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Culture - Rencontre

Jeanbart jubile : il va pouvoir plonger dans les archives de Badia Sabra Haddad

Des documents disparus, des partitions cachées, des artistes restés trop longtemps dans l’ombre et d’autres passionnés de patrimoine et d’histoire. Voilà les éléments d’une découverte récente à laquelle le réseau social Facebook n’est pas étranger...

Jeanbart jubile : il va pouvoir plonger dans les archives de Badia Sabra Haddad

Wadia Sabra, Mlle Badia Sabra et le Baron Erast Belling, à l’Université américaine de Beyrouth (AUB) en 1950. Photo d'archives de Badia Sabra Haddad

« Je suis l’homme le plus heureux au monde ! » lance spontanément Fady Jeanbart en guise de préambule. À l’autre bout du fil (ou plutôt de la cellule de réception mobile), sa voix de baryton-martin conserve mal son enthousiasme. « Nous avons enfin trouvé les archives personnelles de Badia Sabra Haddad qui contiennent des trésors inestimables dont certaines pépites de son père adoptif Wadih (Wadia, selon l’orthographe qu’il préférait, NDLR) Sabra (1876-1952), le compositeur de l’hymne national libanais », enchaîne le chanteur lyrique qui promet qu’elles seront soigneusement étudiées, répertoriées et numérisées avant d’être déposées au Centre du patrimoine musical libanais (CPML). « C’est Bassam Tanios Haddad qui nous a confié les archives de sa tante », explique encore l’artiste avant de remonter quelques années en arrière pour narrer la genèse de cet important « butin ».

À l’entendre raconter avec entrain ses découvertes musicales, l’on devine rapidement la passion viscérale qui l’anime pour la musique et le patrimoine ainsi que les personnages qui lui sont affiliés. On imagine facilement le chanteur lyrique, lutin agile se déplaçant entre les cartons des archives, plumeau à la main, dépoussiérant une partition par ci, une photo par là.

Avant de tomber par hasard sur les archives de Badia Sabra Haddad, Fady Jeanbart a lui-même fait un travail d’édition remarquable sur l’œuvre vocale et l’œuvre pour piano de Wadia Sabra.

Tout a commencé l’été 2019 à la suite d’un projet de collaboration avec Zeina Saleh Kayali et le CPML pour un concert de compositeurs libanais. « J’ignorais très sincèrement s’il existait des œuvres pour ma voix et c’est là que Zeina m’a proposé d’aller visiter le Centre du patrimoine à Jamhour », se souvient Fady Jeanbart dont le sort fut « scellé » lorsqu’il est tombé sur les archives de Wadia Sabra. « Il a composé 3 opéras dont les rôles principaux étaient écrits pour mon type vocal, à savoir le baryton aigu, dit Baryton-Martin ! » s’exclame l’intéressé, encore incrédule.

La suite de l’histoire appartient à la grande histoire. « Deux facteurs majeurs sont intervenus : d’abord la “révolution” d’octobre 2019, suivie des confinements dus à la pandémie de Covid-19. » Lorsque le monde entier était en mode « pause », le musicien a trouvé le terrain propice à la recherche et il a ainsi passé des heures et des mois campé au CPML. Il aurait même demandé, mi-figue, mi-raisin, à ce qu’on lui installe un lit dans la salle des archives.

« J’étais pris par un vortex et je ne pouvais plus m’arrêter. Je devais absolument comprendre et investiguer sur ce chaînon manquant de notre histoire musicale libanaise. Les débuts de la vie lyrique au Liban ! » s’enthousiasme l’artiste.

Bassam Haddad remettant à Fady Jeanbart les archives personnelles de sa tante Badia Haddad, fille adoptive de Wadia Sabra. Photo DR

Qui cherche trouve, et la providence lui fait de beaux cadeaux : « Plus je cherchais, plus je trouvais ! La chance a mis sur mon chemin un excellent collaborateur, un copiste hors pair, envers qui j’aurais pour toujours une grande gratitude, le jeune et talentueux musicien Tony Gemayel, qui m’a été d’une aide précieuse pour l’édition de mes deux recueils de la musique de Wadia Sabra, l’un des œuvres pour piano et l’autre des extraits des airs d’opéra. »

Après deux ans de travail assidu, Jeanbart publie en août 2021 deux recueils de partitions consacrés aux œuvres de ce compositeur libanais dont le premier opus regroupe des extraits d’airs et de duos pour solistes et chœur tirés des deux opéras, l’Émigré et les Bergers de Canaan, alors que le second présente une sélection de vingt pièces pour piano.

Pour mémoire

Wadih Sabra : de l’oubli vers la lumière

« Monsieur et Madame Tout-le-Monde connaissent Wadia Sabra comme le compositeur de l’hymne national libanais et fondateur du Conservatoire national libanais, enchaîne Jeanbart sur sa lancée. Certains musiciens savaient également qu’il avait composé des opéras, mais que toutes ses œuvres étaient cachées à la suite d’un désaccord familial. Ayant grandi dans une famille de mélomanes musiciens/chanteurs, j’avais vaguement entendu parler de cela, surtout que mon oncle Vincent Jeanbart était l’élève de Badia Haddad (1923-2009), la fille adoptive de Wadia Sabra… »

Depuis que les archives de Wadia Sabra, que l’on croyait perdues, ont été déposées en 2016 par sa famille au Centre du patrimoine musical libanais (CPML), nous en savons plus sur celui que la musicographe libano-française Zeina Saleh Kayali, auteure de sa biographie parue en 2018 dans la collection Figures musicales du Liban (éditions Geuthner), considère comme le père fondateur de la musique savante libanaise. « Et, avec les archives de sa fille adoptive, nous allons pouvoir en savoir plus sur ce personnage injustement ignoré par l’histoire », jubile Jeanbart.

Aujourd’hui, avec le « petit » recul, Jeanbart décrit volontiers Sabra comme « un pionnier, un des précurseurs dans ce dialogue des cultures, ce mélange des genres musicaux : écrire de la musique occidentale aux couleurs orientales. Chose qui s’est banalisée avec le temps et qui est monnaie courante de nos jours. Il nous a ouvert la porte. Il est un des premiers orientaux à composer à la manière des orientalistes, et rien que pour cela il faut saluer ses efforts ».

Badia Sabra Haddad et le pianiste Stephan Emyan à l’issue d’un concert en 1986. Photo d'archives de Badia Sabra Haddad

Le meilleur de Sabra

Tout grand artiste a des détracteurs. Cela semble être la norme. Que reprochent les détracteurs de Sabra ? Selon Fady Jeanbart, certains musiciens « orientaux » de son temps, et peut-être certains d’aujourd’hui, n’auraient pas compris son approche musicologique de ce mélange des genres et ont cru qu’il était en train de dénaturer la musique arabe. « Or toute sa vie durant, il n’a cessé de faire dialoguer ces deux univers qui semblaient hermétiques », argumente le chanteur lyrique qui estime par ailleurs que d’autres personnes de l’univers dit « classique », regardent Sabra avec les yeux et les oreilles d’aujourd’hui, sans voir la dimension et le contexte historique et culturel du Liban du début du siècle dernier, et trouvent sa musique, probablement trop simple et pas assez élaborée. « Mais les goûts et les couleurs ne se discutent pas ; il faut de tout pour faire un monde ! Et c’est ce que j’ai essayé de faire, mettre en lumière le meilleur de Sabra. Chacun prend ce qu’il lui plaît ! Beaucoup n’aiment pas Mozart, ce n’est pas pour autant qu’il faille le dénigrer et l’effacer ! », martèle Jeanbart. Selon lui, la découverte aujourd’hui des archives perdues relève d’une importance non négligeable. « Ce désaccord familial qui a fait que l’épouse de Sabra, Adèle Misk (1888-1968), a tout caché et a coupé les ponts avec leurs fille adoptive Badia n’est pas survenu directement après la mort de Sabra en 1952, mais peu de temps après son mariage avec Michel Haddad en 1957, précise-t-il. L’œuvre de Sabra n’est réapparu qu’en 2016, lorsque les enfants du Dr Robert Misk confient le fonds Sabra qu’ils avaient précieusement conservé dans la fameuse “malle bleue” à Zeina Saleh Kayali afin qu’il soit conservé au CPML. Zeina publia par la suite sa biographie en 2018. »

Évidemment, Badia Sabra Haddad a toute sa vie cherché ces archives, tout en enseignant à ses élèves les quelques partitions qu’elle avait entre les mains.

« Depuis le décès de Badia en 2009, comme si l’histoire se répétait, tout le monde cherchait ses archives… en vain », indique le baryton.

En janvier 2021, une « amie en commun », Jinane Milelli, poste l’une des chansons de Jeanbart sur Facebook. Dans les commentaires, un certain Bassam Haddad mentionne Garbis Boyadgian, le célèbre baryton élève de sa tante Badia…

Illico presto, Fady Jeanbart le contacte et passe plus d’une heure au téléphone, décidément émus tous les deux. « Après lui avoir présenté le contexte global de mon travail, il finit par me dire que j’étais la personne de confiance qu’il cherchait depuis toujours. Car il s’est avéré que c’est lui qui cachait toutes les affaires que sa tante Badia détenait de son père Wadia Sabra et que tout le monde recherchait. Je tremblais et mon cœur battait la chamade car je savais que je vivais un moment historique. Il fallait à tout prix écouter et noter le témoignage de Bassam et avoir l’autre versant de l’histoire. Comment ne pas croire en la providence, quand lui, le neveu de Badia qu’il tient à cœur, tombe sur moi, le fou de Wadia qui aussi le tient à cœur. Comme si Badia et Wadia avaient enfin donné leur aval céleste pour que la vérité soit enfin dévoilée. »

Badia Sabra Haddad recevant l’ordre du Mérite libanais le 4 octobre 1986. Photo d'archives de Badia Sabra Haddad

Bassam Haddad tient sa promesse. « Le 24 novembre 2022, c’est-à-dire, presque un mois après avoir donné un concert en hommage à Sabra à l’Église Évangélique de Beyrouth, et 2 jours après la fête de l’Indépendance, il m’appelle en m’annonçant qu’il était venu du Maroc où il habite, et m’invite à lui rendre visite… Je suis rentré à la maison, ma voiture chargée de cartons », raconte l’artiste comblé en promettant qu’il va, avec beaucoup d’humilité et de respect, « pouvoir faire l’inventaire, l’étude et l’analyse comparative de ce qu’elle avait, et surtout, de ce qu’elle n’avait pas ! Et nous aurons le fin mot de l’histoire, laissant aux gens la liberté de tirer leurs propres conclusions ».

Fady Jeanbart conclut en affirmant qu’un fonds Badia Haddad sera bien ouvert par la suite au CPML puisque, il ne faut pas l’oublier, mis à part le lien avec Wadia Sabra, Badia Haddad fut pendant presque 50 ans l’une des professeures de chant les plus connues, aimées et respectées du Liban. « Parmi ses élèves, on compte des personnes qui ont fait des carrières internationales, indique celui qui s’attelle déjà à ausculter les archives enfin découvertes qui recèlent, affirme-t-il, de véritables pépites entres photos, articles de presse, lettres, brochures de concerts, notes pédagogiques et autres enregistrements inédits. » Affaire à suivre donc…

« Je suis l’homme le plus heureux au monde ! » lance spontanément Fady Jeanbart en guise de préambule. À l’autre bout du fil (ou plutôt de la cellule de réception mobile), sa voix de baryton-martin conserve mal son enthousiasme. « Nous avons enfin trouvé les archives personnelles de Badia Sabra Haddad qui contiennent des trésors inestimables dont certaines pépites de...

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