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Moyen-Orient - Syrie

Candélabres, porcelaines de Limoges et tapis indo-persans ... À Paris, le mobilier de Rifaat el-Assad mis aux enchères

Une vente aux contours flous a débuté jeudi et se poursuit vendredi dans la capitale française. Tout semble indiquer que les objets exposés appartiennent à Rifaat el-Assad et à ses proches.


Candélabres, porcelaines de Limoges et tapis indo-persans ... À Paris, le mobilier de Rifaat el-Assad mis aux enchères

Rifaat el-Assad. Photo d'archives AFP

Dans une salle pleine à craquer de l’hôtel Drouot situé au numéro 9 de la rue éponyme à Paris, une femme s’agite pour retirer son manteau en fourrure. De quoi induire quelques secondes en erreur le commissaire-priseur. Lui pense qu’elle lève le bras pour faire monter les enchères. Mais elle n’est pas intéressée par le lot en négociation. Elle a juste un peu chaud. Il fait 12 degrés dehors.Plus loin, un homme chuchote avec sarcasme à son voisin : « Il y a beaucoup de choses, mais très peu de goût. » Un autre, debout dans le fond, semble emporté par la fièvre acheteuse : il est presque de toutes les parties. Dans l’auditoire, on discute surtout en français, souvent en arabe. Parfois en farsi et en russe.

C’est là, dans cet établissement réputé pour accueillir les ventes de la capitale française, qu’a débuté jeudi une mise aux enchères peu anodine : elle concerne les biens mobiliers d’un hôtel particulier de l’avenue Foch. Selon plusieurs sources, le lieu en question n’est autre que celui qui appartenait jadis à Rifaat el-Assad, l’oncle du président syrien Bachar el-Assad, situé au 38 de ladite avenue. Le lot numéro 10, dont le prix de départ avait été estimé à 8 000 euros, a été cédé pour la modique somme de 40 000 euros.

Extrait d'un catalogue de vente mis en ligne par la maison Ader.

Certains quittent la salle des « adjugés-vendus » pour se précipiter vers l’exposition organisée dans le même bâtiment. Ici, un soixantenaire scrute avec attention les détails d’une multitude de tapis persans. Ailleurs, un trentenaire court dans tous les sens au téléphone, visiblement avec un acheteur au bout du fil. Partout, la politique est absente. Quand on parle, ce n’est que pour évoquer la panoplie exhibée. Pas sa provenance.Le Journal du dimanche est le premier média français à avoir officiellement annoncé la nouvelle, mercredi dans l’après-midi, soulignant que « plus de 500 objets ou meubles ayant appartenu à l’oncle de Bachar el-Assad, condamné en France pour s’être constitué un patrimoine somptuaire avec des fonds publics syriens, sont mis aux enchères cette semaine ». Cette possibilité avait toutefois déjà été soulevée auparavant, notamment par des activistes syriens.

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Et dans le catalogue de vente accessible en ligne sur le site de la maison Ader, qui organise l’événement, on retrouve des indices allant dans ce sens. En témoigne par exemple un service de table fabriqué par l’entreprise française Haviland et décrit comme une « Création spéciale pour Son Excellence REA », REA pouvant raisonnablement faire référence aux initiales du principal intéressé. Au cœur des assiettes, un motif de lion doré…

Le lot 53 dans le catalogue de vente mis en ligne par la maison Ader : un important service de table « Création spéciale pour Son Excellence REA ».

« Nous avons identifié sur quelques photos d’interviews données par Rifaat el-Assad dans son bureau à Paris par le passé des éléments que l’on retrouve dans le catalogue de mise en vente, dont un ensemble de canapés et deux tableaux », note Chanez Mensous, responsable de contentieux et plaidoyer – lutte anticorruption au sein de l’ONG française Sherpa, partie civile dès 2013, aux côtés de Transparency International, dans la procédure engagée en France contre l’oncle du dictateur syrien pour biens mal acquis. Il en va ainsi des lots 82 et 115 au sein du catalogue.

Le lot 115 du catalogue de vente mis en ligne par la maison Ader.

Biens mal acquis

À première vue, cette vente aux enchères suscite plusieurs interrogations, nourries par les confusions liées à la confiscation des avoirs de Rifaat el-Assad en France – estimés à hauteur de 90 millions d’euros – à la suite de la confirmation de sa condamnation en septembre 2022 par la plus haute juridiction française à quatre ans de prison pour blanchiment d’argent et détournement de fonds publics.

Car si l’hôtel particulier du 38, avenue Foch est concerné par cette saisie, ce n’est pas le cas des lustres, tableaux, porcelaines, tables et autres objets qui le composent. Autant de biens qui échappent donc à la nouvelle loi votée en 2021 sur la création d’un dispositif de restitution des biens mal acquis aux populations des pays d’origine des fonds. Ici, ce n’est pas à l’État français que doit revenir la moisson de la récolte. Et il ne s’agit aucunement d’en redistribuer la majeure partie, avec toutes les difficultés que cela suppose en termes de mise en œuvre, à la population syrienne. « Si le 38, avenue Foch fait bien partie des biens saisis dans le cadre de la procédure dans laquelle Sherpa était partie civile, ce n’est pas le cas des objets, vaisselles, tapis, etc. à l’intérieur du lieu », insiste Chanez Mensous. « Il pourrait s’agir d’une vente des ayants droit de Rifaat el-Assad qui soldent ou vendent le contenu du bien immobilier qui, lui, est par ailleurs saisi », avance l’experte, qui précise cependant qu’« il n’y a aucun moyen de savoir si cette vente profite effectivement à ces bénéficiaires, car il se peut également qu’ils aient déjà vendu auparavant l’ensemble des biens (à une tierce partie qui les revend actuellement, NDLR) ».

Rien d’illégal ?

D’un point de vue éthique et symbolique, l’intérêt des acheteurs pour les reliques fastueuses d’un tortionnaire – surnommé le « bourreau de Hama », en référence à son rôle central dans les massacres de 1982 en Syrie qui ont fait près de 20 000 morts – déclenche une controverse.

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Une paire de vases balustres estimée entre 8 000 et 16 000 euros, une tapisserie en soie dont l’évaluation est comprise entre 10 000 et 20 000 euros... Les images qui circulent donnent à voir une débauche de luxe alors même que la guerre qui a ravagé la Syrie au cours de la dernière décennie a engendré l’une des pires crises humanitaires depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et que le système Assad repose sur la torture à grande échelle et la corruption, deux domaines dont Rifaat el-Assad était coutumier, malgré de vieilles querelles politico-familiales qui l’ont contraint à quitter la Syrie en 1984, avant que son neveu l’autorise à y remettre les pieds officiellement en octobre 2021.

Malgré cet historique sanguinaire, la vente aux enchères actuelle n’a rien d’illégal. « Il y a déjà eu des cas de biens mobiliers saisis par la justice. C’est par exemple arrivé dans le cas de Teodorin Obiang (vice-président de la Guinée équatoriale). Mais il s’agit d’un cas où il était possible d’identifier les biens à travers par exemple des traces d’acquisition, souligne Chanez Mensous. Dans le cas de Rifaat el-Assad, notre enquête ne porte que sur les biens immobiliers. »

Dans une salle pleine à craquer de l’hôtel Drouot situé au numéro 9 de la rue éponyme à Paris, une femme s’agite pour retirer son manteau en fourrure. De quoi induire quelques secondes en erreur le commissaire-priseur. Lui pense qu’elle lève le bras pour faire monter les enchères. Mais elle n’est pas intéressée par le lot en négociation. Elle a juste un peu chaud. Il fait 12...

commentaires (2)

Un petit jeu : chercher dans la famille Wahech (veritable patronyme des Assad de Syrie) un seul membre qui ne soit ni meurtrier sanglant, ni corrompu jusqu'a la moelle, ni les deux a la fois.

Michel Trad

23 h 20, le 12 janvier 2023

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Commentaires (2)

  • Un petit jeu : chercher dans la famille Wahech (veritable patronyme des Assad de Syrie) un seul membre qui ne soit ni meurtrier sanglant, ni corrompu jusqu'a la moelle, ni les deux a la fois.

    Michel Trad

    23 h 20, le 12 janvier 2023

  • Voilà, bien mal acquis profitera toujours. On n’a rien trouvé chez l’autre ""férule de Damas"", mort paisiblement à Paris pendant le confinement ? On n’a rien trouvé chez lui d’autres bijoux de famille à s’en débarrasser par une vente publique pour d’éventuels nouveaux riches désireux de constituer un cabinet de curiosité, des pistolets d’amorce, des sabres et autres peaux de bêtes…. Question sans réoponse : la vente n’était pas possible avant la restitution de sa légion d’honneur ?

    Nabil

    15 h 40, le 12 janvier 2023

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