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Nos Lecteurs ont la Parole

Toi et moi, les déraciné(e)s

Le temps file ici comme si de rien n’était, alors qu’il semble là-bas s’être arrêté. Toi et moi, déracinés, amoureux ou écœurés, vu d’ici le temps semble là-bas s’être arrêté.

Et dans la foulée de tous les jours ici, j’en oublie les images et les bruits de là-bas, j’en oublie les dates et leur importance, j’en oublie où on était à cette date il y a une, deux, trois années.

J’en oublie qu’on s’était tous promis d’essayer, qu’on allait tous ensemble se mettre à rêver de « l’après ». J’en oublie presque ce que nos parents nous avaient dit et la manière dont on avait été avertis, qu’avant nous d’autres générations avaient voté et espérer, avaient rêvé. Ils savaient qu’on allait être déçus mais ils ont tout de même essayé encore.

Aujourd’hui dans la foulée de tous les jours, j’en oublie cette date, qui pour beaucoup ne veut plus rien dire. Bonne fête de l’In(dépendance) à nous tous, exilés ici ou ailleurs, et aux prisonniers là-bas. N’est-elle pas belle cette phrase ?

Exilés de chez nous, loin de ceux que l’on aime parce qu’il était temps de partir et que c’est ce qu’il faut faire pour réussir. Exilés mais avec le sourire car ce serait ingrat de ne pas penser à ceux qui rêvent de partir et qui sont, eux, coincés. Exilés alors que nous-mêmes hier nous rêvions de l’être, loin de ce pays.

Prisonniers ? Prisonniers d’une réalité qui ne leur ressemble pas et qui ne permet pas de se construire et de faire des plans d’avenir.

Alors entre exilés et prisonniers, vous me direz ça suffit. Vous me direz qu’il est temps de grandir et d’arrêter les absurdités, les trop-pleins d’émotions qui vont à l’encontre du rationnel, que cette vision est trop pessimiste, et limite ingrate. Qu’on ne se sent pas tous exilés ici ou prisonniers là-bas. Que les peuples partout sont exilés ou prisonniers, que la guerre, la crise ou la perte d’espoir sont des fléaux qui touchent tout le monde. Assurément. Et je me dis que c’est peut-être trop tard, que ça devient lourd cette tristesse, qu’il est temps de grandir et de mettre cette histoire derrière moi. 4 196,6 km me séparent de ces 10 452 km². Peut-être. Mais si c’était possible d’être heureux et triste à la fois, c’est comme ça que je décrirais cet état. Une tristesse qui ne tue pas mais qui nous rappelle qu’il existe un bout de chez nous de l’autre côté de la Méditerranée, où il est toujours possible de revenir pour être accueillis à bras ouverts. Une tristesse qui donne du courage et de l’ambition, celle de réussir et de rendre fiers(es) ceux et celles qui croient en nous et pensent à nous. Une tristesse qu’il nous faut confronter pour qu’elle ne nous dévore pas, et qu’on partage entre amis ici lorsqu’on parle ensemble de là-bas. Une tristesse qu’il nous faut garder, car l’oublier, c’est se permettre de refaire les erreurs du passé et d’oublier « ceux » qui nous ont menés à cet exil, et qui ont fait de nous des prisonniers chez nous.

Est-ce que c’est possible d’aimer encore ce pays ? De cet amour découlent une tristesse et une joie qui ensemble se mélangent pour former les souvenirs que je garde aujourd’hui. Parce que c’est ça être exilés ou prisonniers, non pas physiquement restreints car revenir ou quitter est toujours possible, mais le fait de se retrouver confinés dans une réalité qui ne semble pas évoluer, dans une misère qui ne semble pas prendre fin au pays du Cèdre et des cendres.

Bonne fête de l’In(dépendance) à nous tous, exilés ici ou ailleurs, et aux prisonniers là-bas. Alors je souris, mais pas jusqu’au bout, et je ris mais pas aussi fort. Et je suis là, et j’ai de la chance d’être là. Mais mon cœur qui est là, qui bat un peu plus fort lorsque j’écoute du Feyrouz est à la fois là et là-bas.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique Courrier n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, L’Orient-Le Jour offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires ni injurieux ni racistes.

Le temps file ici comme si de rien n’était, alors qu’il semble là-bas s’être arrêté. Toi et moi, déracinés, amoureux ou écœurés, vu d’ici le temps semble là-bas s’être arrêté. Et dans la foulée de tous les jours ici, j’en oublie les images et les bruits de là-bas, j’en oublie les dates et leur importance, j’en oublie où on était à cette date il y a une, deux,...

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