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Captagon : la face «cachets» du Liban - Focus

Face au trafic de captagon, une croisade aux allures de chemin de croix pour le Liban

Face à un commerce extrêmement lucratif, le volontarisme des autorités libanaises, affiché à grand renfort de saisies et opérations devenues régulières, risque de continuer à se heurter à une montagne de difficultés dans un pays ruiné.

Face au trafic de captagon, une croisade aux allures de chemin de croix pour le Liban

Le ministre libanais de l'Intérieur, Bassam Maoulaoui, lors d'une conférence de presse annonçant la saisie d'une cargaison de comprimés de Captagon dans des caisses de thé destinées à l'Arabie saoudite, en janvier 2022. Anwar Amro/AFP

Près de 5,5 millions de pilules de captagon… C’est la dernière belle prise annoncée, à grand renfort de communication, par les Forces de sécurité intérieure (FSI) le premier novembre. Saisies à Ghazieh et camouflées dans des panneaux de construction, les pilules devaient transiter par la Côte d'Ivoire puis par le Soudan. Sur les clichés diffusés par les autorités, on distingue le sceau des deux croissants entrelacés : une référence explicite au médicament antidépresseur commercialisé sous le même nom avant son interdiction dans la plupart des pays du monde dans les années 1980. Depuis, les pilules frappées de ce logo cohabitent avec une myriade de représentations, plus rares, et censées indiquer au client la qualité de la marchandise : svastika, chameau, MBS (un autre clin d’œil évident, cette fois au principal marché de consommation : l’Arabie saoudite).

S’il s’agit de la plus importante saisie réalisée depuis le début de l’année, l’opération de Ghazieh reste cependant loin des prises record réalisées en 2015 : cette année-là, les autorités avaient d’abord mis la main sur 5 tonnes de poudre d’amphétamine (équivalent à 30 millions de pilules après transformation) à l’aéroport de Beyrouth, puis, trois mois plus tard, arrêté un prince saoudien et quatre complices, qui tentaient de faire passer deux tonnes de poudre (l’équivalent de 6 millions de pilules) vers Riyad à bord de son jet privé. Sous la pression de l'Arabie saoudite, les autorités affichent pourtant de plus en plus leur volontarisme, avec en ligne de mire la levée de la suspension des importations des produits libanais par le royaume depuis 2021. Un volontarisme qui ne semble pour l’instant pas se refléter dans les chiffres : selon les données fournies par les FSI, environ 20,45 millions de pilules ont été saisies sur les dix premiers mois de 2022, soit une baisse de 21,2 % par rapport à la même période l’an dernier. Des chiffres à prendre toutefois avec des pincettes, compte tenu du caractère aléatoire des volumes concernés : par exemple, sur le seul mois de décembre 2021, trois opérations ont permis aux autorités de récupérer environ 14,4 millions de cachets – soit un tiers du total pour l’année (voir notre infographie). Il est en revanche certain que les quantités confisquées au Liban – 139 millions de pilules depuis 2017 selon les FSI (qui n’ont pas communiqué les données relatives aux années précédentes) – restent bien inférieures à celles que le royaume wahhabite affirme avoir interceptées en provenance du Liban – 700 millions entre 2015 et 2022.


Manque de moyens

Un différentiel qui s’explique par les nombreux obstacles auxquels font face les autorités dans leur croisade contre le captagon. À commencer par les moyens effectifs dont disposent les forces sécuritaires dans un pays laminé par une crise sans précédent. « Parfois, elles n’ont même pas d’essence pour faire des perquisitions », affirme Nizar Jurdi, ancien responsable des douanes. Ce manque de moyens ne touche pas seulement la lutte contre la drogue au sein du pays, elle entrave également la capacité à contrôler ce qui passe les frontières. « Si l'État le décidait, il peut arrêter le trafic aux frontières en un instant. Il suffit d'équiper et bien entretenir nos scanners dans tous les ports et points de passage légaux », poursuit Nizar Jurdi, indiquant que les scanners défectueux et vieux de trente ans qui équipent le port de Beyrouth contraignent les douanes à inspecter les cargaisons manuellement. En juillet 2021, la France a certes fourni un scanner de conteneurs mobile aux douanes libanaises, mais face à l'ampleur du trafic, cela semble bien dérisoire…

« Nous échangeons des informations avec de nombreux pays dans le cadre d'Interpol, mais les communications avec la Syrie sont suspendues depuis longtemps »

Autre enjeu crucial, au vu de la nature transfrontalière du trafic, la coopération des forces de sécurité avec leurs homologues des pays voisins. Khaled Batarfi, spécialiste des relations internationales à l'université saoudienne d'Alfaisal, met en avant le fait que malgré la suspension des importations en provenance du pays du Cèdre, les canaux de communication ne sont pas rompus : « ll y a de la coopération entre les deux pays en matière de lutte contre la drogue, mais elle n'est probablement pas suffisante puisque nous recevons encore des quantités importantes du Liban. » Mais ce niveau de coopération n'est pas possible avec tous les partenaires : « Nous échangeons des informations avec de nombreux pays dans le cadre d'Interpol, mais les communications avec la Syrie sont suspendues depuis longtemps », reconnaît une source au sein des FSI. Et pour cause : le clan Assad est régulièrement pointé du doigt pour son rôle dans la production et l'acheminement de captagon.

Aucune des sources sécuritaires interrogées par L'OLJ n'a pu cependant clairement répondre à la question de savoir si les autorités avaient toute latitude pour intervenir efficacement sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones contrôlées par les alliés de Damas ou des personnalités proches des partis politiques libanais. À commencer par le Hezbollah, désigné par de nombreux observateurs comme un maillon essentiel de la chaîne.

Prévention lacunaire

Dans ce contexte, la répression des trafiquants semble surtout se concentrer sur les petites mains, que les FSI arrêtent par centaines depuis plusieurs années et qui s'exposent à trois ans de prison. Mais là aussi les chiffres se tassent depuis la crise : selon les FSI, 4 521 individus ont été arrêtés sur cette base en 2017, une somme qui tombe à 1994 en 2021. « Nous n'avons pas les moyens de maintenir le même rythme en terme d'opérations qu'avant la crise », se désole un membre des FSI.

Cela n’empêche pourtant pas les consommateurs d’être également dans le collimateur des autorités. La loi 673 du 16 mars 1998, dispose pourtant que les non-récidivistes peuvent échapper aux peines prévues par le code pénal – allant de trois mois à trois ans pour possession ou consommation – en acceptant de suivre un programme de sevrage. Mais dans les faits, ils ne sont qu'une minorité à être dirigés vers l'un des 10 centres officiels de réhabilitation ou de désintoxication du pays – malgré une évolution notable ces dernières années : le nombre de patients étant passé de 40 en 2014 à 462 en 2019, date du dernier état des lieux.

« C'est un des objectifs sur lesquels on espère pouvoir avancer depuis plusieurs années », déclare Rabih Chamaï, directeur du programme de la santé mentale au sein du ministère de la Santé. « Nous avons la volonté de changer le discours vers un problème de santé publique, et pas judiciaire. Il y a beaucoup de stigmatisation et de souffrance et beaucoup de gens passent entre les mailles à cause des manques actuels. » Une carence qu’il attribue avant tout à un manque de coordination avec les instances judiciaires : « Certains ne connaissaient même pas son existence. Et d’ajouter : L'objectif c'est que la prévention soit la règle, pas l'exception. » En attendant, et en dépit des saisies qui ne cessent d’être communiquées par les autorités, le trafic de captagon devrait continuer à avoir de beaux jours devant lui. « Il est peu probable que le problème de la drogue puisse se régler tant que la situation économique ne se sera pas améliorée », résume Jeremy Arbid, auteur d'un rapport détaillé sur le sujet. « L'État n'a même pas les moyens de fournir de l'électricité à ses habitants. Comment voulez-vous qu'il lutte efficacement contre la drogue ? »

Près de 5,5 millions de pilules de captagon… C’est la dernière belle prise annoncée, à grand renfort de communication, par les Forces de sécurité intérieure (FSI) le premier novembre. Saisies à Ghazieh et camouflées dans des panneaux de construction, les pilules devaient transiter par la Côte d'Ivoire puis par le Soudan. Sur les clichés diffusés par les autorités, on distingue le...

commentaires (5)

Depuis des décennies on a fermé les yeux sur tous les ateliers de fabrications d’armes et de grognes dans notre pays pour les seuls bénéficiaires qui tiennent le pays avec leurs armes. Et maintenant ils veulent nous faire croire qu’ils ont le contrôle? Non mais quelle blague a deux balles. Sur les milliers de tonnes de pilules, ils fanfaronnent comme d’habitude pour une prise de quelques kilos? De qui ils se foutent.

Sissi zayyat

13 h 24, le 17 novembre 2022

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Commentaires (5)

  • Depuis des décennies on a fermé les yeux sur tous les ateliers de fabrications d’armes et de grognes dans notre pays pour les seuls bénéficiaires qui tiennent le pays avec leurs armes. Et maintenant ils veulent nous faire croire qu’ils ont le contrôle? Non mais quelle blague a deux balles. Sur les milliers de tonnes de pilules, ils fanfaronnent comme d’habitude pour une prise de quelques kilos? De qui ils se foutent.

    Sissi zayyat

    13 h 24, le 17 novembre 2022

  • LE TRAFIC SANS LA COMPLICITE D,AGENTS DANS LES FORCES QUI LE COMBATTENT NE FLEURIRAIT GUERE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 12, le 17 novembre 2022

  • "A la question de savoir si les autorités avaient toute latitude pour intervenir efficacement sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones contrôlées par les alliés de Damas ou des personnalités proches des partis politiques libanais. À commencer par le Hezbollah, désigné par de nombreux observateurs comme un maillon essentiel de la chaîne" :a réponse évidente est "Non!". Du doup, le travail - aussi méritoire soit-il - des organismes sécuritaires, ressemble fort à celui des Danaïdes condamnées à remplir un tonneau percé sans avoir la possibilité de boucher le trou!

    Yves Prevost

    07 h 26, le 17 novembre 2022

  • Le trafic de Captagon est indispensable pour l'auto-financement du Hezb. Par consequent, toutes les fripouilles securitaires ferment les yeux. Quelques (mini) prises mediatisees sont cependant necessaire pour jeter la poudre au yeux des pays destinataires. Business as usual.

    Michel Trad

    21 h 51, le 16 novembre 2022

  • Les "autorites" se joindront bientot aux trafficants si ce n'est pas deja fait. les saisies ne sont qu'un avertissement aux trafficants de payer leur du aux politiciens....

    Charles Ghorayeb

    17 h 55, le 16 novembre 2022

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