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Moyen-Orient - Entretien express

Accord au Soudan : signe d’espoir ou lâche soulagement ?

Fruit de longs mois de négociations, l’accord entre militaires et civils est censé remettre le Soudan sur les rails de la transition démocratique, mais risque de donner un blanc-seing aux leaders militaires contestés par la rue. Kholood Khair, fondatrice du groupe de réflexion Confluence Advisory à Khartoum, fait le point pour « L’Orient-Le Jour ».

Accord au Soudan : signe d’espoir ou lâche soulagement ?

Le général Abdel Fattah al-Burhane (au centre) et Mohammad Hamdan Dagalo (à gauche) au moment de la signature de l’accord-cadre avec les civils, le 5 décembre à Khartoum. Ashraf Shazly/AFP

Ce devait être le retour de l’espoir pour les Soudanais, engoncés depuis plus d’un an dans une crise politique et économique aiguë. Lundi 5 décembre, un accord a été signé entre militaires et civils pour réenclencher le processus de transition démocratique démarré au lendemain de la chute du dictateur Omar al-Bachir en 2019 et interrompu dans la violence par le coup d’État du 25 octobre 2021 du général Abdel Fattah al-Burhane. Depuis cette période, pas une semaine ne s’est écoulée sans que des milliers de Soudanais, réunis au sein de comités de résistance, ne descendent dans la rue pour crier leur refus du pouvoir militaire, dont la répression des manifestations a fait 121 morts, selon des médecins. Si la communauté internationale, de Washington à Abou Dhabi, a « salué » la signature en tant que « premier pas essentiel vers l’établissement d’un gouvernement dirigé par des civils », les Soudanais, eux, sont de nouveau descendus dans la rue pour réaffirmer leur triple refus : « Pas de négociations, pas de compromis et pas de légitimité. » « Les Forces pour la liberté et le changement (FFC) ont enfoncé le dernier clou dans le cercueil », dénonce ainsi Dania Atabani, membre d’un comité de résistance à Khartoum, en référence à la coalition de partis ayant signé aux côtés d’autres acteurs civils l’accord-cadre avec les chefs de la junte militaire Abdel Fattah al-Burhane et Mohammad Hamdan Dagalo, alias Hemetti, le chef des Forces de soutien rapide (RSF), leur reprochant d’avoir « donné une immunité aux meurtriers ».

Sur le papier, l’accord de lundi se veut la première phase d’un processus qui s’achèvera dans un mois par la conclusion d’un accord plus ambitieux. Or, sans la confiance de la rue, les parties civiles auront du mal à peser dans les négociations, analyse Kholood Khair. Fondatrice du groupe de réflexion Confluence Advisory basé à Khartoum, elle revient pour L’Orient-Le Jour sur les raisons de cette défiance et les nouvelles perspectives que cet accord dessine pour l’avenir du pays.

Plus d’un an après le coup d’État du 25 octobre, le Soudan a désespérément besoin d’une sortie de crise. L’accord signé le 5 décembre offre-t-il cette perspective aux Soudanais ?

Rien n’indique que ce soit le cas. En effet, avant même sa signature, il avait été ouvertement dénoncé par des groupes venant de l’ensemble du spectre politique, des comités de résistance prodémocratie aux loyalistes de Omar al-Bachir en passant par certains groupes rebelles armés. Pourquoi ? D’une part en raison de l’opacité dans laquelle se sont tenues les négociations. D’autre part, parce que les FFC d’aujourd’hui ne rassemblent que quatre ou cinq membres, contre 75 lors de leur fondation en 2019 (lorsqu’ils avaient partagé le pouvoir avec les militaires pour assurer la transition démocratique), ce qui pose la question de leur légitimité à représenter le pouvoir civil.

Outre les doutes sur le processus de négociation, l’accord en lui-même est problématique, car il ne s’attaque à aucun des quatre défis majeurs que le Soudan traverse, les reléguant à une phase ultérieure. Celle-ci, censée s’achever le mois prochain, doit en effet aborder les questions essentielles de la réforme des forces de sécurité, de la justice transitionnelle, du démantèlement de l’ancien régime et de la révision des accords de paix de Juba (signé le 3 octobre 2020 entre 13 groupes rebelles soudanais et le gouvernement de transition, il est depuis au point mort). En ne s’attaquant pas à ces sujets contentieux, l’accord signé lundi n’est donc rien d’autre qu’un accord préliminaire et symbolique.

Quelles sont les garanties que les militaires accepteront de laisser le pouvoir aux civils et n’auront pas de nouveau recours à l’arme du coup d’État ?

Rien ne le garantit, car cet accord promet beaucoup, mais ne dit pas grand-chose. Tout le monde est pour un régime civil, une justice transitionnelle, etc. Or le Soudan a une longue histoire d’accords politiques remplis de bonnes intentions, mais qui finissent par ne pas s’appliquer.

Il y a cependant un élément nouveau : l’engagement de la communauté internationale à avaliser l’accord. Ainsi, le retour de l’ambassadeur américain à Khartoum en août dernier, pour la première fois depuis 25 ans, a permis de rendre l’influence américaine plus immédiate. De leur côté, Le Caire et Abou Dhabi ont compris que pour défendre leurs intérêts au Soudan, ils ne pouvaient plus se contenter de soutenir l’armée. Ils ont donc commencé à appuyer aussi des partis politiques.

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Reste que la communauté internationale se satisfait d’un soutien restreint des acteurs locaux autour de l’accord, sans chercher à convaincre un spectre plus large de personnes. Leur parrainage est davantage un gage pour les signataires qu’une garantie que les attentes de la population seront entendues.

Cet accord octroie-t-il une légitimité accrue à Burhane et Hemetti, deux figures honnies par les manifestants soudanais ?

L’accord a en effet modifié la nature des divisions au Soudan au lieu de les résoudre. La fracture n’est désormais plus entre les Soudanais pour ou contre le coup d’État, mais entre d’un côté Burhane et ses alliés civils, soutenus par Le Caire, et de l’autre Hemetti et les siens, adoubés par Abou Dhabi. Contrairement à ce que l’accord promet, les militaires vont donc certainement continuer à jouer un rôle dans la politique soudanaise, grâce à leurs parrains respectifs, pouvant désormais se targuer d’avoir des partenaires civils.

Par ailleurs, l’accord a aussi davantage fracturé le camp des civils. Le calcul de Burhane est simple : faire en sorte que les divisions au sein du pouvoir civil soient plus profondes que celles qui ébranlent le pouvoir militaire.

Au bout du compte, aucun des griefs de la rue n’ont été entendus, que ce soit le départ de Burhane et Hemetti ou la mise en place d’une véritable justice transitionnelle. Les manifestations contre ce premier jalon montrent que les FFC auront du mal à gagner la confiance de la rue, dont ils ont pourtant un besoin crucial pour obtenir des résultats lors de la seconde phase.

Ce devait être le retour de l’espoir pour les Soudanais, engoncés depuis plus d’un an dans une crise politique et économique aiguë. Lundi 5 décembre, un accord a été signé entre militaires et civils pour réenclencher le processus de transition démocratique démarré au lendemain de la chute du dictateur Omar al-Bachir en 2019 et interrompu dans la violence par le coup d’État du...

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