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Idées - Commentaire

Quand le Moyen-Orient se « désengage » vis-à-vis des États-Unis

Quand le Moyen-Orient se « désengage » vis-à-vis des États-Unis

Le président chinois Xi Jinping et le prince héritier saoudien Mohammad ben Salman, à Riyad, le 8 décembre 2022. Archives AFP

La visite de Xi Jinping en Arabie saoudite la semaine dernière a été un autre moment de vérité pour les États-Unis : le président chinois a été reçu en fanfare par les Saoudiens, tandis que celle de Joe Biden, en juillet dernier, était bien plus discrète – notamment en raison des retombées diplomatiques du meurtre de Jamal Khashoggi par un régime que le nouveau président américain a qualifié de « paria ».

Un contraste d’autant plus gênant que les États-Unis n’apprécient guère l’impression répandue au Moyen-Orient qu’ils se désengagent de la région. Lors d’un sommet avec les dirigeants arabes en juillet dernier, M. Biden s’est d’ailleurs empressé d’assurer à ses homologues que Washington « ne laisserait pas un vide à combler par la Chine, la Russie ou l’Iran », l’effort visant à contenir la puissance chinoise devant être mondial plutôt que centré sur le Pacifique. Là où le bât blesse, c’est que les gouvernements du Moyen-Orient ne sont désormais pas disposés à être mobilisés dans des croisades antichinoises ou antirusses…

Contradictions américaines

Parallèlement, les adversaires politiques de Joe Biden dénoncent une contradiction dans l’approche de l’administration vis-à-vis de la région. Et ils n’ont peut-être pas tort : lorsque Joe Biden était le vice-président de Barack Obama, la logique était différente, elle ne visait pas tant à contenir la Chine au Moyen-Orient qu’à créer un équilibre régional des pouvoirs, ce qui permettrait aux États-Unis de réduire leur empreinte militaire. Un élément essentiel de cette équation était de reconnaître que l’Iran avait le droit de s’intéresser davantage aux affaires régionales. Bien que l’administration Obama n’ait jamais vraiment précisé ce que cela signifiait, pour ses critiques, cela impliquait trois choses : négocier avec l’Iran sur le front nucléaire afin d’améliorer les relations ; permettre à l’accord nucléaire de conduire à une levée des sanctions à même de favoriser une prospérité économique; et reconnaître implicitement l’influence de Téhéran dans plusieurs pays arabes. « La concurrence entre les Saoudiens et les Iraniens – qui a contribué à alimenter les guerres par procuration et le chaos en Syrie, en Irak et au Yémen – nous oblige à dire à nos amis ainsi qu’aux Iraniens qu’ils doivent trouver un moyen efficace de partager le voisinage et d’instituer une sorte de paix froide », avait par exemple déclaré M. Obama dans une interview à The Atlantic en avril 2016.

Il y a une contradiction évidente entre cette approche et la position publique actuelle de Joe Biden sur la nécessité de contenir Moscou, Pékin et Téhéran. Mais pour les détracteurs de l’administration en place, cette contradiction est une illusion volontairement entretenue : pour eux, Biden est simplement un « Obama 2.0 ». C’est, au mieux, douteux, mais la politique partisane encourage les conclusions hâtives : les critiques ont moins à dire sur Donald Trump qui n’a pas fait grand-chose pour dissiper la confusion sur l’attitude des États-Unis à l’égard de la région. Ses partisans ont applaudi son retrait du Plan d’action global conjoint, l’accord nucléaire avec l’Iran, et ses concessions à Israël, notamment la reconnaissance de Jérusalem comme capitale et l’approbation de l’annexion illégale du plateau du Golan. Pour ses partisans, Trump montrait ainsi que l’Amérique pouvait encore défendre ses alliés.

Le problème est que tout ce que Trump a vraiment montré, c’est une propension à fermer les yeux sur les abus de ces derniers, tout en ne faisant rien lorsqu’ils sont réellement menacés. Le révélateur le plus notable de cette contradiction est apparu en septembre 2019, lorsque deux installations pétrolières clés dans l’est de l’Arabie saoudite ont été attaquées. Alors que les houthis ont revendiqué la responsabilité, les États-Unis ont rapidement conclu que l’Iran avait en fait mené les frappes. Donald Trump a même répété cette accusation, mais a ajouté qu’il « aimerait éviter » un conflit militaire, prétendument parce que les Iraniens voulaient « conclure un accord. »

Confiance brisée

S’il ne fallait retenir qu’un événement pour expliquer pourquoi Riyad a été réticent à faire confiance à Washington, c’est très probablement celui-là. Les Saoudiens ne portaient pas Obama dans leur cœur, mais ils étaient assez sensés pour reconnaître, une fois leurs installations pétrolières touchées, que Trump ne valait guère mieux – même s’il s’est vanté de protéger le prince héritier Mohammad ben Salmane après le meurtre de Khashoggi. Si les États-Unis avaient jusque-là toujours considéré la sécurité de cet approvisionnement pétrolier comme une ligne rouge stratégique, Riyad a pu constater que ce n’était désormais plus vrai – surtout à un moment où leur allié était sur le point de devenir un exportateur net de pétrole. Depuis, les Saoudiens se sont adaptés en conséquence.

Or l’administration Biden n’a pas fait grand-chose pour les rassurer. Il a fallu un an et demi pour que le président américain se rende dans le royaume, et seulement pour demander une hausse de la production de pétrole dans le sillage de la guerre en Ukraine. Or la décision de l’OPEP+ de réduire la production, en octobre dernier, a montré que Riyad définissait ses intérêts comme il l’entendait, sans tenir compte de Washington.

Joe Biden a l’occasion, dans les deux années restantes de son mandat, de développer une stratégie pour le Moyen-Orient qui persuade ses partenaires régionaux que les États-Unis peuvent satisfaire leurs besoins. Mais si la stratégie de sécurité nationale de l’administration Biden est un buffet de bonnes idées, nombre d’entre elles peuvent entretenir une certaine confusion. Les États-Unis promettent de moins s’appuyer sur des « politiques militaro-centrées », mais fixent ensuite des objectifs qui remettent en question cet engagement – notamment en aidant les pays à se défendre contre les menaces étrangères, ou en exprimant leur volonté de « recourir à d’autres moyens » si la diplomatie ne parvient pas à empêcher l’Iran d’acquérir une arme nucléaire. On peut donc penser que ce que les États arabes et Israël verront surtout dans cette approche, c’est son imprécision et son imprévisibilité, avec des promesses si larges ou si incompatibles qu’il est difficile d’anticiper leurs effets politiques concrets.

Dans ce contexte, il faut s’attendre à ce que les pays de la région continuent à suivre leur propre voie indépendamment de Washington. La Turquie, le Qatar et Oman ont commencé à le faire il y a quelque temps, les Saoudiens, les Émiratis et les Égyptiens les ont suivis de près, tandis qu’Israël a depuis longtemps son propre agenda, malgré son étroite coopération avec les Américains. La question n’est donc plus de savoir si les États-Unis se désengagent du Moyen-Orient, tant il est de plus en plus évident que c’est l’inverse qui se produit.

Ce texte est aussi disponible en anglais sur « Diwan », le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.

Par Michael YOUNG

Rédacteur en chef de « Diwan ». Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).

La visite de Xi Jinping en Arabie saoudite la semaine dernière a été un autre moment de vérité pour les États-Unis : le président chinois a été reçu en fanfare par les Saoudiens, tandis que celle de Joe Biden, en juillet dernier, était bien plus discrète – notamment en raison des retombées diplomatiques du meurtre de Jamal Khashoggi par un régime que le nouveau président...

commentaires (4)

Stupéfait par la publication de ce texte lapidaire de Michael Young, que j'ai connu plus fin et pertinent dans ses analyses...on en est bien loin avec cette litanie de clichés du moment...

IBN KHALDOUN

16 h 14, le 26 décembre 2022

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Commentaires (4)

  • Stupéfait par la publication de ce texte lapidaire de Michael Young, que j'ai connu plus fin et pertinent dans ses analyses...on en est bien loin avec cette litanie de clichés du moment...

    IBN KHALDOUN

    16 h 14, le 26 décembre 2022

  • A ce jour les USA sont les maîtres du monde. Les pays qui n'ont pas une monnaie utilisable à l'étranger ne peuvent pas prétendre à concurrencer les USA.

    Céleste

    09 h 38, le 26 décembre 2022

  • Quand le Moyen-Orient se « désengage » vis-à-vis des États-Unis?..Pour le moment, car à la moindre escarmouche dans la région, ils rappliqueront en offrant aux E.U tout ce qu’ils leur ferait plaisir pour leur venir en aide, vu l’état de délabrement dans lequel se trouve la Russie et bientôt la Chine. Le problème de ces pays là c’est qu’ils se croient sortis d’affaires une fois qu’ils ont réussi à faire parler d’eux, croyant devenir invincibles, alors que cette région reste une poudrière prête à prendre feu à la moindre étincelle. A qui demanderaient ils de l’aide le jour venu?

    Sissi zayyat

    13 h 00, le 18 décembre 2022

  • Biden suit une politique réaliste et objective. Raisonnable même. Tous ses critiques sont plus ou moins des hors-bord ou perdus dans leur choix.

    Esber

    07 h 23, le 18 décembre 2022

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