est restée. Loin des coupures d’électricité, elle constate que « si la journée me contrôlait au Liban, maintenant c’est moi qui contrôle ma journée ».

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Tout n’est pas rose pour autant. La jeune femme trouve épuisant de communiquer par téléphone ou vidéo, ce qui demande davantage d’efforts, car il est difficile de créer des liens ou d’interpréter le langage corporel à distance.

Au début, elle avait besoin de passer un peu de temps seule, mais six mois plus tard, elle a commencé à vouloir rencontrer des gens. Aujourd’hui, elle travaille dans un espace public, car elle aime « continuer à construire un réseau professionnel » et elle aime séparer son travail de son espace personnel. Afin de rencontrer de nouvelles personnes et de se constituer un cercle social, elle a commencé à se rendre à des événements d’échange linguistique pour les expatriés qui vivent à Istanbul.

Atrissi apprécie que la nature soit accessible en Turquie, contrairement au Liban où elle est privatisée ou alors non entretenue. Les vols intérieurs permettent de changer facilement de décor sans quitter le pays. « Votre santé mentale s’améliore vraiment ici, dit-elle. Les gens sont proches les uns des autres et leur hospitalité est similaire à celle du Liban. » Et chaque fois qu’elle a le mal du pays, elle sait que « le Liban n’est qu’à un billet d’avion abordable », dit-elle. « Il est plus facile de rester en contact du fait de la proximité géographique des deux pays. »

Lorsqu’on lui demande si elle recommanderait le mode de vie nomade numérique à ses compatriotes, Nour Atrissi répond : « Cela dépend du ras-le-bol, et de ce qu’on recherche. Si on est en mesure de travailler, de générer des revenus, de disposer d’une infrastructure décente, alors il serait possible de rester au Liban. Mais je recommanderais de respirer un peu, d’avoir une meilleure perspective. » « Vous vous heurtez à un certain mur au Liban », lâche-t-elle. Toutefois, même si elle préfère vivre à l’étranger, elle a toujours le sentiment qu’« il n’y a pas d’endroit comme chez soi et il n’y a pas de ville comme Beyrouth ».

Mohammad Ghali, 35 ans, spécialiste indépendant en relations publiques et marketing, Tbilissi (Géorgie) : « Ici, il est facile de rencontrer de nouvelles personnes. »

Mohammad Ghali. Photo DR

C’est en 2020, alors qu’il était en Thaïlande, que Mohammad Ghali a découvert le concept de nomade numérique. « J’essayais de travailler en ligne en tant qu’expert marketing et relations publiques. À travers mes voyages, j’ai rencontré beaucoup de nomades numériques qui lançaient une carrière en ligne, et je m’y suis intéressé », explique-t-il.

« Je recherchais la liberté et l’indépendance. Pendant la pandémie, j’ai dû retourner au Liban où il n’y a pas d’électricité, de WiFi ni tout autre élément essentiel dont une personne a besoin pour travailler en ligne », raconte-t-il. Ghali a commencé à rechercher des lieux où les Libanais pouvaient se rendre sans visa, où il y a de l’électricité, un service internet correct et où le loyer et le niveau de vie général étaient abordables. « J’ai atterri à Tbilissi (en 2021) et j’ai décidé de me lancer », explique le spécialiste, qui travaille désormais pour des entreprises à Singapour, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.

Il travaille quatre jours par semaine et essaie de garder un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. « Chaque matin, je me rends au travail à 9 heures. Je fais une pause à midi avant de reprendre jusqu’à environ 17 heures, puis je fais ce que je veux du reste de ma journée », dit-il. Pour lui, c’est le style de vie qu’il a toujours voulu : celui qui lui donne la liberté et l’espace pour vivre à son propre rythme. « Je recommande Tbilissi aux nomades numériques qui cherchent un revenu à l’étranger, mais je dois mettre en garde contre la barrière linguistique, car les habitants parlent principalement géorgien et russe », note-t-il.

Il est facile de rencontrer de nouvelles personnes à Tbilissi, explique-t-il. Il ajoute que la capitale de la Géorgie accueille une grande communauté de nomades numériques et que l’on peut y rencontrer des gens par le biais de groupes Facebook destinés aux expatriés, sans compter les événements qui ciblent les étrangers et les nouveaux arrivants. « La ville abrite une communauté libanaise importante avec ses bars, restaurants et cafés. Les Libanais d’ici sont très amicaux et accueillants envers les nouveaux arrivants », confie Mohammad Ghali.

Nourhane Mokahal, consultante indépendante, Dubaï : « Quand vous devenez un nomade numérique, c’est à vous de créer un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. »

Nourhane Mokahal. Photo DR

Née et élevée au Liban, Nourhane Mokahal, 28 ans, a déménagé à Dubaï en décembre 2021. Ce déplacement, elle ne l’a pas décidé en réaction à la crise qui frappe le pays, mais parce qu’elle voulait explorer de nouveaux horizons et sortir de sa zone de confort. « Il arrive un moment où, au Liban, vous ne pouvez plus vous développer, les problèmes sont récurrents, vous finissez par répéter inlassablement les mêmes choses », explique-t-elle.

Elle poursuit : « Je ne voulais pas me soucier des petits problèmes du quotidien : l’eau, l’électricité. Je ne voulais pas non plus apprendre une nouvelle langue. J’ai découvert qu’il était très facile d’obtenir un visa touristique pour les Émirats, et j’ai des amis là-bas, donc le pays semblait bien adapté. »

La jeune femme se sent en sécurité à Dubaï, car il existe un cadre juridique solide et uniformément appliqué. Et ce n’est pas le seul avantage. « Être basé dans un pays membre du Conseil de coopération du Golfe ouvre des possibilités de travailler pour des entreprises du CCG, dont le taux de rémunération est encore plus élevé que celui d’Europe », explique-t-elle. « Lorsque vous précisez que vous êtes basé à Dubaï sur votre profil, les entreprises vous trouvent plus facilement. Je travaille actuellement pour des entreprises en Arabie saoudite, en France, au Liban et aux Émirats arabes unis », dit-elle. Elle précise toutefois qu’elle travaille toujours en tant que chef de projet free-lance pour l’entreprise sociale où elle était employée au Liban. « Nous soutenons les entrepreneurs sociaux et verts afin de développer leurs idées. »

À propos de la vie à Dubaï, Nourhane Mokahal raconte qu’« il y a beaucoup d’opportunités mais que le milieu est compétitif car il concentre beaucoup de personnes compétentes, d’où la motivation de travailler sur soi et sur ses aptitudes ». Elle met cependant en garde contre le coût élevé de la vie. « Il est nécessaire d’y développer sa gestion financière. »

« Lorsque vous devenez un nomade numérique, c’est à vous de créer un équilibre entre travail et vie privée et de penser à vos propres projets à venir. La vie ici est très rapide, il faut donc faire attention », dit-elle. Mokahal travaille à la fois depuis son domicile et depuis un espace public, où elle se rend lorsqu’elle veut « rencontrer de nouvelles personnes. » Elle ajoute que « le simple fait d’être dehors est bon pour ma santé mentale ».

Elle s’est également créé une routine saine en dehors du travail. « Il existe une application appelée Meetup, par l’intermédiaire de laquelle j’ai participé à différentes randonnées. J’ai également rejoint un groupe de jardinage communautaire... où l’on rencontre des gens pour participer à des actions utiles pour la collectivité », explique-t-elle. Ce qu’elle apprécie à Dubaï, c’est qu’elle n’est pas constamment en train de courir dans tous les sens, contrairement au Liban. « Chaque matin, je me pose pendant une demi-heure pour petit-déjeuner, ce que je ne pouvais jamais faire quand j’étais au Liban », dit la jeune femme, qui commence sa journée par la lecture d’un journal.

Lorsqu’on lui demande quels conseils elle donnerait aux futurs nomades numériques, elle recommande de visiter le pays à partir duquel ils prévoient de travailler pendant une courte période avant de s’y installer de manière définitive. 

Ces dernières années, avec le Covid-19 et la prolifération du travail à distance, le monde a assisté à l’émergence d’une nouvelle catégorie de travailleurs : les nomades numériques. Il s’agit généralement de jeunes gens qui « exercent leur activité professionnelle entièrement sur internet tout en voyageant », selon la définition du dictionnaire Merriam-Webster.Certains...

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