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Les couacs du tocsin

À quelques heures d’intervalle, entre matines et vêpres, Gebran Bassil et l’ex-président Michel Aoun se seront relayés hier pour faire pieux pèlerinage à Bkerké, siège du patriarcat maronite, sans manquer d’arroser, à grands coups de leurs goupillons, le mur des lamentations chrétiennes. Mais il y avait visiblement de l’eau (bénite) dans le gaz ; de fausse note en fausse note, les sonneurs de tocsin en ont finalement été pour leurs frais. Pour l’ancien chef de l’État et son gendre, c’est une intolérable atteinte que la récente réunion formelle du gouvernement d’expédition des affaires courantes a portée au prestige de la présidence de la République, une fois de plus vacante. Cette grave anomalie, car c’en est bien une au regard de la Constitution, le chef de l’Église maronite ne pouvait d’ailleurs que la déplorer lui aussi. Mais le cardinal Raï s’est bien gardé de parrainer une rencontre des divers dirigeants politiques chrétiens, comme l’y pressait le duo, jugeant que la tenue de telles assises se heurtait à des obstacles. De fait, le parti des Forces libanaises a vite fait de rejeter sèchement un projet né de la crise surgie entre le courant aouniste et son allié, le Hezbollah, à propos de ladite réunion du Conseil des ministres.


En théorie, ce conflit a pourtant de quoi combler amplement les vœux des autorités spirituelles et des formations politiques chrétiennes, surtout s’il est susceptible de conduire à une franche rupture entre les deux partenaires de l’entente de Mar Mikhaël. Or, loin s’en faut, faut-il d’abord relever, et la méfiance reste de rigueur. Aux accusations de lâchage lancées par Bassil, la milice a répondu plutôt calmement, sur le ton qu’on prendrait par exemple pour raisonner un galopin colérique en train de casser ses jouets. Les discrets efforts de rabibochage vont bon train, et le chef du Courant patriotique libre paraît en voie de digérer sa rancune : il a repris langue jeudi avec des députés du Hezbollah dans l’enceinte du Parlement, et c’est en homme de paix qu’il se qualifiait hier.


Quant à la prétendue défense des droits chrétiens, l’imposture a franchement trop duré pour faire encore illusion. Si le CPL rue effectivement dans les brancards du Hezbollah, ce n’est certes pas pour les bons motifs. Ce n’est pas parce que la milice, constituée en État dans l’État, incarne la négation de l’État. Ce n’est pas parce que, dans la diplomatie comme dans la guerre, elle va jusqu’à s’approprier le pouvoir de décision, lequel est du seul ressort de l’État. Ce n’est surtout pas parce que la milice s’est escrimée à saper la démocratie libanaise, notamment en bloquant plus d’une élection présidentielle ; à ce chantage s’est régulièrement associé le CPL, même s’il avait pour résultat de marginaliser, de déconsidérer, de mettre dans la naphtaline la fonction suprême réservée par tradition aux chrétiens. Qu’au bout du compte, il en ait été récompensé en accédant au palais de Baabda n’a évidemment arrangé en rien, bien au contraire, les droits de cette communauté…


… Et ce n’est pas encore fini, même si, pour faire la nique à la milice qui répugne, le chef du courant aouniste fait mine de rompre avec l’odieuse pratique des bulletins blancs qui plombe le scrutin. Ce n’est pas le recul de la condition chrétienne qui lui donne des cauchemars, mais l’éventuelle entrée en lice de l’un ou de l’autre de ses rivaux, ces fers tenus au feu par l’incontournable Hassan Nasrallah. Pour tenir la dragée haute au Hezbollah, pour se garantir une place privilégiée au sein du futur régime et continuer de bénéficier des précieux suffrages des électeurs chiites, Bassil s’imagine avoir trouvé la recette magique à lui soufflée par le Saint-Esprit : se barder de médailles saintes et de scapulaires, s’envelopper de nuages d’encens, et battre le rappel du ban et de l’arrière-ban de la chrétienté libanaise.


Reste tout de même à envisager l’impondérable. Sans avoir la stature de Michel Aoun, Gebran Bassil, dans sa mégalomanie sans bornes, s’en veut le double, le clone formé à son giron. Le Hezbollah accusé avec véhémence d’être terroriste et assassin, les ingérences iraniennes succédant à l’odieuse occupation syrienne, le scandale des disparus libanais en Syrie : tous ces griefs qui furent ses thèmes de prédilection, le général les avait allégrement largués, ce qui lui permettait effectivement, avec un peu de patience, de satisfaire ses ambitions présidentielles.


Brûler ce qu’on a adoré, adorer ce qu’on a brûlé : la formule a déjà fait ses preuves. Des fois que le vibrionnant héritier de la maison orange serait tenté de s’y essayer…

Issa GORAÏEB

igor@lorientlejour.com

À quelques heures d’intervalle, entre matines et vêpres, Gebran Bassil et l’ex-président Michel Aoun se seront relayés hier pour faire pieux pèlerinage à Bkerké, siège du patriarcat maronite, sans manquer d’arroser, à grands coups de leurs goupillons, le mur des lamentations chrétiennes. Mais il y avait visiblement de l’eau (bénite) dans le gaz ; de fausse note en fausse...