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Idées - Bras de fer judiciaire

Les tracas du Hezbollah

Les tracas du Hezbollah

Des militants d’Amal et du Hezbollah tenant des pancartes hostiles au juge Tarek Bitar et à l’ambassadrice américaine, le 14 octobre 2021, devant le Palais de justice de Beyrouth. Photo Lyana Alameddine

Le Hezbollah apparaît sans doute comme l’un des plus grands perdants de la séquence particulièrement dramatique que vient de vivre le Liban cette semaine. La décision, lundi, du juge Tarek Bitar de reprendre son enquête sur la double explosion du 4 août a été suivie, le lendemain, de sanctions du département du Trésor américain contre un agent de change pour ses liens financiers présumés avec le Hezbollah. Parallèlement, la crise financière et monétaire et ses effets boule de neige s’est encore accentuée dans un contexte de vide politique, le Parlement étant incapable d’élire un président.

L’état d’esprit du parti de Dieu le conduira à interpréter ces événements comme une tentative des États-Unis d’accroître la pression avant l’élection présidentielle, alors que les tensions augmentent entre Téhéran et Washington et leurs soutiens régionaux respectifs. Néanmoins, les options du parti restent limitées étant donné la position précaire du Liban et l’incapacité du Hezbollah à imposer l’unité, même parmi ses alliés, sur le choix du président.

L'éditorial de Issa GORAÏEB

Sabordage

Son défi le plus urgent est de traiter le cas Bitar. Lundi, le magistrat a surpris la classe politique en reprenant son enquête, après avoir été contraint de la suspendre pendant plus d’un an du fait des multiples recours en récusation présentés par des personnalités politiques mises en cause. Bitar a également engagé des poursuites judiciaires contre deux hauts responsables sécuritaires, Abbas Ibrahim, le chef de la Sûreté générale, et Antoine Saliba, qui dirige la Sécurité de l’État. Le premier est parvenu à s’imposer comme à la fois un allié majeur du Hezbollah et un interlocuteur bien introduit auprès des États régionaux et occidentaux sur les questions de sécurité régionale. De plus, son mandat se termine dans deux mois, et des poursuites judiciaires à son encontre compliqueraient sa reconduction, sans parler de l’effet que cela aurait sur ses ambitions politiques. Déjà accusé par le Hezbollah d’agir sur ordre de Washington, le juge Bitar fait en outre face à des spéculations liées à sa rencontre, la semaine précédant sa décision spectaculaire, avec une délégation judiciaire française. Quant au pouvoir judiciaire libanais, il reste divisé sur les initiatives du juge Bitar et le bras de fer qui l’oppose au procureur général Ghassan Oueidate, qui contrôle la police judiciaire censée exécuter les décisions du juge d’instruction et qui a informé le magistrat que son enquête restait suspendue, avant de répliquer judiciairement aux poursuites lancées par ce dernier.

Préoccupations politiques
Il reste que le Hezbollah sera plus préoccupé par les implications politiques de cette séquence : alors que l’absence d’un président et d’un cabinet pleinement opérationnel a déjà contribué à accroître les tensions confessionnelles, toute poursuite judiciaire à l’encontre de certains responsables risque d’offenser leurs partisans, tandis que l’absence de progrès dans l’enquête pourrait être perçue comme une atteinte aux chrétiens – qui représentent la majorité des victimes de la double explosion du 4 août. L’opposition de longue date du Hezbollah à l’enquête de Tarek Bitar pourrait lui coûter cher à cet égard. D’autant que les différences dans les prises de position publiques favorables à l’enquête du CPL pourrait nuire à leur alliance déjà fragile, qui a souffert des différences concernant la présidence.

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En octobre 2021, le Hezbollah et ses alliés ont réussi à paralyser l’enquête après avoir organisé des manifestations de rue contre Bitar. Celles-ci ont conduit aux affrontements armés de Tayouné, faisant plusieurs morts et blessés. Ces évènements ont souligné à quel point le Hezbollah semblait avoir quelque chose à craindre de la poursuite de cette enquête dans un contexte où une partie de l’opinion le soupçonne déjà d’être responsable du stockage du nitrate d’ammonium qui a provoqué la double explosion dans le port, avec la complicité de nombreux politiciens et figures de la sécurité.

En raison du vide présidentiel, le Hezbollah se retrouve aujourd’hui dans une position plus faible face à Bitar. Toute action contre lui ne ferait qu’exacerber les tensions confessionnelles, dans un contexte où les différentes communautés prennent de plus en plus leur sécurité en main face à l’affaiblissement des institutions étatiques. Déjà, les déclarations du parti de Dieu sur l’élection présidentielle suscitent de vives réactions. Le chef des Forces libanaises Samir Geagea l’a accusé de vouloir modifier l’ordre politique du pays en tentant d’imposer son candidat à la présidence, tout en niant les velléités de partition que lui prête le parti chiite. De son côté, le patriarche maronite Bechara Rai a accusé le Hezbollah, sans le nommer, de chercher intentionnellement à créer un vide dans les postes supérieurs de l’État réservés à la communauté maronite, à commencer par la présidence.

En dépit de ces tensions, le parti de Dieu reste sur ses positions. La semaine dernière, son secrétaire général Hassan Nasrallah a réitéré ses critères pour un nouveau président : « un homme courageux » et capable de résister aux pressions de Washington, ainsi qu’une classe politique et une économie résilientes. Ses conditions ont laissé entendre qu’il n’approuverait pas l’élection du commandant des forces armées Joseph Aoun, que beaucoup voient comme un candidat potentiel de compromis, car il est considéré comme proche de Washington. Pour l’instant, le Hezbollah s’accroche à Sleiman Frangié, cherchant à réunir un soutien suffisant au Parlement pour sa candidature. Cependant, le temps presse, non seulement en raison des difficultés causées par l’enquête sur la double explosion au port, mais aussi de l’aggravation de la crise économique et financière, avec une nouvelle dégradation brutale de la livre ces derniers jours.

Options limitées
Il y a deux raisons pour lesquelles le Hezbollah voit les derniers développements comme une escalade américaine au-delà du récit récurrent du parti d’un blocus américain du Liban. Premièrement, les sanctions du Trésor américain à l’encontre de Hassan Moukalled ont fait craindre que la prochaine série de sanctions ne vise les sociétés de transfert de fonds qui ont partiellement remplacé les banques depuis la crise. Cela aurait un impact négatif sur le taux de change de la livre ainsi que sur l’économie du Liban en général. Deuxièmement, alors que des signes indiquent que la Réserve fédérale américaine examine de beaucoup plus près les transferts en dollars de l’Irak vers des pays comme le Liban, l’Iran, la Syrie et le Yémen, le dinar irakien s’est effondré. La Réserve fédérale cherche à rendre l’Irak conforme au système international de transfert électronique Swift, faute de quoi de nombreux transferts continueront d’être bloqués. Un économiste irakien a estimé que les transferts électroniques en provenance des États-Unis étaient passés de 240 millions à 22 millions de dollars par jour. Pour le Hezbollah, qui considère l’Irak comme un coin vital sur la carte de l’influence régionale de l’Iran, de telles mesures représentent une menace, et elles trouvent un écho dans la crise budgétaire du Liban.

Les alliés de l’Iran ont des options limitées face à de telles actions américaines au-delà des escalades militaires. La situation en Irak pourrait encore être surmontée. Toutefois, au Liban, la réalité est plus compliquée, compte tenu du vide présidentiel, des tensions sectaires et de la tourmente économique. Le Hezbollah devra trouver une nouvelle boîte à outils pour faire face à ces problèmes, car ni gagner du temps ni s’engager dans la violence ne donnera de résultats.

Ce texte est disponible en anglais sur Diwan, le blog du Carnegie MEC.

Par Mohanad HAGE ALI

Chercheur et directeur de la communication du Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center. Dernier ouvrage : « Nationalism, Transnationalism, and Political Islam » (Palgrave, 2017).

Le Hezbollah apparaît sans doute comme l’un des plus grands perdants de la séquence particulièrement dramatique que vient de vivre le Liban cette semaine. La décision, lundi, du juge Tarek Bitar de reprendre son enquête sur la double explosion du 4 août a été suivie, le lendemain, de sanctions du département du Trésor américain contre un agent de change pour ses liens financiers...

commentaires (5)

Si le Hezbollah n'avait rien à craindre il ne jouerait pas ce jeu macabre ... et il laisserai la justice suivre son cours quelque soit le juge nommé... à la place de ça il veut et a tout fait pour virer le juge Bitar sans s'en cacher. De plus il veut imposer un président fantoche à sa solde qui le laisse mener la destruction des institutions et développer son armée mafieuse qui tue et assassine au Yemen et en Syrie, bientôt au Liban.

Zeidan

22 h 34, le 31 janvier 2023

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Commentaires (5)

  • Si le Hezbollah n'avait rien à craindre il ne jouerait pas ce jeu macabre ... et il laisserai la justice suivre son cours quelque soit le juge nommé... à la place de ça il veut et a tout fait pour virer le juge Bitar sans s'en cacher. De plus il veut imposer un président fantoche à sa solde qui le laisse mener la destruction des institutions et développer son armée mafieuse qui tue et assassine au Yemen et en Syrie, bientôt au Liban.

    Zeidan

    22 h 34, le 31 janvier 2023

  • Mais non voyons! Le Hezbollah, veut découvrir la vérité sur le port de Beyrouth! OK il ne veut pas que cela se dirige vers lui ou ses alliés, mais il veut vraiment connaître le coupable! En réalité les admirateurs de ce "parti", comme Hassan Hijazi annonce sur Twitter que c'est bien Israël le coupable. Si c'est le Monsieur Hijazi, pourquoi vos alliés lèvent le bouclier? Si vous êtes si sûr de vous, pourquoi ne pas nous donner des preuves matériels, concrètes et non circonstatielles! Bizarre il ne m'a jamais répondu.

    Marwan Takchi

    20 h 22, le 29 janvier 2023

  • Cette analyse est interessante car elle place la crise judiciaire libanaise dans un contexte international et régional. Dommage que l’auteur ne développe pas davantage les pistes qu’il suggère.

    Marionet

    10 h 47, le 29 janvier 2023

  • Mais oui le Hezbollah veut un président désigné par les molahs iraniens . Pauvre Liban il faut un miracle prions st. Charbel

    Eleni Caridopoulou

    19 h 50, le 28 janvier 2023

  • - LORSQUE LES POURSUITES JUDICIAIRES, - DE BITAR, SANS FOND COMMUNAUTAIRE, - SONT REJETEES DES SEULS MERCENAIRES, - C,EST AVOUER L,ACTION MEURTRIERE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 10, le 28 janvier 2023

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