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En effeuillant la république

Depuis le temps, nous devrions avoir déjà perdu nos dernières illusions quant à cette association de faussaires qui, chez nous, tient lieu désormais de république. Faux jetons en effet, que ces dirigeants persistant à nous promettre la lune dans le même temps qu’ils assassinent froidement le Liban. Faux prophètes, ces chefs de parti s’érigeant en jaloux défenseurs des intérêts de leur communauté et qui, au final, n’ont offert que désastre après désastre à leurs coreligionnaires. Faux témoins, ces politicards notoirement véreux qui ont néanmoins l’énorme culot de se poser régulièrement en vertueux champions de la lutte contre la corruption. Faux-monnayeurs enfin, dans le sens le plus littéral du terme cette fois, que les membres de cette mafia politico-financière qui ont fait main basse sur les devises du pays, laissant les citoyens se décarcasser avec ces liasses de livres libanaises encombrant, pour quasiment rien, le cabas de la ménagère.

À peine émergé d’une dévastatrice guerre de quinze ans, l’État libanais a bien mal passé le cap du centenaire. De là où ses gouvernants étaient censés l’aider à se régénérer et se moderniser, le hisser à la hauteur des exigences du siècle – en un mot l’updater, comme l’on dit aujourd’hui –, ils n’ont fait que redonner vie et vigueur à ses vieux démons : ceux-là mêmes que les pères fondateurs avaient cru exorciser à jamais en concluant un pacte national scellant le vivre-ensemble des diverses familles spirituelles. Que ce vertigineux retour à la case départ se soit accompagné d’une disparition des valeurs morales, d’une ruée quasi générale sur les dépouilles de l’État, n’est que dans le tragique ordre des choses…

Cette république en toc, cela fait plus de deux ans qu’on la regarde s’effriter brique après brique, pan après pan, sans que ses tristes gestionnaires en perdent le sommeil. Elle fait penser, cette ribaude, à une traînée décatie se livrant à un dernier et peu ragoûtant strip-tease, dans un vacarme de sifflets et de huées, au rythme de retentissants scandales et de furieuses manifestations populaires devenues quotidiennes. Elle en est pratiquement à ses toutes dernières pièces vestimentaires, les mieux placées d’ailleurs pour servir de cache-misère.

L’une d’elles est cette malheureuse institution judiciaire sans laquelle il ne saurait y avoir d’État ou même de communauté humaine, de société rassurée quant à la primauté du droit. La justice libanaise, on la savait déjà bien malade, avec nombre de ses magistrats ouvertement inféodés à des instances politiques ; jamais cependant elle n’a paru plus éclatée (et donc plus impuissante) qu’au lendemain des derniers rebondissements de l’affaire du port de Beyrouth. Malgré l’admirable persévérance de juges honnêtes, on a vu à l’œuvre une machine judiciaire sourde aux menaces physiques visant un juge d’instruction s’acharner férocement en revanche sur les proches des victimes de la géante explosion du 4 août 2020.

Le plus regrettable est que pour disperser, avec la plus grande brutalité, les familles révoltées par tant d’iniquité, on ait fait appel non point à la police ou à la gendarmerie, non point à l’une ou l’autre des nombreuses agences sécuritaires, mais à cette institution unanimement respectée qu’est l’armée. Mais bon sang pourquoi l’armée, pourquoi cette ultime feuille de vigne dont prétend encore se parer la strip-teaseuse évoquée plus haut ? Quel esprit malin a-t-il donc lancé la patate brûlante au commandant de la troupe? Et pourquoi diable la saisir, à l’heure où le général Joseph Aoun passe pour l’un des candidats de compromis à la présidence de la République ?

En définitive, la seule note positive que l’on peut repérer dans cet insensé chaos est que le vaste déballage de linge sale meublant en ce moment l’actualité libanaise a lieu sous le regard d’une mission judiciaire européenne présente sur notre sol. Elle va vite constater que dans notre doux pays, c’est seulement de déballage qu’il est question, mais jamais hélas ! de lessive en règle. La seule chose que l’on sait y blanchir, c’est l’argent.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Depuis le temps, nous devrions avoir déjà perdu nos dernières illusions quant à cette association de faussaires qui, chez nous, tient lieu désormais de république. Faux jetons en effet, que ces dirigeants persistant à nous promettre la lune dans le même temps qu’ils assassinent froidement le Liban. Faux prophètes, ces chefs de parti s’érigeant en jaloux défenseurs des intérêts de...