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Accoutumances

Ça ne risque pas d’arriver tous les jours, mais il faut bien reconnaître aux responsables le tact, la décence dont ils viennent inopinément de faire preuve en excluant toute cérémonie, parade et autres flonflons officiels, pour le 22 novembre, fête de l’Indépendance. Les piliers de la vacillante république ont ainsi jugé par trop malséant et politiquement incorrect de s’en aller plastronner sur la tribune d’honneur en l’absence (que dis-je, en l’inexistence) d’un président.


Pour touchante de délicatesse que soit toutefois cette attention, on peut trouver mille autres raisons, non moins sérieuses, de n’avoir pas le cœur à la fête. La plus convaincante de celles-ci tient à ces deux tristes évidences. Rarement, pour commencer, événement aussi capital, aussi théoriquement intime qu’une élection présidentielle, puisqu’il en est précisément question, n’aura tenu au bon vouloir d’une telle cohue de grands électeurs régionaux et internationaux : États-Unis, France, Russie, Iran, Arabie saoudite et Qatar, pour ne citer que les plus visibles. Jamais ensuite cette peu flatteuse tradition ne se sera manifestée de si flagrante et humiliante manière qu’en ce moment. Ancrée dans les mœurs de la gente politicienne, elle a inévitablement fini par s’imposer aux esprits des citoyens ; et c’est bien là qu’il est futile, illusoire et souvent malhonnête de discourir et pérorer encore sur l’indépendance.


Car cette banalisation en règle de la sujétion aux volontés étrangères, les analystes, commentateurs et autres hôtes des plateaux de télévision ne sont plus seuls à s’y adonner, de bonne ou de mauvaise foi. Contrairement au dicton, la vérité ne sort plus seulement désormais de la bouche des enfants. Elle nous est tranquillement assénée par ces personnages majeurs et vaccinés, censés ménager plus que d’autres la dignité nationale, que sont en principe les élus du peuple. Or non seulement nombre de ces députés trahissent objectivement la confiance de leurs électeurs en déposant des bulletins blancs ou frappés de nullité, lors de chacun des rounds avortés de l’élection présidentielle ; non seulement ils ne font qu’obéir au mot d’ordre de leurs chefs de file, plutôt qu’aux aspirations populaires ; mais c’est sans la moindre gêne qu’ils évoqueront doctement la nécessaire prise en compte de l’évolution du contexte régional dans la recherche d’un consensus national sur la personne du futur chef de l’État. On ne saurait être plus clair : on persiste en somme à saboter le scrutin en attendant que se prononce enfin l’oracle collectif. Que soit délivrée la consigne. Et qu’on puisse enfin plébisciter l’heureux élu, sans trop se demander, de surcroît, si c’était bien le choix adéquat. Une fois de plus, bonsoir l’indépendance !


Et ce n’est pas encore fini. Le plus rageant en effet est de voir ces mêmes et indécrottables abonnés à l’inter flétrir avec le plus de virulence toute démarche visant à canaliser au mieux (et non l’espace d’une élection) ce qui reste encore de sollicitude étrangère pour notre pays. Tel est l’objet de cette conférence internationale sur le Liban à laquelle appelle inlassablement le patriarche des maronites, dans l’espoir de voir les puissances nous assister dans la reconstitution d’un pacte national mis à mal par des décennies de mal-gouvernance, et garantir ensuite la pérennité de la formule magique. Qui donc s’en étrangle d’indignation, invoquant la libre décision des Libanais ? En tête des contestataires, un Hezbollah revendiquant haut et clair son inféodation politique, spirituelle, militaire et financière à l’Iran.


Du pain et des jeux : trop occupés à piller le Trésor et à se tirer dans les pattes, nos dirigeants auront dédaigné la recette de pouvoir que prisaient les empereurs de la Rome antique. Ils nous auront dénié et l’un et l’autre. Privés de ressources essentielles et maintenant de Mondial en direct, il ne reste plus aux Libanais que le déprimant spectacle d’une mêlée sans arbitre et où s’agitent partis, milices, communautés, puissances d’argent, trafiquants et accapareurs. D’une échauffourée où aucun carton rouge ne vient jamais sanctionner même les plus scandaleux des coups bas.

Issa Goraieb
igor@lorientlejour.com

Ça ne risque pas d’arriver tous les jours, mais il faut bien reconnaître aux responsables le tact, la décence dont ils viennent inopinément de faire preuve en excluant toute cérémonie, parade et autres flonflons officiels, pour le 22 novembre, fête de l’Indépendance. Les piliers de la vacillante république ont ainsi jugé par trop malséant et politiquement incorrect de s’en aller...