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Environnement - Intempéries

À Jounié, des sinistrés dévastés face à l’ampleur des dégâts

Les responsables se renvoient toujours la balle et les indemnisations restent hypothétiques. Seule certitude : le phénomène climatique observé lundi, bien qu’exceptionnel, est récurrent depuis début novembre.

À Jounié, des sinistrés dévastés face à l’ampleur des dégâts

L’appartement dévasté des Semaan à Sahel Alma. Photo envoyée par Johnny Semaan

L’appartement familial de Johnny Semaan, à Sahel Alma, Jounié, n’a pas été terrassé par un acte de guerre, même s’il en donne l’impression. Il a été dévasté par le flot des inondations qui ont eu lieu lundi, et qui ont noyé bon nombre de routes et de localités dans cette partie très escarpée du chef-lieu du Kesrouan. Suite à des pluies diluviennes, de nombreux automobilistes ont été piégés par les « flots » nés de l’incapacité manifeste des infrastructures à absorber ce volume d’eau, des empiétements sur des domaines publics et sur les emplacements des canaux d’évacuation des eaux de pluie, et des débordements de cours d’eau très localisés. Des propriétés, comme celle de la famille Semaan, étaient sur le chemin de ces trombes d’eau.

« Ce qui s’est passé dans mon appartement, je ne l’avais jamais vu au Liban, je croyais que cela n’avait lieu que dans de lointaines contrées. » Johnny Semaan a visiblement une voix très fatiguée à l’autre bout du fil, et il doit fréquemment interrompre la conversation pour s’adresser à des interlocuteurs dans le chantier improbable de ce qui était, avant lundi, un paisible appartement. Les photos et les vidéos qu’il envoie montrent l’étendue des dégâts : dans l’une de ces vidéos, on voit de véritables chutes d’une eau brunâtre traverser avec force un jardin en terrassements, avant de s’engouffrer dans l’appartement qui se trouve pourtant au premier étage, mais un peu en contrebas. « Toutes les vitres ont été brisées, il ne reste plus rien, ni meubles, ni parquet, ni habits, ni balcons… plus rien », s’indigne Johnny Semaan.

La chambre des deux enfants du jeune couple est totalement chamboulée, de sorte qu’il est « quasiment impossible d’y pénétrer », dit une voix féminine dans l’une des vidéos. « C’est un appartement de 310 mètres carrés dans lequel on venait d’emménager, et il est devenu inhabitable », confirme Johnny Semaan.

L’eau est exfiltrée d’une boutique endommagée dans le souk de Jounié. Photo envoyée par la municipalité

Plus de 100 mm en deux heures

La récurrence des inondations à Jounié et dans le Kesrouan depuis début novembre a de quoi interpeller. « Il faut savoir que le jour des inondations, lundi, il a plu à Jounié 100mm en quelques heures, sachant que la moyenne annuelle est de 800 mm. Il faut comprendre que le climat a changé et que les infrastructures sont inadaptées », affirme Juan Hobeiche, président du conseil municipal de la ville et de la Fédération des municipalités du Kesrouan.

Selon le Lebanon Weather Forecast, un site dédié au climat, si Jounié a été noyée par les inondations trois fois depuis début novembre, c’est qu’il a plu 47 mm en une heure le 2 novembre, 72 mm le 25 et 105 mm en deux heures le 29, lors d’averses qualifiées de « violentes ». Le total de ces précipitations est donc de 446 mm, soit 50 % de la moyenne annuelle de la ville, qui est d’environ 850 mm, constate le site. L’inadaptation de l’infrastructure vétuste et non entretenue, le manque de civisme des habitants qui jettent leurs détritus à partir des voitures (ce qui bouche les canaux d’évacuation par la suite) sont à blâmer, toujours selon le site, qui note toutefois le caractère « exceptionnel » de la journée de lundi.

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Ce qui n’exempte pas les autorités libanaises de leurs responsabilités. Or, comme d’habitude en pareil cas, les responsables libanais se renvoient la balle. Le ministre des Travaux publics Ali Hamiyé, que nous n’avons pu contacter hier, s’est exprimé sur le sujet dans les médias. Après un tweet publié le soir même du drame, où il pointe du doigt « les empiétements sur des domaines publics où passent des canaux d’évacuation d’eau de pluie », il a été plus spécifique lors d’un entretien radiophonique. Il a cité le projet résidentiel Sahel à Sahel Alma, estimant que les infrastructures qui lui sont attenantes sont l’une des causes des débordements d’eau qui ont provoqué tant de dégâts dans cette région. En substance, il rejette la responsabilité sur le ministère de l’Énergie et de l’Eau et sur les municipalités, estimant que la responsabilité de son ministère se limite aux grands axes, donc aux autoroutes, alors que l’eau s’est déversée de haut en bas, venant des collines qui, dans cette région, sont très proches de la côte.

Des cascades d’eau brûnatre traversent un jardin en terrassements avant de pénétrer dans l’appartement des Semaan. Capture d’écran

Interrogé par L’Orient-Le Jour sur ces arguments, Juan Hobeiche fait remarquer que le projet Sahel date de 1987, comme la route qui y mène et qui, selon le ministre, est une des sources du problème. « L’entrepreneur qui avait exécuté cette route avait prévu une tuyauterie de 60 centimètres de diamètre, ce qui, il y a trente ans, était tout à fait suffisant, mais qui ne l’est plus aujourd’hui », dit-il.

En réponse aux accusations du ministre des Travaux publics, Juan Hobeiche fait le point : « Nous sommes tous responsables, mais il faut savoir jusqu’à quel point. Le ministère des Travaux est responsable des axes principaux, dont les autoroutes (infrastructures et nettoyage des canaux), comme des permis accordés à des projets comme Sahel ou à des bâtiments proches de la côte et qui, étant plus hauts que les bâtiments traditionnels, entravent aujourd’hui l’évacuation fluide de l’eau vers la mer. La municipalité s’occupe des routes internes et de leur entretien. Le ministère de l’Énergie et de l’Eau est responsable, pour sa part, des travaux dans les cours d’eau, tout comme de la répression des abus contre ces cours. »

Des ouvriers de la municipalité de Jounié traitant les dégâts des inondations. Photo envoyée par la municipalité

Le député Chaouki Daccache, élu du Kesrouan, déplore ces responsabilités perdues et avoue lui-même avoir du mal à obtenir des informations précises depuis la catastrophe de lundi, bien qu’ayant contacté tous les responsables. « Chaque année, c’est le même scénario, comme si la pluie était une surprise », s’est-il insurgé dans une conférence de presse hier.

Une des chambres dévastées de l’appartement à Sahel Alma. Photo envoyée par Johnny Semaan

Des indemnisations incertaines

Cette balle que se renvoient les responsables ne règle cependant pas la situation des sinistrés du Kesrouan. Johnny Semaan affirme que personne ne répond à ses requêtes et qu’aucun recensement des dégâts n’a été fait pour l’instant. Il pense même que son appartement est irréparable dans l’état actuel des choses. « Cela devrait coûter des milliers de dollars, d’où voulez-vous que l’on puisse débrouiller de pareilles sommes ? » s’insurge ce père de famille.

Ce qui amène à la question de savoir qui doit indemniser les sinistrés. « C’est le Haut Comité de secours (HCS) en pareil cas », souligne Juan Hobeiche. Chaouki Daccache appelle pour sa part le Premier ministre Nagib Mikati à donner ses directives au HCS en vue de l’indemnisation des habitants du Kesrouan. Toutefois il réitère à L’OLJ ce qu’il a dit en conférence de presse : si les habitants de cette région, qui payent tous leurs impôts, sont négligés alors qu’ils ont besoin du soutien de l’État, il les secondera alors dans un mouvement de protestation. Nous avons tenté en vain de contacter le président du HCS, le général Mohammad Kheir, hier.

L’appartement familial de Johnny Semaan, à Sahel Alma, Jounié, n’a pas été terrassé par un acte de guerre, même s’il en donne l’impression. Il a été dévasté par le flot des inondations qui ont eu lieu lundi, et qui ont noyé bon nombre de routes et de localités dans cette partie très escarpée du chef-lieu du Kesrouan. Suite à des pluies diluviennes, de nombreux...

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Bil mich mouche. Il faut comprendre que ce pays ne répond de plus rien ni personne. Il a ses traîtres au pouvoir, corrompus jusqu’à l’os et entendent y rester jusqu’à ce que les citoyens comprennent enfin qu’ils sont sur la bonne voie de l’enfer tant promis qu’ils ont choisi de leur propre gré.

Sissi zayyat

21 h 51, le 22 décembre 2022

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Commentaires (1)

  • Bil mich mouche. Il faut comprendre que ce pays ne répond de plus rien ni personne. Il a ses traîtres au pouvoir, corrompus jusqu’à l’os et entendent y rester jusqu’à ce que les citoyens comprennent enfin qu’ils sont sur la bonne voie de l’enfer tant promis qu’ils ont choisi de leur propre gré.

    Sissi zayyat

    21 h 51, le 22 décembre 2022

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