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Société - Contestation

Tempête au sein du conservatoire de Beyrouth

Face à la crise que traverse le pays, l’institution pionnière dans l’histoire musicale libanaise connaît une vague de grèves. Un mouvement auquel la nouvelle directrice Hiba el-Kawas a répondu par un premier licenciement. 

Tempête au sein du conservatoire de Beyrouth

Edy Dorlian, président de la Ligue des enseignants du Conservatoire, lors d\'une conférence de presse pour défendre le mouvement de grève ouverte le 11 janvier 2023. Photo DR.

Confrontée à une grève ouverte du personnel lancée ce 3 janvier par la Ligue des enseignants du Conservatoire libanais national supérieur de musique (CLNSM), la nouvelle directrice par intérim, Hiba el-Kawas, a pris la décision de renvoyer le leader de la contestation de ses fonctions, après 30 ans de bons et loyaux services.

« C’est une décision arbitraire et contraire aux libertés », a déclaré à L’Orient-Le Jour Edy Dorlian, dont le contrat a été rompu ce vendredi « sans préavis ni avertissement préalable », alors qu’il préside la Ligue des enseignants du CLNSM. Les six autres membres de la Ligue des enseignants ont été informés par téléphone qu’ils seraient convoqués afin de répondre à un interrogatoire devant le comité de direction. Les enseignants protestent contre le fait qu’ils n’ont pas profité de la revalorisation de leurs salaires, comme le reste du secteur public. Des salaires fortement dévalués en raison de l’effondrement de la monnaie nationale face au dollar.

« Pas de place pour le dialogue »
« On ne peut pas se permettre de telles actions de contestation à un moment où l’identité culturelle du Liban est menacée. Le conservatoire en est le garant et, dans ce contexte, il faut redoubler d’organisation et d’engagement », a pour sa part considéré la directrice Hiba el-Kawas lors d’un entretien téléphonique avec L’OLJ, regrettant de ne pas avoir pris de sanctions contre les contestataires « plus tôt », dès sa prise de fonction l’été dernier.

Le Conservatoire national. Photo DR

« Il n’y a pas de place pour le dialogue avec la direction qui ne connaît que la répression et les menaces face à des demandes concernant les besoins les plus basiques » des enseignants, rétorque Edy Dorlian, rappelant son rôle dans l’édification de l’institution depuis ses débuts. À la suite de la décision du comité de direction du Conservatoire, le guitariste a décidé de présenter un recours en annulation devant le Conseil d’État, et menace par ailleurs de porter plainte pour diffamation « contre toute personne qui nuira à sa réputation ».

L’enseignante-pianiste Lisa Tutundjian, membre de la Ligue des enseignants, affirme qu’aucun des 250 employés n’a à ce jour acquis le statut de fonctionnaire, « malgré les promesses faites depuis des décennies ». Fondé il y a près d’un siècle par Wadih Sabra, le compositeur de l’hymne national libanais, le Conservatoire a joué un rôle majeur dans l’histoire musicale du pays, accompagnant le travail des plus grands musiciens, tels les frères Rahbani ou Magida el-Roumi, et contribuant ainsi à diffuser la culture libanaise partout dans le monde.

Sans électricité depuis un an
Placée sous la tutelle du ministre de la Culture, cette institution publique jouit d’une autonomie sur le plan administratif et financier. Pourtant, aucun des employés du Conservatoire n’a bénéficié de la revalorisation des salaires du secteur public engagée il y a un an afin de remédier à la dépréciation de la monnaie nationale.

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« Tous les enseignants sont des vacataires payés au tarif horaire de 30 000 livres, alors que le taux de change du dollar a dépassé 50 000 livres sur le marché noir », déplore Lisa Tutundjian dont le salaire mensuel équivaut aujourd’hui, après 25 ans de service, à 60 dollars. « Certains vivent sans électricité depuis un an, car ils n’ont pas reçu de compensations sur les salaires de 2022. Ils n’ont pas les moyens de payer les factures de générateurs et se retrouvent donc dans l’incapacité d’assurer les cours en ligne. »

« Durant la crise sanitaire, nous n’avons pas non plus touché nos salaires. Les enseignants ont malgré tout continué à donner des cours en ligne de leur propre chef et sans aucun encadrement », livre sous le couvert de l’anonymat un ex-enseignant qui a quitté l’institution il y a un an pour enseigner dans le privé. « Hiba el-Kawas est brillante et talentueuse, mais elle fait une erreur en croyant qu’elle pourra atteindre ses objectifs par la peur », estime-t-il.

Une revalorisation imminente ?
Après un premier mouvement de grève en octobre 2022, la nouvelle direction avait finalement accepté que les enseignants travaillent seulement un jour par semaine en présentiel et assurent le reste des cours en ligne, en l’absence de dédommagement des frais de transports. Mais elle ne s’était pas privée de déduire les jours de grève des salaires de décembre, sans non plus verser de treizième mois.

Puis, début janvier, une grève ouverte avait été déclarée afin de réclamer la revalorisation des salaires annoncée par un décret approuvé en Conseil des ministres à la suite des efforts de Hiba el-Kawas, six mois seulement après sa prise de fonction. « Le versement des nouveaux salaires dépendra de la tenue ou non du Conseil des ministres cette semaine. Une revalorisation a été actée à partir de janvier 2023, de même que des dédommagements pour l’année passée, en espérant que ces sommes arrivent dans les prochaines semaines, indique la directrice. En attendant, je sanctionnerai tous ceux qui mettent à mal le bon fonctionnement des institutions. Arrêter de travailler pendant plus de 15 jours constitue une infraction à la loi », poursuit-elle, persuadée de lutter ainsi contre « les fléaux de la corruption et du vol de l’argent public qui rongent le pays ».

« J’aurais pu faire comme les autres et rejoindre le mouvement, mais qu’aurions-nous obtenu ? s’interroge-t-elle. Ces slogans populaires qui jouent sur les ressentiments ne mènent à rien. J’ai fait le choix difficile de passer à l’action, défiant toutes les circonstances, pour faire de l’Institut supérieur de musique un centre d’enseignement de haut niveau au Moyen-Orient. »

Toutefois, les grévistes ne comptent pas s’arrêter là. « Nous allons soutenir le recours présenté par M. Dorlian auprès du Conseil d’État afin que soit annulée cette décision contraire à la Constitution et aux libertés publiques et syndicales, déclare Maroun el-Khaouli, président de la Fédération générale des syndicats au Liban. Pour cela, nous prévoyons de rencontrer le ministre (sortant) de la Culture et le Premier ministre, afin de réaffirmer notre position et d’améliorer l’action syndicale au sein du Conservatoire. » 

Confrontée à une grève ouverte du personnel lancée ce 3 janvier par la Ligue des enseignants du Conservatoire libanais national supérieur de musique (CLNSM), la nouvelle directrice par intérim, Hiba el-Kawas, a pris la décision de renvoyer le leader de la contestation de ses fonctions, après 30 ans de bons et loyaux services.
« C’est une décision arbitraire et contraire aux libertés...

commentaires (2)

"Fondé il y a près d’un siècle par Wadih Sabra, le compositeur de l’hymne national libanais, le Conservatoire a joué un rôle majeur dans l’histoire musicale..." Compositeur de l'hymne national? Dites plutôt plagiaire: il a acheté la musique de Mohammad Flayfel, qui l'avait composée pour l'éphémère république du Rif...

Georges MELKI

09 h 53, le 25 janvier 2023

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Commentaires (2)

  • "Fondé il y a près d’un siècle par Wadih Sabra, le compositeur de l’hymne national libanais, le Conservatoire a joué un rôle majeur dans l’histoire musicale..." Compositeur de l'hymne national? Dites plutôt plagiaire: il a acheté la musique de Mohammad Flayfel, qui l'avait composée pour l'éphémère république du Rif...

    Georges MELKI

    09 h 53, le 25 janvier 2023

  • Edy Dorlian est un excellent guitariste. Hiba Kawas et lui ne sont pas du même monde

    M.E

    21 h 36, le 24 janvier 2023

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